Faut-il craindre la robotisation croissante de l’économie ? Va-t-elle détruire nos emplois ? Serons-nous bientôt obligés de laisser notre poste de travail à un humanoïde doté d’une intelligence artificielle ? Ces questions ne laissent évidemment personne indifférent et les réflexions sur le sujet vont bon train.

En France, le candidat socialiste à la présidentielle, Benoît Hamon, s’est prononcé en faveur du revenu universel, le présentant comme un palliatif au déferlement annoncé de robots destructeurs d’emplois. Même Bill Gates s’est dit en faveur d’une taxe robots. La position du milliardaire américain diverge toutefois de celle du candidat socialiste, notamment sur l’utilisation des fonds générés par cette taxe. L’un voudrait financer son projet de revenu pour tous, quand l’autre souhaiterait que l’argent serve à améliorer le système éducatif et la formation, ainsi qu'à assurer le reclassement des employés laissés sur le carreau… 

Une chose est certaine. L’avenir de notre économie se fera avec la robotisation. Et celle-ci va s’accélérer. Ainsi, les ventes de robots ont augmenté en moyenne de 17 % par an entre 2010 et 2014, et de 29 % dans le monde rien qu’en 2014. Ces chiffres sont issus d’un rapport conduit par Mady Delvaux, l’eurodéputée luxembourgeoise qui travaille depuis deux ans déjà sur le statut légal de ces nouvelles machines. Et les choses se concrétisent. Le 17 février dernier, le Parlement européen a déposé une résolution contenant des recommandations à la Commission européenne concernant des règles de droit civil sur la robotique.

Un potentiel économique à exploiter

Les députés demandent à la Commission de proposer des règles sur la robotique et l’intelligence artificielle en vue d’exploiter pleinement leur potentiel économique et de garantir un niveau standard de sûreté et de sécurité. Ils soulignent que des normes réglementaires pour les robots sont envisagées dans plusieurs pays et que l’UE doit prendre l’initiative pour les fixer afin de ne pas être contrainte de suivre celles édictées par des pays tiers.

L’utilisation croissante de la robotique soulève par ailleurs des questions éthiques, liées par exemple à la vie privée et à la sécurité, expliquent les députés. Ils proposent un code de conduite éthique volontaire sur la robotique pour les chercheurs et les concepteurs. L’objectif est de garantir qu’ils opèrent conformément aux normes juridiques et d’éthique, et que la conception et l’utilisation des robots respectent la dignité humaine. De plus, les députés exhortent la Commission à envisager la création d’une agence européenne pour la robotique et l'intelligence artificielle afin de fournir aux autorités publiques une expertise technique, éthique et réglementaire.

La rumeur veut que Benoît Hamon se soit inspiré de ce rapport européen pour lancer son idée. Les raccourcis étant vite faits, d’aucuns ont tiré la conclusion que Mady Delvaux elle-même était pour une taxe robots. Elle s’en est pourtant défendue, notamment dans la presse française. « Personnellement, je ne suis pas en faveur de cette mesure, car cela risque de freiner l’innovation, et je ne veux pas la freiner. Je suis assez âgée pour me rappeler qu’il y a déjà eu l’idée par le passé d’une taxe machine, d’une taxe sur les ordinateurs, d’une taxe carbone… Toutes ces idées n’ont jamais été réalisées. Les gouvernements sont très prudents, car ils ont peur de la concurrence, de créer un désavantage compétitif », a-t-elle confié à nos confrères du magazine Society. Le rapport qu’elle a dirigé soulève plutôt le fait qu’on ne sait pas ce qu’il va se passer en matière d’emploi, et qu’il faut être particulièrement vigilant en la matière. Sans plus.

Un impact difficile à chiffrer

Que disent alors les experts sur la destruction d’emplois liée à la robotisation ? Ils sont partagés. Des études plus ou moins alarmistes ont tenté d’évaluer l’impact de la digitalisation sur nos emplois. L’étude publiée en 2013 par Frey et Osborne, deux chercheurs de l’Université d’Oxford, a révélé qu’aux Etats-Unis un emploi sur deux (47 %) serait menacé par la numérisation de l’économie. Depuis lors, ces résultats ont pu être affinés et relativisés. Une étude de l’OCDE, en considérant que l’automatisation d’une partie des tâches liées à un emploi ne conduisait pas forcément à sa suppression, mais bien à des adaptations, a permis de réduire le taux d’emploi menacés à « seulement » 9%.

Selon cette même étude, le risque d’automatisation peut fortement varier d’un emploi à un autre. Si le risque d’automatisation est de 40 % pour les métiers occupés par les salariés les moins qualifiés, il tombe sous la barre des 5 % pour les universitaires. Les métiers moins rapidement touchés seront ceux qui font appel à des aptitudes singulières de l’humain, comme l’intelligence émotionnelle, compétence- clé du domaine médical et du service à la personne notamment, ou encore la créativité, utile à la production artistique, l’écriture.

Bien sûr, dans ces nombreux métiers, les robots pourraient s’avérer être des alliés importants. Il ne sera pas rare, dans certaines fonctions, de voir le robot devenir un collègue de travail à part entière. Toutefois, beaucoup s’accordent à dire aujourd’hui qu’un robot aura toutes les peines du monde à nouer et développer une relation de confiance, comme celle qui peut s’établir entre deux personnes dans une relation commerciale, par exemple.

Attention à ne pas freiner l’innovation

Si la digitalisation détruit des emplois, elle en crée de nouveaux. Aujourd’hui, l’économie n’a jamais eu autant besoin de développeurs, d’architectes IT, de spécialistes de l’analyse des données. A l’horizon 2020, on parle de quelque 700.000 emplois dans le domaine du digital que l’on peinera à occuper, faute de compétences. On ne fait pas grand-chose de la technologie sans une intelligence humaine pour la mettre en oeuvre. Enfin, il faut bien avoir conscience que la destruction de certaines fonctions, si elle est attendue, ne sera que progressive.

Au final, nul ne met en doute que la robotisation va avoir un impact sur le marché de l’emploi, partout dans le monde. Il faudra veiller à l’avenir à permettre aux personnes les moins qualifiées, et donc les plus facilement remplaçables, à se former à d’autres tâches, à acquérir de nouvelles compétences, pour travailler avec le robot, de façon inclusive et non exclusive. Cela aura un coût que les gouvernements vont devoir intégrer. Mais, pour beaucoup, la taxe robots n’est pas la solution miracle.

Si l’on taxe les entreprises qui utilisent des robots, on freine inévitablement l’achat de tels équipements, ce qui entraîne un déficit de productivité et de compétitivité pour des entreprises européennes confrontées à une concurrence mondiale. Nicolas Henckes, secrétaire général de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL), dans une récente carte blanche, a qualifié cette taxe robots de fausse bonne idée : « Il faut surtout continuer à former nos salariés pour qu’ils puissent utiliser le potentiel de ces robots en tous genres et libérer leur force de travail pour accomplir des tâches à plus forte valeur ajoutée ou qui requièrent des aptitudes sociales inaccessibles aux robots pour encore un moment ».

C’est sans doute dans cette capacité à se réinventer que les Etats européens, dont le Luxembourg, parviendront à faire de cette montée en puissance robotique une opportunité pour les générations futures.

Michaël Peiffer