De prime abord, il peut sembler curieux d’associer le secteur de l’immobilier et les nouveautés technologies. En effet, l’immobilier, généralement réputé pour son inertie, pas seulement eu égard à son étymologie, contraste quelque peu avec les nouvelles technologies qui sont, elles, en perpétuel mouvement.

Du développement immobilier dans le jeune « métavers » à la maison connectée déjà bien implantée dans les pays industrialisés, les interrogations juridiques sont diverses et variées. Le sujet étant vaste, nous avons volontairement choisi de nous concentrer sur ces deux éléments, dignes d’intérêt.

Métavers

Le métavers est probablement un des buzz words de 2021 tant il a été cité dans des publications et recherché sur les moteurs de recherche. L’apothéose de cette mise en lumière, pour le public non initié, a probablement été l’annonce faite, fin octobre 2021, par la société Facebook, rebaptisée entre temps Meta, de vouloir non seulement s’intéresser au métavers mais plus spécifiquement encore de le concevoir à son image. Certains détracteurs crieront à une mauvaise blague d’Halloween et à la dystopie, alors que d’autres y verront le potentiel quasi illimité de développement grâce à ce nouvel écosystème, digne d’un eldorado digital.

 

  

 

Tout d’abord, qu’est-ce que le métavers exactement et en quoi est-il pertinent pour le secteur immobilier ?

Le métavers (contraction de méta et univers) est une sorte de nouveau monde virtuel, parallèle à celui que nous connaissons. Ce nouvel univers combine toute une série de nouvelles technologies pour créer une expérience inédite : réalité augmentée, réalité virtuelle, intelligence artificielle, reconstruction 3D, etc. Cet espace virtuel est accessible par différents canaux : via un navigateur Web classique ou un smartphone, ou encore en utilisant un casque de réalité virtuelle pour une expérience immersive. Ce concept de métavers aurait été introduit pour la première fois par Neal Stephenson dans son livre publié en 1992 ( Snow Crash ou, plus évocateur dans sa version traduite Le Samouraï virtuel ). Plus récemment encore, Second Life , sorti en 2013, a déjà permis à plus d’un million d’utilisateurs d’expérimenter une seconde vie digitale. L’innovation du métavers par rapport à Second Life réside dans l’aspect potentiellement décentralisé (Facebook/ Meta proposant un modèle centralisé alors que d’autres entreprises/plateformes (telles que Decentraland ou Sandbox) prônent le côté décentralisé cher à la blockchain en y incorporant la possibilité de réaliser des transactions via des cryptoactifs (BTC, ETH, Mana et autres altcoins ) et non en monnaie fiat comme Second Life) . Ce monde numérique est une reproduction logicielle d’une carte géante dans laquelle les utilisateurs peuvent circuler à l’instar des jeux vidéo MMORPG tels que World of Warcraft .

Une différence-clé étant que le métavers a un but plus large que le divertissement et prétend repousser les limites du monde physique, notamment en permettant d’acheter des terrains à bâtir, de construire des immeubles pour y héberger des bureaux virtuels, d’organiser des événements, de proposer des services de consultance, etc. Les utilisateurs de ces mondes décentralisé ont désormais la possibilité de créer des objets, de bâtir des projets – notamment en y associant leurs NFT (jetons non fongibles ou Non-Fungible Tokens (1) ) et titres de propriété, basés sur la blockchain. Les contraintes physiques liées au monde que nous connaissons pourraient même tout simplement disparaître (impératifs de stabilité d’un bâtiment, de résistance, etc), ouvrant le champ des possibles.

L’émergence de nouveaux acteurs apparaît donc inévitable : entre architectes et designers 3D de bâtiments, agents immobiliers virtuels, le secteur digital de l’immobilier n’est pas en reste dans ce monde digital. Dans un futur qui n’est probablement pas si lointain, il n’est pas exclu que le marché immobilier virtuel commence à proposer des services de crédit (en cryptomonnaies ?), des hypothèques et autres contrats de location d’habitations ou de bureaux. Des rumeurs ont notamment fait état d’un magasin H&M intégré au métavers et dans lequel les utilisateurs pourraient acheter leurs vêtements préférés sous forme de NFT. Début 2022, ce magasin virtuel n’était pas encore concrétisé et demeure à l’état de projet.

Cependant, ce n’est probablement qu’une question de temps avant que les marques n’envahissent le quartier digital de Fashion Street que Decentraland souhaite promouvoir en tant que QG numérique pour les magasins virtuels des maisons de luxe qui se doivent – plus par principe d’accroître leur présence (numérique) que par soucis de rentabilité – d’être sur les plus grandes avenues (digitales ?) du monde : Champs Elysées, 5th Avenue...

Le secteur privé n’est pas le seul à s’intéresser au métavers. Outre la réglementation en gestation pour la gestion et taxation des cryptoactifs, la Barbade a indiqué son souhait d’établir une ambassade dans le métavers. Si cela peut prêter à sourire, d’aucuns pourront aisément tracer le parallèle avec le Salvador, premier pays mondial (septembre 2021) à avoir adopté le Bitcoin comme monnaie officielle, probablement suivi de l’Ukraine à l’heure d’écrire ces lignes.

