La Commission européenne a présenté le 22 mars 2017 une proposition de directive (ci-après « proposition ») ayant pour objectifs de doter les Autorités Nationales de la Concurrence (ci-après « ANC ») de moyens permettant une mise en oeuvre plus efficace des règles européennes de la concurrence, de mettre en place des garanties et des instruments identiques pour le droit national de la concurrence quand il est appliqué parallèlement aux articles 101 et 102 du TFUE, et d’instaurer des règles efficaces en matière d’assistance mutuelle dans le but de préserver le bon fonctionnement du marché intérieur et le système de coopération étroite au sein du REC (Réseau Européen de la Concurrence). La proposition prévoit des normes minimales, les Etats membres auront donc la possibilité de poser des normes plus exigeantes, d’adapter leurs règles aux spécificités nationales.

Certaines ANC ne disposent pas de tous les moyens et instruments nécessaires afin de garantir l’application efficace des articles 101 et 102 du TFUE. Notre Conseil de la concurrence (ci-après « Conseil ») dispose, à notre avis, depuis la réforme opérée en 2011, d’instruments suffisants pour faire respecter les règles de concurrence. Par contre, notre Conseil ne dispose manifestement pas d’assez de ressources pour garantir une intervention rapide, et le renforcement des ressources du Conseil ne constitue pas une priorité politique pour les partis politiques… Pourtant, un tel renforcement serait dans l’intérêt du consommateur…

Renforcement de l’indépendance des autorités de concurrence

On se souviendra des discussions concernant le statut du Conseil lors de la révision de la loi du 17 mai 2004 relative à la concurrence, remplacée par la loi du 23 octobre 2011 (ci-après « loi concurrence »). A notre avis, l’indépendance doit certainement être garantie par la loi, mais l’indépendance et l’autorité du Conseil dépendent plus des membres du Conseil et des ressources à disposition que de son seul statut juridique…

La proposition, en son chapitre III relatif à l’indépendance et aux ressources, pose des dispositions non prévues par la loi concurrence. En effet, la proposition vise à conférer aux ANC des garanties d’indépendance en protégeant notamment le personnel et la direction des ANC de toute influence extérieure lors de l’application du droit européen de la concurrence, en faisant notamment en sorte que ces derniers aient le pouvoir de rejeter des plaintes pour des raisons de priorité. Notre Conseil est bien évidemment favorable à cette proposition dans la mesure où le pouvoir de fixer les priorités lui permettrait de se focaliser sur les infractions les plus dommageables pour la concurrence(1). Nous avons des doutes quant à l’opportunité d’introduire ce pouvoir car des dossiers sensibles pourront simplement être classés au motif de ne pas rentrer dans les priorités de notre Conseil...

Introduction d’un noyau minimum de pouvoirs effectifs

S’agissant des pouvoirs d’enquête et de décision des ANC, ceux-ci varient entre les différentes ANC, ce qui peut avoir des répercussions sur leur efficacité. C’est la raison pour laquelle la proposition prévoit, en son chapitre IV, la mise en place d’un noyau minimum de pouvoirs effectifs, c’està- dire un pouvoir d’enquête comprenant le pouvoir d’inspecter les locaux commerciaux et non commerciaux, et un pouvoir de décision, comportant notamment le pouvoir d’imposer des mesures correctives de nature comportementale et structurelle proportionnées à l’infraction commise et nécessaires afin de faire cesser effectivement l’infraction. Il convient de noter que la loi relative à la concurrence reprend la plupart des dispositions de ce chapitre, mais possède quelques lacunes notamment en ce qui concerne les mesures conservatoires ; la loi relative à la concurrence ne permet leur octroi qu’à la demande de toute partie concernée alors que la proposition prévoit la possibilité d’imposer des mesures provisoires ex officio.

