Le taux d’emploi des seniors âgés de plus de 55 ans, et celui des femmes en particulier, reste faible dans la plupart des pays européens. Ce constat est valable pour le Luxembourg, mais aussi pour la France et la Belgique, même si durant cette dernière décennie une progression sensible de l’embauche des salariés âgés a pu y être observée.

Les pays européens dans l’ensemble ont des difficultés à promouvoir les dispositions législatives qui s’imposent, à lever les obstacles culturels, politiques et économiques. Dans le même temps, le financement des systèmes des retraites et de sécurité sociale fait de plus en plus débat. Reste à s’interroger sur les raisons de cette situation et pourquoi l’on constate aussi peu d’avancées radicales comme celles observées dans le groupe des pays nordiques. emploi-des-seniors

Garder les seniors au travail : il reste du chemin à parcourir…

Pourtant, en 2000, lors du Sommet de Lisbonne, les Etats européens se fixaient pour objectif d’atteindre d’ici 2010 un taux d’emploi de 50 % pour les seniors (55-64 ans) et de 60 % pour les femmes. Concernant l’âge moyen de cessation d’activité, le Conseil de Barcelone demandait en 2002 qu’il soit progressivement différé de 5 ans. Aujourd’hui, seul un tiers des pays de l’Europe des 27 tient le pari et parfois dépasse ces objectifs. Il s’agit principalement des pays nordiques et anglo-saxons. Ces pays ont choisi de mener, dès les années 90, une politique efficace qui visiblement fait la différence, la plupart des pays ne franchissant pas le cap des 50 %. Ainsi, en 2010, le taux d’emploi des seniors allait de 70 % en Suède, 60 % en Allemagne et Estonie, et plus de 50 % en Norvège, au Royaume-Uni, Danemark, Finlande, Portugal et Pays-Bas. Avec un taux d’emploi atteignant respectivement 39,6 % et 44,5 %, le Luxembourg et la France font partie de ceux qui ne franchissent toujours pas le cap des 50 %. A noter que dans la Grande Région c’est en Wallonie que la participation des seniors est la plus faible, suivie par la Lorraine et le Luxembourg. Il y a aussi les très mauvais élèves, nombreux, qui restent carrément en dessous de la barre des 40 % : la Belgique, la Pologne la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, entre autres, figurent parmi ceux-là. Sans compter que chez les seniors européens, être une femme semble être un facteur aggravant dans la plupart des 27 pays, toujours exception faite de la Finlande : leur taux d’emploi y est seulement de 42 % contre 59 % pour les hommes.

Reculer l’âge légal de la retraite fait également partie des stratégies européennes préconisées pour garder les seniors dans l’emploi. Mais encore faut-il que ceux-ci soient employés… Si tous les pays ont réussi à reculer le départ à la retraite ces dernières années, un grand nombre d’entre eux restent tout de même en dessous des objectifs européens: la réforme du système des retraites tarde à s’y imposer. Au Luxembourg, la participation des personnes âgées de 50 à 64 ans est l’une des plus faibles de l’UE alors que les performances économiques du pays sont par ailleurs très importantes. La France et la Belgique se caractérisent également par un âge de départ à la retraite parmi les plus bas de la zone OCDE. Ces départs sont estimés à 59,4 ans pour le Luxembourg (2005, dernier chiffre disponible), 61,6 ans pour la Belgique (2007), 59,7 ans en France (2012) contre 64,2 ans dans la zone OCDE. Au Royaume-Uni et en Irlande, par exemple, le départ moyen à la retraite est estimé à 63 ans. Il semblerait que dans ces pays l’intérêt des principaux acteurs, entreprises et pouvoirs publics, ait été davantage focalisé sur le mauvais état de la conjoncture économique que sur le maintien dans l’emploi des seniors, ces derniers étant, en France par exemple, les premières victimes de plans sociaux.

Les entreprises jouent-elles le jeu?

Pas franchement. A l’exception du groupe des pays nordiques, les PME peinent à s’adapter au vieillissement et à créer les conditions nécessaires pour garder, voire recruter, les travailleurs âgés, comme le montre les enquêtes de l’OCDE. Pourquoi ? Parce que la plupart des PME n’ont qu’une vague idée de la conséquence de la pyramide des âges et ne cherchent donc pas à anticiper, et que par ailleurs l’intégration des seniors bouleverse leur organisation. Ainsi, des mesures telles que le temps partiel ou le départ anticipé ne sont généralement pas prévues. Au Luxembourg, si 64 % des entreprises déclarent être préoccupées par ces questions, seules 24 % en tirent les conséquences telles que, par exemple, l’aménagement des conditions de travail. Même constat en France et en Belgique.