Si les perspectives du développement immobilier dans le monde digital semblent très prometteuses, les obstacles ou interrogations juridiques qui y sont liés restent nombreux.

Pas à pas, le mouvement semble donc prendre de l’ampleur...

À tel point que certains investisseurs liés au monde traditionnel de l’immobilier voient dans le métavers l’opportunité de diversifier leurs actifs ainsi qu’une nouvelle manière de communiquer ou d’être tout simplement présents. La fin de l’année 2021 a d’ailleurs été marquée par de multiples achats de terrains et même de maisons modélisées sur la plateforme Decentraland, certaines transactions se comptabilisant en millions EUR (2) . La banque d’affaires JP Morgan, très dubitative à l’égard des cryptoactifs il y a quelques années encore, vient d’annoncer mi-février 2022 avoir ouvert sa « vitrine » dans le métavers (3) . La banque a, par la même occasion, publié un rapport sur le métavers, constatant que les prix des parcelles immobilières ont doublé en l’espace de 6 mois en 2021 (passant d’un prix moyen de 5.000 EUR à 10.000 EUR) et estimant que les dépenses publicitaires dans ce monde virtuel pèseront près de 20 milliards USD en 2027 ! En ce qui concerne le marché des « crypto-arts », le Financial Times l’a évalué fin 2021 à 41 milliards USD, se rapprochant ainsi du marché de l’art traditionnel (4) .

Grâce aux nouvelles technologies (ou à cause de celles- ci, c’est selon), le secteur de l’immobilier sera presque nécessairement connecté par la force des choses. Si les technophiles peuvent légitimement s’en réjouir, il conviendra de garder à l’œil toutes les dérives potentielles dont la plupart sont certes déjà connues aujourd’hui bien qu’elles risquent de s’accentuer de manière exponentielle.

Quels sont les obstacles juridiques liés à ce métavers ?

Si les perspectives du développement immobilier dans le monde digital semblent très prometteuses, les obstacles ou interrogations juridiques qui y sont liés restent nombreux : y aura-t-il une réglementation spécifique pour les questions liées à l’urbanisme (octroi de permis, aménagement du territoire digital, etc) ? Quel(s) titre(s) de propriété le détenteur d’un terrain ou d’un immeuble « digital » ou d’un terrain acquis sous forme de NFT a-t-il ? Dans le cas du métavers géré de manière centralisée par Facebook/Meta : la société se réservera-t-elle des droits particuliers par le biais de conditions générales (comme c’est actuellement le cas avec les réseaux sociaux et le contenu que les utilisateurs y postent) ? Les professionnels et artisans du métavers pourront-ils bénéficier de droits d’auteur, de dessins et modèles ou de droits liés à leur création logicielle ? Les personnes ayant déjà acquis des droits de propriété intellectuelle sur des œuvres (projets, constructions, mobilier, etc) pourront-elles les exploiter dans ce monde numérique sans passer par une étape de renégociation des droits (ce type d’exploitation n’ayant potentielle - ment pas été prévu ni même connu au moment de l’accord) ? Quid si un « locataire » de bureau ou d’une maison dans le métavers ne paie pas son loyer, les smart contracts permettront-ils systématiquement de régler le problème ? Quelles procédures peuvent être mises en place et quels seront les droits de la défense ? Aura-t-on droit à des « procès » dans le métavers avec des avocats plaidant dans des tribunaux virtuels ?

Autant d’interrogations qui restent à ce jour sans réponse certaine. Bien loin des questions théoriques, l’actualité démontre un réel intérêt à solutionner ces problèmes. La question de la taxation pour l’immobilier est particulièrement intéressante : une plus-value réalisée sur la vente d’un terrain ou d’un immeuble digital (NFT) sera-t-elle taxée ? Dans l’affirmative, faudra-t-il se baser sur la (future) réglementation liée aux cryptoactifs ou assimiler cette vente à une vente immobilière classique ?

Dans la mesure où les avatars présents seront très probablement liés à des personnes physiques (à l’exclusion d’éventuels avatars gérés par l’intelligence artificielle et qui pourraient notamment servir de guides ou de divertissement pour les utilisateurs), la question du traitement des données personnelles deviendra rapidement centrale. En effet, certaines sociétés se glissent dans les prémices d’un marketing 3.0 lié à l’hyperpersonnalisation et la possibilité de proposer du marketing émotif sur la base du comportement des utilisateurs en temps réel. La société Facebook/Meta a d’ailleurs déposé une série de brevets basés sur des capteurs d’émotions et d’utilisation de données comportementales et biométriques (pensez notamment à une technologie d’ eye tracking permettant d’optimiser la publicité).

Il est assez conservateur de dire que l’utilisation des données personnelles et les risques qui en découlent seront exponentiels dans ce nouvel univers où chaque avatar vivra une expérience unique et personnalisée. La législation étant nécessairement à la traîne par rapport aux nouveaux développements technologiques, la sécurité juridique demeure précaire. La seule consolation des juristes étant que la grande majorité des dispositions juridiques sont neutres du point de vue de la technologie, de sorte qu’il est envisageable de raisonner par analogie.

