Dans la conférence organisée par la Chambre des salariés (1) en janvier dernier, les deux universitaires français, Serge Vandemini et Jacques Liouville, n’ont pas considéré l’arrivée des robots – et de l’intelligence artificielle – dans le secteur de la logistique et des transports comme un drame social (études statistiques à l’appui), mais comme une opportunité. Sans nier le fait que s’annonce une véritable révolution technologique et sociale. Le Luxembourg doit se préparer à cette transition robotique afin de tirer son épingle du jeu et renforcer sa compétition logistique dans le transport.

Dans cet article, nous avons souhaité porter à nouveau un regard sur les activités logistiques et de transport telles qu’elles se déroulent aujourd’hui, à la lumière de ce qui fut développé lors de cette conférence.

L’évolution de la logistique 

Dans la plupart des activités, incluse celle du transport qui est une des principales priorités luxembourgeoises, l’évolution de la logistique va dans le sens d’une intensification et d’un contrôle du travail. L’approvisionnement, la transformation de la matière, l’entreposage, l’identification automatique et les échanges de données informatiques sont des tâches liées les unes aux autres. Face à la compétitivité logistique à l’échelle internationale, l’enjeu est aujourd’hui d’optimiser la chaîne dans son ensemble, du fournisseur aux clients, mais aussi aux producteurs et opérateurs logistiques (Supply Chain). Le recours aux techniques de l’information et de la communication (TIC) d’une part et à l’intelligence artificielle (capacité de calculs des ordinateurs toujours plus puissante) d’autre part offrent sans nul doute la possibilité aux chefs d’entreprise à la fois d’optimiser et de maîtriser la fiabilité et la fluidité des flux physiques : rapidité, réactivité à la demande, cohérence des coûts, amélioration de la productivité et de la qualité (zéro défaut, zéro stock). On peut citer comme exemple la modélisation des plans de transport qui génère une baisse des coûts et une économie de carburant, l’entreposage avec l’ajustement optimal des niveaux de stocks grâce à l’automatisation. Parmi les évolutions attendues, le développement de l’interopérabilité des systèmes d’informations déjà a l’oeuvre dans certains secteurs, qui aura pour conséquence l’amélioration de la traçabilité et la diminution des coûts. Un enjeu crucial pour l’activité économique dans presque tous les domaines d’activité, celui de l’industrie comme celui des services. 

Le robot, un terme vague

A la différence de l’automate, un robot est une machine intelligente dotée d’un certain degré d’autonomie grâce à la présence de capteurs lui permettant de comprendre son environnement, de processeurs pour l’analyser et prendre des décisions, de moteurs, d’outils, de bras articulés pour agir… La dernière génération de robots, plus performante, a en outre la capacité de collaborer avec les hommes (les robots d’assistance). Cependant, dans la majorité des situations, le robot reste inadapté aux actions complexes qui requièrent des capacités d’initiatives, laissant à l’homme, pour longtemps encore, la maîtrise de la machine. Car si les ordinateurs peuvent être dotés d’une mémoire colossale, quasiment sans limite, leur capacité d’apprentissage (les leçons tirées de l’expérience) est l’une des limites de l’intelligence artificielle.

Parmi les principaux robots existants, on compte des véhicules automatiques (Automatic Guided Vehicle) pour déplacer des produits, mettre en stock, assurer le picking, charger ou décharger des véhicules, des bras robotisés pour trier les colis ou palettes tels que Fetch robotics, clearpath robotics, grey orange robotics, des systèmes good to man qui apportent directement les marchandises à l’opérateur sans qu’il ait besoin de quitter son poste, des robots de surveillance... Ces derniers, par exemple, peuvent accomplir des performances égales sinon supérieures aux humains telles des rondes dans le noir ou bien détecter, grâce à des capteurs, le moindre mouvement, prévenir le responsable le cas échéant et éviter ainsi de mettre en danger la vie d’un employé. Tout comme le nettoyage industriel, la surveillance, la maintenance et l’assistance médicale, les activités de la logistique et du transport se prêtent bien à la robotisation en raison de l’existence de nombreuses tâches répétitives.

