Le droit du travail luxembourgeois connaît depuis quelque temps une série de mutations profondes, qui ont été en partie accélérées par la crise sanitaire. Les périodes de télétravail imposées par le gouvernement luxembourgeois à partir de 2020 ont permis une prise de conscience générale quant aux besoins des travailleurs en quête d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

À cela s’ajoutent des projets qui étaient déjà en discussion, mais également des projets de transposition de directive. Ainsi, certaines dispositions visent à accorder plus de flexibilité aux travailleurs en termes d’organisation de leur temps de travail, d’autres à assurer aux travailleurs une protection contre de potentiels comportements illicites sur leur lieu de travail en vue d’assurer un environnement de travail sain, stable et harmonieux.

Flexibilité dans l’organisation du temps de travail

Le télétravail

Une nouvelle convention sur le régime juridique du télétravail a été adoptée avec effet au 2 février 2021, remplaçant l’ancienne convention datée du 21 février 2006 (la « convention »).

La convention distingue entre télétravail occasionnel (qui peut être mis en place sur simple accord écrit de l’employeur) et régulier (qui doit être documenté par un écrit contenant un certain nombre de mentions obligatoires). Conformément à la convention, le télétravail sera considéré comme occasionnel lorsque le télétravail est effectué pour faire face à des événements imprévus ou lorsque le télétravail représente moins de 10 % en moyenne du temps de travail normal annuel du télétravailleur. Le télétravail sera considéré comme régulier dans les autres cas.

Si le nombre de télétravailleurs a considérablement augmenté en raison de l’épidémie de COVID-19, ce nombre tend aujourd’hui à décroître, en raison notamment de la fin, au 1er juillet 2022, des accords fiscaux conclus en début d’année 2020 entre le Luxembourg, d’une part, et la France, la Belgique et l’Allemagne, d’autre part (accords fiscaux qui permettaient aux télétravailleurs frontaliers de ne pas se voir décompter les jours de télétravail passés dans leur pays de résidence).

Le droit à la déconnexion

La nécessité pour chaque travailleur de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée reste malgré tout sans conteste un enjeu majeur au Luxembourg. Ainsi, un projet de loi visant à introduire dans le Code du travail une obligation pour chaque entreprise de définir précisément des règles encadrant le droit à la déconnexion a été déposé devant la Chambre des députés au mois de septembre 2021. À l’heure actuelle, un droit à la déconnexion n’est pas expressément reconnu par le droit luxembourgeois, bien que de nombreuses dispositions du Code du travail prévoient d’ores et déjà des garde-fous (par exemple les dispositions en matière de réglementation des heures supplémentaires, ou les règles applicables à la santé et sécurité des salariés sur leur lieu de travail). Il faut également rappeler que la Cour d’appel de Luxembourg a reconnu le droit d’un salarié à la déconnexion pendant son congé annuel (arrêt de la Cour d’appel du 2 mai 2019, n° 45230 du rôle).

Partant de ce constat, le projet de loi prévoit que lorsque les salariés utilisent des outils numériques à des fins professionnelles (que ce soit dans les locaux de l’entreprise ou en télétravail), un dispositif assurant le respect du droit à la déconnexion en dehors du temps de travail doit être mis en place par l’employeur.

Le dispositif de droit à la déconnexion devra notamment définir :

  • les modalités pratiques et les mesures techniques de déconnexion des appareils numériques ;
  • les mesures de sensibilisation et de formation ; et
  • les modalités de compensation en cas d'exceptions ponctuelles au droit à la déconnexion.

Équilibre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants

Dans le même ordre d’idée, le gouvernement a déposé devant la Chambre des députés, au mois de juin 2022, deux projets de loi visant à transposer la directive (UE) 2019/1158 du 20 juin 2019 concernant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants. Cette initiative fait suite au constat que l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée reste un défi considérable pour de nombreux parents et travailleurs ayant des responsabilités familiales, notamment en raison de la prévalence croissante des horaires de travail prolongés et des changements d'horaires, ce qui a un impact négatif, plus particulièrement, sur l'emploi des femmes.

Suite à ce constat, l'un des objectifs des projets de loi est d’introduire la possibilité pour les parents de demander des arrangements de travail flexibles (par exemple télétravail, horaires flexibles, diminution des heures de travail, etc.) afin d'adapter leur rythme de travail et de rester sur le marché du travail.