Il convient également de noter que l’effet dissuasif des amendes varie à travers l’Europe puisqu’il existe des différences dans les méthodes de calcul des amendes qui peuvent avoir une incidence sur le niveau d’amendes infligées par les ANC. Il apparaît comme nécessaire de fixer, comme le prévoit l’article 14 de la proposition, un maximum légal qui ne soit pas inférieur à 10 % du chiffre d’affaires mondial total réalisé au cours de l’exercice social précédent la décision. Les ANC devraient, au moment de la fixation du montant de l’amende, prendre en considération la gravité et la durée de l’infraction. La proposition établit un catalogue détaillé d’amendes allant au-delà de ce qui est actuellement prévu par la loi relative à la concurrence. La proposition prévoit notamment que les ANC puissent infliger des amendes pour refus de soumission à une inspection de locaux professionnels, bris de scellés apposés au moment des inspections ou encore pour avoir fourni des réponses incorrectes, incomplètes ou dénaturées, ou bien l’absence de réponse lors des inspections. Cette extension permettra d’accroître l’effectivité de l’action des ANC en incitant les entreprises à coopérer et à respecter leurs obligations, comme l’a déclaré le Conseil dans son avis(2). Ce dernier est donc favorable à l’extension du catalogue des amendes.

Harmonisation des règles de clémence

L’intérêt principal de la proposition réside dans le chapitre relatif à la clémence. Les programmes de clémence permettent de détecter des ententes secrètes et aident à sanctionner les violations du droit de la concurrence. La proposition a pour objectif de renforcer la sécurité juridique pour les entreprises souhaitant demander la clémence, en réduisant les différences entre les divers programmes applicables dans les Etats membres, en prévoyant notamment des conditions cumulatives, en son article 18, afin que le demandeur puisse bénéficier de la clémence. Comme l’a noté le Conseil, la proposition prévoit également une liste d’actes illustrant les comportements constituant une coopération véritable, totale, permanente et rapide ainsi que des actes proscrits de la part d’un demandeur de clémence. Ce chapitre VI (relatif à la clémence) garantit également aux salariés et aux administrateurs d’entreprise, lorsqu’ils introduisent une demande d’immunité, une protection contre les sanctions individuelles, à condition qu’ils coopèrent avec les autorités. Cet élément est important compte tenu du fait que les demandes de clémence dépendent souvent de la volonté des salariés de coopérer sans crainte d’encourir de sanctions. La loi relative à la concurrence ne comprend pas de dispositions semblables, mais le Conseil de la concurrence paraît y être favorable.

Renforcement des règles concernant l’assistance mutuelle

Enfin, le chapitre VII de la proposition est relatif à l’assistance mutuelle et représente un aspect important de cette proposition. En effet, l’assistance mutuelle est indispensable à l’établissement d’une coopération étroite au sein du REC et assure l’efficacité du système décentralisé dont dépend l’application effective du droit européen de la concurrence. Ce chapitre vise notamment à permettre aux agents de l’ANC requérante, lorsque des preuves sont situées sur un autre territoire, d’assister et de participer activement à l’inspection (article 23 de la proposition). Grâce à cette mesure, l’efficience et l’efficacité des inspections seront renforcées. Le Conseil a exprimé, dans son avis, son profond soutien à l’adoption de cette disposition.

Enfin, l’article 25 de la proposition est relatif à l’assistance à prêter aux ANC des autres Etats membres quant aux demandes d’exécution des décisions infligeant des amendes ou des astreintes que l’autorité requérante adopterait en vertu des articles 12 et 15 de la proposition.

Conclusion

La proposition vise certainement à rendre plus efficace l’intervention des autorités de concurrence en leur conférant encore davantage de pouvoirs. Selon notre avis, notre Conseil dispose déjà aujourd’hui d’assez d’instruments pour sanctionner des abus de position dominante et des cartels. Plutôt que d’introduire encore des instruments nouveaux, il serait opportun de doter notre Conseil de plus de ressources afin de lui permettre d’utiliser les instruments actuellement à disposition et de créer enfin des règles procédurales plus claires dans l’intérêt de faire respecter le principe de l’égalité des armes et le principe du contradictoire plutôt que de doter le Conseil de plus d’instruments encore.

Me Gabriel Bleser, Partner, Avocat à la Cour
Me Gabriel Bleser, Partner, Avocat à la Cour

3MOYSE BLESER – Avocats à la Cour

(1) Avis du Conseil de la concurrence, 12 juillet 2017, n° 2017-AV-02.

(2) Avis du Conseil de la concurrence, 12 juillet 2017, n° 2017-AV-02.

(3) Me Bleser est associé fondateur de l’étude MOYSE BLESER et président de l’Association Luxembourgeoise pour l’Étude du Droit de la Concurrence (ALEDC) et spécialisé en droit de la concurrence.