Pour autant, les solutions robotiques n’ont pas encore pénétré le secteur de la logistique, à l’exception des Etats-Unis où leur progression dans les entrepôts, notamment ceux des géants du Web, est « galopante ». Citons le cas du géant américain du commerce électronique, Amazon, l’un des premiers à opter pour la robotisation de sa logistique. L’entreprise continue d’équiper massivement ses entrepôts, ce qui lui permet d’étendre son champ d’action, avec le succès que l’on connaît. Autre exemple, mais en Europe cette fois, l’entreprise allemande de commerce en ligne, Zalando, présente dans 14 pays, et qui fait de la robotique son cheval de bataille. Dans un futur proche, une dizaine d’années environ, les robots envahiront les entrepôts dans la plupart des secteurs et cela essentiellement pour des raisons économiques : hausse du coût de la main-d’oeuvre, flexibilité, travail à flux tendu, concurrence exacerbée. Tel est le principal constat fait par le cabinet français de conseil en stratégie, Roland Berger, cité plusieurs fois par les universitaires. Dans l’immédiat, bien que le coût complet des solutions robotiques soit en forte baisse et leurs performances considérablement améliorées, leur coût reste encore dissuasif pour un grand nombre d’entreprises luxembourgeoises et européennes. Partant, leur introduction dans l’entreprise se fera de façon lente et progressive. Les entreprises de la logistique, celles du transport incluses, doivent se mettre au travail avec les organisations professionnelles, les organismes de formation et de recherche universitaires afin d’anticiper et de réfléchir ensemble aux réponses à apporter, notamment en matière d’emploi – nécessité de modernisation –, de former aux nouveaux métiers les salariés, de repenser l’organisation du travail, inévitablement chamboulée par l’arrivée de ces solutions technologiques.

Les répercussions sur l’emploi

Les robots vont-ils tuer l’emploi ? Force est de constater que le remplacement des hommes par les machines semble inéluctable. Les ouvriers spécialisés des chaînes de montage de la construction automobile furent les premiers à en faire les frais. La question qui se pose alors est celle de savoir combien d’emplois seront détruits et surtout s’ils seront compensés par des emplois à plus haute valeur ajoutée ou non. Les nombreuses études consacrées à cette question révèlent des estimations, souvent diamétralement opposées, allant de 10 % à 52 % des emplois qui pourraient être détruits. En cause, les méthodes de recherche utilisées, selon Serge Vendemini, qui classe ces études en deux catégories distinctes : celles qui privilégient la notion d’emploi et celles qui privilégient la notion de tâches, l’emploi dans ce cas étant compris comme une succession de tâches ; et d’observer qu’il est rare en effet qu’un emploi soit totalement monotâche. Les analyses les plus récentes de l’ODCE en 2016 et celles du Conseil d’orientation des retraites français en 2017 ont une approche similaire en mesurant le risque d’automatisation de chaque emploi selon les tâches qui le composent, ce qui leur a permis d’estimer de 9 à 15 % la disparition des emplois dans le secteur logistique. Dès lors, c’est la catégorie des emplois monotâches peu qualifiés tels que manutentionnaire, cariste, conducteur de chariots, ouvrier du tri… qui sera en priorité concernée. Dans le secteur de la logistique luxembourgeoise, qui emploie quelque 13.000 personnes, le nombre de personnes touchées est estimé à 3.800, soit 30 % des employés. Ces chiffres sont-ils fiables ? La vérité est, semble-t-il, que personne ne sait prévoir l’avenir technologique à l’horizon de dix ou vingt ans ni mesurer son impact sur l’emploi. Si on peut raisonnablement s’attendre à une augmentation du chômage – la création de nouveaux métiers générés par la robotisation (loueurs, formateurs, gestionnaires de plateformes…) ne compensera pas la perte d’emplois (rapport du Cabinet Roland Berger) – on peut aussi s’attendre à un déplacement vers les emplois de services à la personne.

