Ce n’est un secret pour personne, le Luxembourg souffre de congestion routière… (et même ferroviaire). Le TomTom Traffic Index(1) nous apprend que sur l’année 2018, il fallait en moyenne ajouter 33 % au temps de trajet théorique pour un déplacement en voiture, un niveau comparable à celui de Sydney, Genève, Hambourg ou encore Shangai.

Dans ce classement de 403 aires urbaines, Luxembourg est la 64e la plus encombrée. A noter qu’il ne s’agit là que d’une moyenne 24h/24, 7j/7 : les lundi, mardi et mercredi entre 8h00 et 9h00, ce temps additionnel s’élève à 68 % et culmine même à 72 % le vendredi entre 17h00 et 18h00(2).

254 nouveaux salariés chaque semaine = 155 voitures supplémentaires !

On fait souvent le lien entre la saturation des infrastructures de transport et la croissance continue de la main-d’oeuvre frontalière. Effectivement, avec une moyenne de 133 frontaliers supplémentaires par semaine depuis cinq ans et une distance domicile-travail d’environ 38 km pour ces derniers, on comprend assez vite à quel point les contraintes d’utilisation des infrastructures se sont considérablement renforcées. Et le nombre de salariés résidents a lui aussi continué de croître avec, sur la même période, 121 nouveaux postes créés par semaine. Si ces derniers habitent en moyenne à 13 km de leur lieu de travail, ils n’empruntent pas pour autant les tronçons les moins saturés...

  LU FR BE DE
Distance moyenne 13 km 34 km 42 km 40 km
Temps de parcours moyen 34 min 54 min 51 min 49 min
Vitesse moyenne 22 km/h 38 km/h 49 km/h 49 km/h

Sources : Enquête Luxmobil 2017, Stratégie MODU 2.0.

Trajets domicile-travail

Au total, 73 % des salariés utilisent leur voiture pour se rendre au travail, 19 % prennent les transports en commun, 6 % se déplacent à pied et 2 % à vélo d’après l’enquête Luxmobil de 2017. Si l’on tient compte de cette répartition modale, les 254 nouveaux salariés hebdomadaires représenteraient donc 155 voitures supplémentaires (avec un taux d’occupation moyen de 1,2 passager), l’équivalent d’un nouveau bus (en considérant 48 passagers par bus) ainsi que 15 piétons et 5 cyclistes en plus... chaque semaine !

Les frontaliers ne sont pas seuls au plus fort du pic de trafic

En outre, les déplacements domicile-travail ne sont pas les seuls à mettre le Grand- Duché sous pression. Au plus fort du pic matinal, en particulier, ces derniers ne représentent qu’un peu plus de la moitié des déplacements, les mobilités domicileécole comptent pour le tiers du total et les déplacements privés pour plus de 10 %. Cela signifie aussi que les frontaliers ne représentent finalement « que » 25 % des personnes qui se déplacent, tous types de transports confondus, entre 7h et 8h…

Le gouvernement mise (surtout) sur le covoiturage

L’année dernière, le Luxembourg s’est doté d’une Stratégie pour une mobilité durable(3) (MODU 2.0) qui ambitionne à l’horizon 2025 de « réduire la congestion aux heures de pointe, tout en transportant 20 % de personnes de plus qu’en 2017 ».

Concrètement, si le nombre de salariés augmentait de 20 %, en comparaison à un scénario dans lequel les nouveaux salariés se comporteraient de la même manière que les salariés de 2017, la stratégie reviendrait d’ici 2025 à « éviter » 73.000 nouveaux automobilistes. 34.000 devraient se « convertir » en passagers de covoiturage, 14.000 en usagers des transports en commun, 15.000 en piétons et 10.000 en cyclistes ! (voir graphique).

