Est-il légitime de se poser la question? Oui, car les exemples de cacophonie ne manquent pas.

Ainsi, les mécanismes de développement propre qui consacrent l’achat du droit à polluer, les reculades dans l’agriculture concernant l’interdiction du glyphosate, et dans l’immobilier locatif (France) et résidentiel neuf (Allemagne), les concessions faites en matière de passoires thermiques, la distinction entre des investissements vert clair et ceux d’un vert foncé alimentant le flou vis-à-vis des fonds dits « durables »… la confusion existe dans tous les secteurs, maintenue par la Commission européenne qui traîne les pieds à trancher dans ces domaines en particulier. Que comprendre ? Quelle durabilité du développement ? Quelle légitimité à parler à des générations futures non encore nées ? Une montée éthique est-elle possible ?

Photo-3rdtimeluckystudio/Shutterstock
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Du côté du langage, un écran de fumée

Si les mots ont un sens et une signification comme la sémantique nous le rappelle – discipline qui a pour objet l’étude du sens des mots et des énoncés dans leur contexte – les termes « durable », « développement durable », « durabilité », largement utilisés hors contexte, donnent une idée de l’abus de langage pratiqué sans âme ni conscience par tout le monde : décideurs publics et privés, communicants de tous poils. Une sorte de novlangue à la façon de George Orwell. On parle ainsi de l’industrie minière durable, de repas durables à l’école, d’une politique de l’eau durable/viable, de changement durable dans toutes les activités humaines ou presque, et même de consommation durable…, des termes délibérément détournés et utilisés comme un écran de fumée afin de cacher un business as usual.

L'expression « développement durable » est composée de deux termes qui se contredisent puisque la durabilité du développement est impossible car précisément les ressources naturelles sont limitées. Le développement durable est par ailleurs directement associé à la croissance économique, et cela à travers un nouveau business model.

Le concept lui-même est flou

L'expression « développement durable » est composée de deux termes qui se contredisent puisque la durabilité du développement est impossible car précisément les ressources naturelles sont limitées. Comment mettre en oeuvre dans ces conditions un développement durable ? Le développement durable est par ailleurs directement associé à la croissance économique, et cela à travers un nouveau business model. Il ne questionne ni l’aspect qualitatif, ni les modes de vie (la consommation plutôt que la sobriété) et de pensée.

Le développement économique durable devient alors la clé du succès pour continuer de promouvoir le modèle de croissance économique. Ses promoteurs publics et privés enfin n’encouragent pas à la réflexion (Quelle idée du progrès ? Quelles responsabilités ?), imposant des prêts-à-penser.

Les actions collectives… d’intérêt privé

Une étude portant sur la promotion immobilière montre que, dans le bâtiment par exemple, de nombreux acteurs, promoteurs professionnels de l’immobilier tels que Nexity/Bouygues, Fédération du bâtiment, acteurs publics (l’État, les communes, les bailleurs sociaux), mais aussi assureurs, banques et élus, associations de quartiers ont des difficultés à agir collectivement pour mettre en oeuvre le développement durable. Porté par les nouvelles normes de construction (santé, sécurité, économie, accessibilité) qui ont émergé ces dernières années autour du logement, la mise en place d’une démarche vertueuse dans ce secteur relève le plus souvent d’une mission impossible. D’abord parce que des univers professionnels fondamentalement très différents se côtoient et que leurs intérêts divergent. Certains d’entre eux sont tenus de rechercher des avantages économiques et financiers aux opérations de construction (actionnariat), privilégiant le court terme là ou d’autres (décideurs publics) s'inscrivent dans une perspective de long terme prenant en compte le social et l'environnement. Chacun peut, dans ces conditions, définir le développement durable et se l’approprier à sa manière.

Les termes « durable », « développement durable », « durabilité », largement utilisés hors contexte, donnent une idée de l’abus de langage pratiqué sans âme ni conscience par tout le monde. Une sorte de novlangue à la façon de George Orwell. On parle ainsi de l’industrie minière durable, de repas durables à l’école, d’une politique de l’eau durable/viable, de changement durable dans toutes les activités humaines ou presque, et même de consommation durable…, des termes délibérément détournés et utilisés comme un écran de fumée afin de cacher un business as usual.

Le concept de développement durable reste à préciser

Le Rapport Brundtland (1983) introduit le premier l'idée que les ressources de notre planète sont limitées. Pour assurer aux populations les plus démunies la jouissance de leurs ressources sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins, il faut concilier les trois piliers essentiels à la démarche de développement durable : l'environnement, le social et l’économie. Tablant sur une responsabilité globale. On connaît la suite.

Dans chacun des pays européens, il est bien difficile d’identifier un débat gouvernemental clair sur le développement durable. Certains ignorent les défis sociaux et environnementaux (Italie), d’autres privilégient les questions économiques, de technologies environnementales, d'innovation technique et de compétitivité à travers l’innovation (France, Allemagne, Luxembourg). La question de la responsabilité des États et des hommes semble devoir être repensée.

Responsable, mais pour le futur

Dès 1979, le philosophe allemand, Hans Jonas, affirmait que l’humain avait pour tâche impérative de préserver sa propre vie sur Terre et pour ses descendants. Il propose donc cette réorientation de la responsabilité en direction du futur, considérant que les mutations technologiques entraînent le changement fondamental de paradigme.

Classiquement, un sujet responsable doit répondre de ses actes passés et non pour le futur. Dès lors et sans revenir sur nos comportements passés, nous avons, selon l’universitaire, l’obligation de nous préoccuper des générations à venir puisque nous avons eu le pouvoir de détruire la nature (épuisement des ressources).

Aujourd’hui, les décideurs publics doivent donc être tenus responsables pour le futur en assumant les conséquences prévisibles des actions dont ils portent la charge. Dans une société du risque, une idée introduite après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl de 1986 est le principe de précaution. Si souvent critiqué, il refait surface en bénéficiant d’un nouvel éclairage. L’anticipation de la menace est le nouvel impératif qui s’adresse aux politiques publiques. Le relai des générations, le monde en partage sont là les nouvelles injonctions. Les propos tenus actuellement autour du développement durable ne sont en définitive que billevesées.

Martine Borderies

Sources :

UVED, Développement durable et impacts environnementaux, Le rapport Brundtland.
http://stockage.univ-valenciennes.fr/MenetACVBAT20120704/acvbat/chap01/co/ch01_070_1-4-4_1.html

Bioxegy, Rapport Brundtland : la naissance du développement durable.
https://www.bioxegy.com/post/rapport-brundtland

HAL, Développement durable et principe de légitimité, Olivier Godard.
https://hal.science/hal-00242970

Nagelmackers, Moins de gris, plus de vert ? Décidez du degré de durabilité de votre portefeuille, Evy Merci.
https://www.nagelmackers.be/fr/a-propos-denous/actualites/detail/moins-de-gris-plus-de-vert

Cairn Info, Les discours du développement durable dans les pays européens, Hartmut Marhold, Michael Meimeth et Xavier Lallemand.
https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-for mation-2009-2-page-3.htm