Anticiper demain

Les entreprises doivent se préparer à cette transition technologique afin de renforcer leur compétitivité logistique et de ne pas laisser sur le tapis des employés. L’amélioration de la compétitivité logistique (en Europe) s’avère être la bonne solution pour échapper au scénario-catastrophe. Pour cela, les logisticiens doivent réussir à attirer sur leur sol les centres de distribution pour tout ou partie de l’Europe. C’est en gagnant en compétitivité, et cela grâce à la robotisation notamment, que la logistique luxembourgeoise réussira à gagner des parts de marché. D’ores et déjà, le géant japonais de la construction de robots industriels, FANUC, implanté depuis 2012 dans le pays, a fait récemment savoir qu’il investissait au Luxembourg pour en faire son hub européen de distribution de robots qu’il fabrique au Japon. Une implantation qui devrait générer la création d’une centaine d’emplois. L’entreprise prévoit d’assurer la formation aux techniques de pointe.

Par ailleurs, grâce à la robotisation, les entreprises de la logistique et du transport peuvent réaliser un gain en surface de stockage, une économie d’énergie, un gain sur les coûts de manutention et, surtout, point rarement abordé, une économie d’accidents de travail – de prise en charge des troubles musculo-squelettiques – dont on ne dit pas assez combien ils sont traumatisants et coûteux dans le secteur de la logistique. L’investissement dans la robotique conduit également à juguler l’inflation des salaires. Selon une estimation du Cabinet Roland Berger, le coût horaire complet d’un robot se situe à 18-20 EUR/heure alors que le coût moyen d’un employé est de 14-15 EUR/ heure en zone euro, mais de 17-18 EUR actuellement en France et demain, sans doute plus. La Chine l’a bien compris, qui devant faire face à une forte inflation de son coût de main-d’oeuvre est en train de devenir le plus gros investisseur mondial dans le domaine de la robotique. Autre exemple, celui d’Amazon. L’introduction massive de solutions robotisées dans ses entrepôts a permis à l’entreprise de solutionner un certain nombre de problèmes tels que les absences, turnover, vols dans ses gigantesques entrepôts liés à de mauvaises conditions de travail, etc. Ce qui n’a pas manqué d’être raillé, à juste titre, les robots étant qualifiés « d’armée de l’ombre silencieuse et corvéable ». Plus que le fait de rogner sur les coûts, le principal souci semble être également de gagner en efficacité. Par-delà les préoccupations économiques, les entreprises de la logistique et du transport se doivent d’être en mesure d’apporter des solutions de formation immédiates aux salariés les moins qualifiés et ainsi éviter le passage par le chômage. Indubitablement, la clé de la réussite réside dans la préparation de la transition technologique. A défaut, son impact social pourrait être désastreux.

Souvent désignée comme responsable du chômage, la machine a aussi à long terme des effets positifs. C’est la fameuse « destruction créatrice » de Schumpeter, un processus continuellement à l’oeuvre dans les économies et qui implique la disparition de secteurs d’activité économique parallèlement à la création de nouvelles activités. Après tout, dans le secteur industriel, l’automobile a supprimé les emplois de cochers et de constructeurs de fiacres, mais a créé une industrie nouvelle (à l’origine de la révolution industrielle), créatrice de milliers d’emplois. Le secteur de la logistique est lui aussi à l’aube d’une nouvelle révolution, technologique celle-là.

Martine Borderies 

Pour aller plus loin :

 

(1) Conférence Robotisation et généralisation des algorithmes de demain : quelles menaces pour les emplois de demain ? organisée par la Chambre des salariés le 31 janvier 2017.