Force est de constater que les attitudes vont devoir évoluer au sein de l’entreprise, notamment celles des RH qui devront, loin des stéréotypes – et souvent au prix d’une formation – renouveler leur approche de la gestion des âges. Mis au ban de la formation continue et du bilan de carrière, les seniors, mieux payés du fait de leur âge et non de leurs compétences, finissent par coûter très cher à l’entreprise. Pas étonnant dans ces conditions que les conflits intergénérationnels guettent les employeurs. D’autant que les cadets ont souvent un niveau de formation plus élevée que leurs aînés. A cet égard il est intéressant de noter que, là encore, les pays nordiques se sont d’abord préoccupés de réformer l’emploi des seniors afin d’améliorer leur employabilité avant de s’attaquer à la réforme des retraites…

Concession des seniors eux-mêmes

La hausse des salaires à l’ancienneté peut expliquer une partie des difficultés d’emploi des seniors. Une pratique qui peut se justifier car elle permet aux entreprises de s’attacher des salariés qui, potentiellement, perdent de plus en plus au changement d’emploi. Les salariés et l’entreprise signent alors un pacte implicite de fidélité de long terme. Les seniors vont devoir de toute évidence accepter de revoir à la baisse leur salaire, comme cela se fait déjà en Suède.

Inciter et accompagner les changements, le rôle des pouvoirs publics

Il est évident que l’objectif de maintien dans l’emploi des travailleurs âgés de 55 à 64 ans constitue un changement de perspective important tant pour les salariés, encouragés à cesser tôt leur activité au nom d’un partage intergénérationnel du travail que pour les entreprises confrontées à une crise socio-économique. Il est tout aussi évident que seule une politique active et volontariste de la part des pouvoirs publics parviendra à inverser la situation : campagne de sensibilisation de l’opinion publique, développement de la formation professionnelle continue, refonte des carrières, aides aux entreprises… C’est la stratégie dite « de vieillissement actif » adoptée par les pays nordiques. Au programme figurent l’allongement de la durée des carrières assorti de dispositifs fiscaux tels que la réduction de cotisations sociales pour les entreprises et d’impôts pour les travailleurs seniors, des dispositions légales, des mesures d’aides au travail des seniors avec requalification et aménagement des postes de travail sans connotations malveillantes. La Suède et les Pays-Bas ont, par exemple, supprimé les aides aux préretraites. Mais, surtout, de nombreuses campagnes de mobilisation sociale ont été organisées à destination des salariés et des entreprises. En parallèle, ces pays ont fortement investi dans les secteurs des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC).

La Finlande est certainement le pays qui a développé le modèle le plus abouti en l’espace de dix ans seulement : aménagement des postes et des horaires, aides aux entreprises qui embauchent les plus de 54 ans et, à l’opposé, sanctions pour les entreprises qui licencient un salarié de plus de 58 ans. La retraite a été fixée à 63 ans. Le résultat est là: plus de 56 % des seniors travaillent contre 35 % il y a une décennie à peine. Dans le reste de l’Europe, on en débat encore!
Chez les seniors européens, être une femme semble être un facteur aggravant dans la plupart des 27 pays, toujours exception faite de la Finlande : leur taux d’emploi y est seulement de 42 % contre 59 % pour les hommes

Au Luxembourg, tout comme en France, la réforme des retraites est toujours en discussion. Récemment, afin de promouvoir l’emploi des seniors, le gouvernement luxembourgeois a proposé d’introduire un Plan de gestion des âges pour les entreprises de plus de 150 salariés. Avec, à la clé, formation professionnelle tout au long de la vie, bonnes conditions de travail, promotion de la santé au travail ainsi qu’un assouplissement de l’organisation du travail : une petite révolution!

Martine Borderies

Pour aller plus loin : Évolutions démographiques et emploi des seniors en Europe ; Retraite et société 2007/1 (n° 50), Julie Couhin, La Doc. Française, p. 198-223. www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2008-3- page-103.htm : Emploi des seniors : les leçons des pays de réussite, Revue de l'OFCE 3/2008 (n° 106), p. 103-154. www.ires-fr.org : Revue de Recherches économiques et sociales .Gestion des âges www.ceps.lu : Les politiques managériales des entreprises envers les seniors, Kristell Leduc, CEPS/INSTEAD 2013, Les Cahiers du CEPS/INSTEAD N° 2013-01