Maisons connectée

Les maisons connectées ou dites « intelligentes » sont devenues une réalité depuis quelques années. Le principe est d’automatiser un maximum d’applications utiles (ou autres gadgets) et d’avoir la possibilité de contrôler à distance une maison ou un appartement dans un but de confort accru (domotique, éclairage, chauffage, alarmes, etc). Dans ce type de configuration, les appareils communiquent entre eux pour autant qu’ils soient compatibles (vous pourriez par exemple demander à votre enceinte connectée de démarrer votre aspirateur robot ou encore à votre frigo de passer une commande pour tel ou tel ingrédient manquant). Ce sujet n’est pas nouveau, mais la plupart des fabricants de ces gadgets électroniques étant situés hors UE (Asie, États-Unis, etc), ces derniers possèdent un avantage concurrentiel immense par rapport au marché européen, grâce à l’exploitation des données d’utilisation récoltées.

D’un point de vue de la protection des données, ces transferts effectués – parfois à l’insu de ses utilisateurs – posent questions. Bien que les entreprises fournissent généralement des informations sur ces transferts dans leurs politiques de confidentialité, rares sont les utilisateurs qui prennent le temps de les lire attentivement. Pourtant, cela leur permettrait de trouver une réponse aux questions fréquentes : les GAFAM ont-ils accès aux plans de maison créés par leur aspirateur connecté ? Ont-ils accès à leurs habitudes alimentaires ? En effet, les sociétés exploitant ces appareils, en tant qu’entités soumises au fameux RGPD, ont l’obligation légale de fournir toute une série d’informations sur la collecte et l’exploitation des données personnelles. Ces utilisations et transferts de données peuvent d’ailleurs être justifiés par une fonctionnalité intéressante, voire souhaitée par les utilisateurs (une personne pourrait élever son frigo connecté au statut de meilleur allié pour un régime alimentaire, un utilisateur pourrait souhaiter une synchronisation entre différents appareils, but ultime d’une maison connectée, etc).

La CNIL avait déjà publié un livre blanc sur le sujet des assistants vocaux en septembre 2020 et le Comité européen de la protection des données a finalisé en juillet 2021 des lignes directrices sur les assistants vocaux virtuels (5) , preuve s’il en est de l’importance de ce sujet et de son caractère actuel. La technologie des assistants vocaux, en particulier, en est encore à ses débuts et doit probablement s’affiner par rapport au régime juridique exigeant.

Avec l’ère des téléviseurs connectés collectant nos données personnelles et nos habitudes de consommation, nous rejoignons également, comme avec le métavers, une nouvelle dimension de marketing hyperciblé. Le rêve des annonceurs est à portée de main : présenter une publicité à la bonne personne, au bon moment et au bon endroit. Grâce aux nouvelles technologies (ou à cause de celles-ci, c’est selon), le secteur de l’immobilier sera presque nécessairement connecté par la force des choses.

Si les technophiles peuvent légitimement s’en réjouir, il conviendra de garder à l’œil toutes les dérives potentielles dont la plupart sont certes déjà connues aujourd’hui bien qu’elles risquent de s’accentuer de manière exponentielle. Il conviendra également de ne pas négliger les nouvelles problématiques jusqu’alors insoupçonnées car inhérentes à ces nouveaux écosystèmes.

Conclusion

Bien que l’immobilier soit un secteur caractérisé par une longue tradition et une certaine stabilité, il semblerait que les nouvelles technologies et ce secteur soient davantage connectés entre eux, laissant place à de nouveaux horizons. Il est fort à parier que ce secteur va continuer de subir de profonds changements technologiques, poussés par la digitalisation globale à laquelle nous assistons depuis plusieurs années. Si certaines technologies ne seront probablement pas complètement adaptées ou souhaitables pour le secteur de l’immobilier, il nous semble néanmoins que ces changements lui assureront une attractivité inédite.

                                                                          

Me Audrey Rustichelli - Partner PwC Legal
Me Audrey Rustichelli - Partner PwC Legal
  
Me Nicolas Hamblenne - Senior Associate PwC Legal
Me Nicolas Hamblenne - Senior Associate PwC Legal

 

(1) Donnée valorisée composée d’un type de jeton cryptographique qui représente un objet (souvent numérique), auquel est rattachée une identité numérique (reliée à au moins un propriétaire). Cette donnée est stockée et authentifiée grâce à un protocole blockchain qui lui accorde par là-même sa première valeur. En d'autres termes, il s'agit d'un acte de propriété consigné par un registre numérique public et décentralisé.

(2) https://www.xrtoday.com/virtual-reality/back-to-back-record-breaking-virtual-real-estate-deals-total-5-million

(3) https://cryptoast-fr.cdn.ampproject.org/c/s/cryptoast.fr/jp-morgan-premiere-banque-rejoindre-metaverse-decentraland/amp

(4) https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/10/le-marche-des-crypto-arts-affole-les-compteurs_6108851_3234.html

(5) Lignes directrices 02/2021.