La planification patrimoniale est un sujet qui occupe un nombre croissant de ménages de nos jours. Et pour cause. Familles recomposées, délocalisations, diversification du patrimoine et bien d’autres raisons justifient une intervention préalable pour garantir une transmission réussie des avoirs aux prochaines générations.

Or, une démarche de planification patrimoniale nécessite nécessairement la prise en compte des règles qui seront applicables à la succession future. Si vous habitez aujourd’hui au Luxembourg, il y a de fortes chances que votre succession sera régie par la loi luxembourgeoise. Trop souvent, les règles fondamentales en matière de dévolution successorale restent cependant méconnues.

La présente contribution est l’occasion de donner un aperçu sur i) la détermination de la loi applicable à la succession, ii) quelques règles fondamentales de la loi successorale luxembourgeoise et iii) l’articulation d’une assurance-vie comme outil d’organisation patrimoniale dans ce contexte.

La loi applicable à la succession

Avec l’entrée en vigueur du règlement européen 650/2012(1) (le « règlement »), les successions ouvertes au Luxembourg sont, depuis le 17 août 2015, régies par une loi unique. L’adoption du règlement a ainsi mis un terme à l’application du système scissionniste, notamment suivi au Luxembourg auparavant, et qui conduisait régulièrement à l’application de lois différentes selon la nature et la localisation des biens compris dans la succession.

A défaut de disposition testamentaire dérogatoire, la succession est dorénavant en principe soumise à la loi du pays dans lequel le défunt avait sa dernière résidence habituelle, et ceci sans égard à la localisation des biens composant le patrimoine du défunt.

Une deuxième grande innovation du règlement consiste dans l’option accordée au défunt d’effectuer un choix de loi en faveur de la loi successorale du pays dont il est un ressortissant au moment du choix, ou au moment de son décès. Ce choix doit être exprimé de manière expresse ou découler des termes d’une disposition testamentaire. Un résident luxembourgeois ayant la nationalité anglaise ou la double nationalité luxembourgeoise-anglaise pourrait dès lors opter pour l’application de la loi anglaise à sa succession.

Il faut noter que cette même unicité n’est pas donnée au niveau fiscal. Aussi faut-il préciser que le Luxembourg n’a, contrairement à ce qui est le cas en matière d’impôts directs, conclu aucune convention contre la double imposition en matière de droits de succession. Il n’est ainsi pas rare que plusieurs Etats exercent leur pouvoir d’imposition concurremment à l’égard d’une même succession, ce qui peut mener à une double imposition.

Quelques règles luxembourgeoises en matière successorale

Afin de déterminer les droits des héritiers et légataires dans la succession du défunt, il faut évidemment d’abord déterminer quels biens sont compris dans la succession.

La succession comprend d’abord tous les biens qui se trouvent dans le patrimoine du défunt au moment de son décès. Si le défunt était marié, il convient au préalable de liquider le régime matrimonial afin de déterminer les contours de son patrimoine. Selon le régime matrimonial choisi, le patrimoine du défunt sera plus ou moins important au moment de son décès(2)

D’autres biens qui auront précédemment quitté le patrimoine du défunt pourront cependant être réintégrés dans la succession. En effet, toutes les donations (sans limite dans le temps) effectuées par le défunt de son vivant à ses héritiers sont en principe rapportables, c’est-àdire qu’elles devront être rapportées par leurs bénéficiaires pour être réintégrées dans la succession au moment du décès.
La règle du rapport vise ainsi à préserver l’égalité entre les héritiers en imputant les donations dont ils ont bénéficié de la part du défunt sur leur part respective dans la succession.

Le donateur peut cependant écarter la règle du rapport en exprimant sa volonté de vouloir donner hors part et avec dispense de rapport. Dans ce cas, la donation ne devra pas être rapportée à la masse successorale. Elle pourra cependant faire l’objet d’une demande en réduction par les héritiers réservataires lorsqu’elle entame la réserve héréditaire accordée à ceux-ci.

La loi luxembourgeoise accorde en effet une réserve légale au profit des descendants du défunt. Celle-ci varie en fonction du nombre d’enfants et selon que le défunt laisse ou ne laisse pas de conjoint survivant. Avec la réserve légale varie également la quotité disponible, c’est-à-dire la portion du patrimoine dont le défunt peut librement disposer. Le mécanisme de la réduction vise à maintenir intacte une certaine fraction du patrimoine du défunt au profit de ses descendants directs. Si le dépouillement a dépassé la limite de la quotité disponible, il y aura lieu à réduction de la libéralité à due concurrence. Ce mécanisme est d’ordre public et s’applique à n’importe quel bénéficiaire, à l’opposé du rapport qui ne s’impose qu’aux héritiers.

