Le Luxembourg en carence de R&D
La recherche et développement (R&D) est l’un des principaux moteurs de la croissance économique. Cela a moins été le cas au Luxembourg au cours des dernières décennies, du fait de sa forte spécialisation sur le secteur financier et, plus largement, les services à haute valeur ajoutée. Pourtant, le Grand-Duché parie aujourd’hui sur l’innovation pour le développement de nouvelles niches de croissance. Quel poids ont la R&D et l’innovation dans son économie ?
Dès l’an 2000, l’Union européenne s’est fixé l’objectif de devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », créant ainsi l’Espace européen de la recherche. L’ambition était alors de porter l’investissement global en R&D à 3 % du PIB dans l’ensemble de l’Union. En 2023, cet indicateur n’atteignait encore que 2,2 %, des niveaux de dépenses bien loin de l’objectif affiché et inférieurs à ceux des États-Unis (3,5 % en 2021) et de la Chine (2,4 %). Le retard européen en matière d’innovation est d’ailleurs l’une des raisons cruciales qui ont occasionné la rédaction du rapport Draghi sur la compétitivité européenne.
Des dépenses de R&D stables, voire déclinantes
S’agissant du Luxembourg, alors que le pays ambitionnait de tirer les investissements publics et privés en recherche et développement « entre 2,3 et 2,6 % » du PIB à l’horizon 2020, force est de constater que la cible a été manquée (de loin), ces derniers s’étant élevés à 1,1 % pour cette année de référence. Depuis, l’intensité des dépenses publiques de R&D est restée stable (0,55 % du PIB), mais les dépenses du secteur des entreprises ont continué leur repli (0,48 % du PIB), marquant même un recul en montants absolus (avec 380 millions EUR contre 400 en 2023). Dans la foulée de la création de l’Université et du renforcement des Centres de recherche publics, l’intensité des investissements publics dans la R&D avait significativement augmenté dans les années 2000(1), positionnant le Luxembourg sur la carte européenne de la recherche(2) et sur une trajectoire de « rattrapage » de la moyenne de l’UE en matière de moyens publics engagés. Depuis 2014, le gouvernement semble avoir orienté quantitativement sa politique de dépenses de R&D sur une cible située entre 0,5 et 0,6 % du PIB, mettant fin à cette dynamique de rattrapage. Dans ce contexte, le pays se situe désormais au 20e rang sur 27 pour l’intensité des dépenses intérieures de R&D.
Et pourtant un strong innovator, en apparence
En revanche, le classement du Luxembourg dans le tableau de bord européen de l’innovation nuance le constat des faibles investissements en R&D(3) (8e rang, classé parmi les strong innovators au sein d’un classement dominé par le Danemark, la Suède et la Finlande), avec toutefois quelques points d’attention. Si des atouts sont perceptibles en comparaison européenne (ressources humaines, production du système de recherche, digitalisation, brevets), quelques points faibles font reculer le pays dans le classement, comme une baisse de la part des PME introduisant des innovations, une baisse des dépenses en capital-risque ainsi qu’un recul de la part de l’emploi dans les entreprises innovantes(4).
De fait, le Luxembourg est performant, voire très performant, sur de nombreux indicateurs qui ne sont pas directement liés à l’innovation mais plus à son économie de services à haute valeur ajoutée. L’indicateur qui illustre le plus cette situation est l’emploi dans les activités à forte intensité de connaissances pour lequel le Grand-Duché est en 1ère position. De même, le Luxembourg bénéficie, par exemple, d’un fort taux de diplômés de l’enseignement supérieur dans la population (3e derrière Irlande et Chypre). En outre, sa forte internationalisation (due en partie à sa faible taille) est un atout non négligeable, comme le montre le nombre de copublications scientifiques internationales par million d’habitants (3e).
Quatre indicateurs illustrent les carences du Luxembourg en matière d’innovation : les dépenses de R&D du secteur public (19e) et privé (22e), comme décrit ci-dessus, et le pourcentage de PME introduisant des innovations de produits (18e) et dans les processus (19e). Quelques motifs d’espoir subsistent pour le développement d’une économie luxembourgeoise innovante et de haute technologie. La part des spécialistes des TIC dans l’emploi y est particulièrement élevée (3e), un atout crucial alors que sa stratégie de diversification économique est centrée sur l’économie des données. En outre, de nombreuses publications académiques sont issues de collaborations public-privé, ce qui pourrait laisser augurer d’un impact plus important de la recherche publique sur l’innovation des entreprises dans le futur.
Vers une politique pro-innovation ?
Dans un contexte de stagnation de la productivité apparente du travail, d’impératives transformations technologiques liées à la transition environnementale et digitale, de recherche de compétitivité dans une économie à coûts de production élevés (foncier, salarial), d’accélération de l’introduction de nouvelles technologies (IA), la mise en oeuvre de politiques visant à faciliter l’innovation devrait redevenir prioritaire dans l’agenda des politiques publiques.
Plusieurs mesures déjà annoncées ou mises en place par le gouvernement actuel (ou le précédent) vont dans ce sens. Il s’agit de la bonification d’impôt pour investissement dans un projet de transformation digitale ou de transition écologique et énergétique, de nouveaux dispositifs d’appels à projets de R&D en partenariat public-privé, du programme 10 points d’action pour les start-up, du renouvellement de la stratégie relative à l’intelligence artificielle à venir, de la construction d’une des 7 premières AI Factory européennes ou encore de l’instauration d’un programme de financement Cybersecurity Innovation and Development. Ces nouveaux dispositifs pourraient contribuer positivement à l’évolution des investissements privés en R&D et l’introduction d’innovations nouvelles dans les entreprises au cours des prochaines années.
Cet article approfondit une analyse de l’avis annuel d’IDEA dont l’édition 2025 est intitulée Déboussolés !.
(1) Elles sont passées d’une trentaine à près de 300 millions EUR en 12 ans.
(2) Voir : Fondation IDEA asbl, Idée du mois n° 18, Recherche, Développement et Innovation, le Luxembourg au milieu du gué, 2017.
(3) La faiblesse des investissements en R&D des entreprises luxembourgeoises peut également en partie s’expliquer par la faible présence relative des secteurs d’activité traditionnellement intensifs en R&D (industrie, pharmacie…).
(4) Voir European Innovation Scoreboard 2024.