La semaine de 35 heures

Finalement, dans le prolongement du mouvement actuel observé au Grand- Duché de Luxembourg visant à garantir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée de chaque salarié, une pétition publique a été déposée au mois de mai 2022, visant à diminuer le temps de travail hebdomadaire de 40 à 35 heures, le but étant d’accroître le sentiment de bien-être général des salariés. La pétition a recueilli plus de 6.200 signatures, sur les 4.500 nécessaires à sa discussion devant la Chambre des députés. En parallèle de ce processus toujours en cours, le ministère du Travail luxembourgeois a également lancé une étude sur la semaine de quatre jours.

Lutte contre les comportements illicites sur le lieu de travail

La lutte contre le harcèlement moral

Au mois de juillet 2021, un projet de loi a été déposé devant la Chambre des députés, visant à introduire de nouvelles dispositions dans le Code du travail concernant la protection des salariés contre le harcèlement moral sur le lieu de travail. À ce jour, le harcèlement moral n'est pas spécifiquement réglementé par le Code du travail mais a été reconnu par les tribunaux du travail et par la convention sur le harcèlement et la violence au travail du 25 juin 2009, qui a été déclarée d'obligation générale par un règlement grand-ducal du 15 décembre 2009.

Dans ce contexte, le projet de loi vise à introduire une définition du harcèlement moral dans le Code du travail, et à établir une protection du salarié contre le harcèlement moral au travail. Le projet de loi vise également à protéger les employés qui protesteraient contre des comportements de harcèlement ou refuseraient de s'y livrer. Le projet de loi entend ainsi conférer la protection la plus large aux salariés victimes de harcèlement moral, d’autant plus que seraient visés tant les actes commis pendant les relations de travail que dans le cadre de voyages professionnels, formations professionnelles, voire de toutes communications en rapport avec le travail ou occasionnées par celui-ci.

La protection des lanceurs d’alerte

Finalement, l’un des plus importants projets de loi en cours de discussion, et probablement celui qui entraînera le plus de changements pour les entreprises concernées, est celui visant à instaurer une protection générale des lanceurs d’alerte. La législation luxembourgeoise n’impose pas à ce jour aux entreprises d’implémenter une réglementation interne visant à protéger les lanceurs d’alerte. Il existe néanmoins des dispositions légales dans certains secteurs spécifiques prévoyant une protection limitée des lanceurs d’alerte (notamment dans le secteur bancaire et financier). Le Code du travail prévoit également quelques dispositions visant à protéger les salariés contre d’éventuelles représailles en matière de harcèlement sexuel, de prise illégale d’intérêts, de corruption, de trafic d’influence ou de certaines discriminations.

Dans l’optique de conférer une protection générale aux personnes désirant signaler des violations, un projet de loi a été déposé devant la Chambre des députés au mois de janvier 2022. Le choix a été fait de conférer une portée maximale à la future législation, dans la mesure où le champ d’application du projet de loi est pour le moment extrêmement large. Celui-ci s’étend en effet à l’ensemble des violations constatées en droit national ou européen, à condition qu’elles soient constatées dans un contexte professionnel, sans limites toutefois quant à la gravité de la violation reportée, ni même quant à la motivation du lanceur d’alerte.

L’adoption du projet de loi entraînera l’obligation pour toute entreprise du secteur privé employant 50 travailleurs ou plus de mettre en place une procédure de signalement interne. Les auteurs de signalement bénéficieront en outre d’une protection contre tous types de représailles, à condition que le signalement ait été fait de bonne foi et par le biais des canaux à sa disposition.

Le droit du travail luxembourgeois est ainsi en pleine mutation, avec comme ligne de mire la volonté de faire bénéficier les travailleurs d’un environnement de travail flexible, stable et harmonieux. Au-delà des projets de loi en cours de discussion devant la Chambre des députés, qui peuvent avoir leur limite en termes d’implications pratiques, c’est dans les moeurs que ces changements vont devoir s’installer.

Me Anne Morel Associée, Droit du travail, Protection des données, Contentieux
Me Anne Morel Associée, Droit du travail, Protection des données, Contentieux

Me Pauline Wirtzler Collaboratrice Senior, Droit du travail, Protection des données, Contentieux
Me Pauline Wirtzler Collaboratrice Senior, Droit du travail, Protection des données, Contentieux

BSP