Les donations et legs effectués par le défunt ne sont donc pas immuables, mais risquent selon les cas de devoir être rapportés par leurs bénéficiaires et/ou être réduits.

Notons en passant que le partenaire légal n’a pas de droits dans la succession de son partenaire prédécédé à moins que celui-ci ne l’ait institué légataire par voie de disposition testamentaire.

Libéralités et assurance-vie

Il n’est pas rare que le défunt souhaite gratifier certains de ses héritiers, voire des tiers à la famille. A cet effet, le défunt peut soit effectuer une donation de son vivant, soit gratifier par voie testamentaire d’un legs. Les conditions de validité et le régime fiscal varieront sensiblement selon l’option choisie.

A côté des donations et legs, l’assurancevie est également couramment utilisée comme outil de planification patrimoniale. Mais comment est-elle traitée dans le contexte de la succession ?

Selon les cas, le droit au capital sera exclu ou compris dans la masse successorale.

L’assurance-vie contractée au profit d’un tiers est un cas typique d’application de la stipulation pour autrui. En contractant une assurance-vie, le souscripteur, stipulant, obtient de l’assureur, promettant, l’engagement de verser à une tierce personne qu’il aura en principe préalablement désignée, un capital dont le montant est prédéterminé. En contrepartie, le preneur s’engage à verser à échéances fixes, une prime établie en proportion du capital assuré. Le droit au capital de l’assurance-vie ne constituera ici pas un droit compris dans la masse successorale du défunt et il échappera dès lors en principe tant aux héritiers qu’aux créanciers du défunt souscripteur. Le bénéficiaire désigné recueillera le capital et en bénéficiera indépendamment de ses droits éventuels dans la succession. Notons qu’au niveau fiscal (droits de succession), le capital payé au bénéficiaire de l’assurance-vie sera dans ce cas, en principe, traité comme un legs et risque dès lors d’être soumis aux droits de succession.

En revanche, si le contrat d’assurance ne prévoit pas de bénéficiaire déterminable, le capital de l’assurance sera compris dans la masse successorale. Il sera alors réparti entre les héritiers en proportion de leurs droits dans la succession compte tenu des dispositions légales et/ou testamentaires.

Au vu de la réserve légale des descendants, se pose alors la question de savoir si l’assurance-vie est à traiter comme une libéralité, et si tel est le cas, à concurrence de quel montant. Même si le bénéficiaire de l’assurance est dispensé du rapport ou s’il ne vient pas à la succession, les héritiers réservataires pourraient en effet exiger que le montant de l’assurance entre en ligne de compte pour vérifier si la quotité disponible a été dépassée et, le cas échéant, pour en demander la réduction.

En effet, dès lors que le preneur d’assurance s’appauvrit sans contrepartie et dans une intention libérale en vue d’enrichir le bénéficiaire du montant du capital, l’assurance-vie devrait vraisemblablement être qualifiée comme libéralité et en tant que telle être prise en compte dans le cadre du partage successoral.

Mais quel est le montant qui devra être pris en considération à cet effet, celui des primes payées par le souscripteur de son vivant ou celui du capital qui sera payé par l’assureur après le décès du souscripteur ? La loi 27 juillet 1997 sur le contrat d’assurance ne contient aucune disposition dérogatoire au droit commun à cet égard. A défaut de réglementation spécifique, il faudra raisonner sur la base des règles générales en matière de droit successoral luxembourgeois pour déterminer s’il convient de prendre en compte le montant du capital payé au décès ou les primes payées par le souscripteur de son vivant.

Sans pouvoir aller dans le détail, il convient d’indiquer que la réponse à cette question ne fait pas l’unanimité. Alors qu’un certain nombre d’arguments militent en effet en faveur de la prise en compte du capital, d’autres s’y opposent. Notamment les règles d’évaluation appliquées aux donations dans le contexte de la vérification du respect de la réserve plaideraient en faveur de la prise en compte du capital plutôt que des primes.

Comme signalé précédemment, la réponse à cette question a toute son importance dans la mesure où le montant ainsi attribué au bénéficiaire pourrait, selon les cas, dépasser la quotité disponible dont le défunt pouvait librement disposer et être remis en cause par les héritiers réservataires du défunt.

Marianne Rau, Partner
Marianne Rau, Partner
Marc Berna, Associate, Private Wealth, Arendt & Medernach
Marc Berna, Associate, Private Wealth, Arendt & Medernach

(1) Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

(2) En présence d’un régime de communauté universelle avec attribution de celle-ci au conjoint survivant, par exemple, l’ensemble du patrimoine des époux sera attribué au conjoint survivant lors du décès d’un des conjoints. La succession du défunt sera dès lors a priori réduite à zéro dans la mesure où tout son patrimoine aura été transféré à son conjoint survivant une seconde symbolique avant le décès.