Il est intéressant de noter que l’évolution la plus significative prévue dans la stratégie repose sur le développement du covoiturage. Le gouvernement ambitionne de faire évoluer le nombre moyen de passagers par voiture de 1,2 (1,16 pour les résidents et 1,22 pour les travailleurs frontaliers) à 1,5. S’il est difficile de faire une évaluation précise de l’application CoPilote lancée en 2018, plusieurs projets autoroutiers comme l’utilisation de la voie de secours de l’autoroute belge E411 (achevée à ce jour), le projet de voies de covoiturage côté luxembourgeois sur l’A6 (vers et depuis la Belgique) et l’A3 (vers et depuis la France) ainsi que la création d’une 3e voie dédiée sur l’A31 française, ou encore la multiplication des parkings relais pourraient y contribuer. Mais ces projets seront-ils suffisants pour convaincre 34.000 personnes de lâcher leur volant pour partager l’habitacle avec un proche, un inconnu, un collègue… d’ici à 2025 ? Assurément, d’autres leviers devront être activés pour accompagner ce qui pourrait s’apparenter à une « révolution culturelle express ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle de s’attaquer à « l’autosolisme ». Des incitations « radicalement » nouvelles mériteraient d’être testées comme des péages inversés, des indemnités kilométriques spécifiques, une mise à plat de la fiscalité des avantages en nature (leasing), etc. Comme le précise par ailleurs la stratégie MODU 2.0, la mobilité est l’affaire de 4 familles d’acteurs : les employeurs et les établissements d’éducation, l’Etat, le citoyen et les communes. Les partenaires transfrontaliers pourraient également être mentionnés ici.

Autre petite révolution qu’il conviendra d’accompagner, le nombre de cyclistes et de piétons doublerait par rapport à 2017 dans le scénario du MODU (passant de 32.000 à 64.000). Cette mesure concerne en premier lieu les résidents, pour lesquels une statistique de l’enquête Luxmobil de 2017 a pu interpeller : « 33 % des trajets domicile-travail des résidents sont inférieurs à 5 km. La moitié de ces trajets courts sont effectués en voiture ». Au total, même avec une hausse de la fréquentation espérée de 39 %, c’est le nombre de passagers des transports en commun qui augmenterait le moins vite d’ici à 2025.

Ces ordres de grandeur donnent une idée du défi qui attend tous les acteurs concernés par la mobilité sur le court terme. Constructions et rénovations d’infrastructures, achats de trains, de bus, gestion intelligente des flux, (dés)incitations fiscales, éducation, aménagement du territoire, logement, soutien à des nouveaux services, flexibilité du travail, urbanisme, coopération transfrontalière, il sera difficile d’y arriver sans activer pleinement tous les leviers disponibles. Du succès du MODU 2.0 dépendent en partie trois grands projets : celui de l’amélioration du cadre de vie, celui du respect des engagements climatiques et celui de l’attractivité globale du pays. 

Une ambition transfrontalière

Le ministre en charge des mobilités ne s’y est pas trompé en faisant la promotion du MODU 2.0 chez ses partenaires transfrontaliers : la stratégie ne pourra vraisemblablement pas aboutir sans un effort à cette échelle. Le protocole d’accord entre les gouvernements luxembourgeois et français relatif au renforcement de la coopération en matière de transport, signé à Paris le 20 mars 2018, est un exemple intéressant de coordination des investissements. Prévoyant un apport maximum de 120 millions EUR par le Luxembourg conditionné à un investissement au moins équivalent côté français, il ne concerne pour l’heure « que » des projets ferroviaires (110 millions EUR) et des parkings de covoiturage (10 millions EUR), mais pourrait très bien servir d’exemple à d’autres projets, y compris avec les deux autres pays voisins.

Les conclusions des prochaines enquêtes de mobilité (qu’il conviendrait de systématiser compte tenu des enjeux), mais aussi les résultats du Modèle MUltimodal et Scénarios de mobilité Transfrontaliers (projet de coopération Interreg MMUST) de modélisation et de simulation des déplacements à l’échelle de la Grande Région devront rapidement être intégrés dans le pilotage de la stratégie pour une mobilité durable.

Vincent Hein, Economiste, Fondation IDEA asbl
Vincent Hein, Economiste, Fondation IDEA asbl

(1) https://www.tomtom.com/en_gb/traffic-index/ luxembourg-traffic.

(2) Ce qui signifie qu’en moyenne, sur ce créneau horaire, un trajet théorique d’1h00 en prend 1h43.

(3) https://transports.public.lu/fr/publications/ strategie/modu-2-brochure-fr.html.