« Nous sommes loin d'être arrivés au bout de notre travail et de nouveaux défis viennent sans cesse s'ajouter »

Malgré certaines avancées, les discriminations envers les femmes perdurent et le poids des stéréotypes reste un frein à une société égalitaire. Depuis sa création en 1995, le ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes (MEGA) a toujours contribué, via ses nombreux projets, à faciliter la prise de conscience collective sur le principe, rappelons-le constitutionnel, de l’égalité femmes-hommes et à faire évoluer les mentalités au sein des entreprises. Rencontre avec la ministre Taina Bofferding.

Taina Bofferding, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Taina Bofferding, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes.

Les discriminations commencent à l’école. Comment faire comprendre aux enfants qu’ils ne doivent pas répéter ce qu’ils entendent à la maison, mais se forger leur propre opinion ?

L'idée que les stéréotypes et les préjugés naissent souvent dans l'environnement familial est une réalité difficile à ignorer. Les écoles jouent donc un rôle fondamental pour contrecarrer cette tendance et encourager les jeunes esprits à développer leur pensée critique et autonome. Aborder ce défi nécessite une approche réfléchie et proactive.

Le ministère de l'Égalité entre les femmes et les hommes (MEGA) reconnaît que l'éducation joue un rôle central dans la lutte contre les discriminations. En collaborant étroitement avec les établissements scolaires, le ministère s'efforce de créer un environnement où les élèves apprennent non seulement à remettre en question les idées préconçues, mais aussi à construire leur propre compréhension du monde qui les entoure.

Les programmes éducatifs doivent être conçus de manière à encourager le dialogue et la réflexion. Les enseignants, en tant que guides et modèles, jouent un rôle crucial. Ils doivent inciter les élèves à poser des questions, à confronter différentes perspectives et à comprendre les nuances complexes des problèmes sociaux. En encourageant la pensée critique, les jeunes sont mieux équipés pour analyser les informations et développer des opinions qui leur sont propres, indépendamment des influences extérieures.

L'apprentissage, entre autres, est également essentiel. Les enseignants peuvent utiliser des exemples concrets pour illustrer les effets nocifs des préjugés et des discriminations. En présentant des histoires de personnes ayant surmonté les stéréotypes pour réaliser leurs rêves, les élèves sont inspirés à remettre en question les schémas de pensée restrictifs.

Toutefois, l'éducation ne doit pas être confinée à la salle de classe. Il est essentiel de favoriser une collaboration continue avec les parents et les familles. Le MEGA organise ainsi des ateliers et des séances d'information pour sensibiliser la société à l'impact des stéréotypes sur les enfants et les inciter à encourager la diversité d'opinions à la maison et au travail.

En fin de compte, le chemin vers une pensée indépendante et non discriminatoire nécessite un effort conjoint de la part de l'école, des enseignants, des parents et de la société. En encourageant les jeunes à remettre en question les idées préconçues, à développer leur pensée critique et à construire leurs propres convictions, nous semons les graines d'une génération qui façonne un monde plus égalitaire et tolérant.

En 2019, le MEGA a créé l’Observatoire de l’Égalité et, en juin dernier, vous avez présenté son 1er rapport d’activités. Quelles sont les chiffres-clés que vous souhaiteriez mettre en avant ?

Avec votre permission, je souhaiterais citer brièvement quelques chiffres qui me semblent d'une grande importance. J'aimerais également aborder succinctement le domaine de l'éducation, car ces chiffres confirment malheureusement la persistance des stéréotypes.

Les femmes tendent davantage à choisir des professions sociales, tandis que les hommes se dirigent plutôt vers des professions techniques. Ainsi, il n'est pas surprenant que dans l'enseignement fondamental, les femmes représentent 80,5 % des effectifs, laissant seulement 19,5 % aux hommes. De même, dans le secteur des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC), le ratio est de 1 homme pour 5,4 femmes parmi les diplômés de l'enseignement supérieur dans ce domaine. La lutte contre les stéréotypes n'influence donc pas seulement le secteur éducatif, mais également le monde professionnel et, par conséquent, l'avenir de notre société.

« Le chemin vers une pensée indépendante et non discriminatoire nécessite un effort conjoint de la part de l'école, des enseignants, des parents et de la société. En encourageant les jeunes à remettre en question les idées préconçues, à développer leur pensée critique et à construire leurs propres convictions, nous semons les graines d'une génération qui façonne un monde plus égalitaire et tolérant. »

Un autre chiffre qui m'a particulièrement interpellée durant cette période postpandémie concerne la charge de travail non rémunérée supportée par les femmes, surtout en périodes d'incertitude telles que la pandémie de COVID-19. À titre d'exemple, une étude que nous avons commandée et qui a été menée par le LISER (COVID-19 and Gender Equality in Luxembourg, E. Peluso, Ph. Van Kerm, Philippe et G. Menta (2022)) a révélé qu'en février 2020 les femmes consacraient en moyenne 3 heures par jour aux tâches liées à la gestion du foyer et aux enfants, contre seulement 2 heures pour les hommes. Au début de l'année 2021, au plus fort de la pandémie, cet écart s'est creusé encore davantage au détriment des femmes. En effet, elles consacrent désormais jusqu'à 4 heures par jour aux tâches domestiques et parentales, tandis que les hommes y consacrent 2,3 heures. Cette inégalité illustre de manière flagrante que les avancées vers l'égalité sont particulièrement vulnérables en période de crise, pouvant rapidement engendrer de nouvelles inégalités ou aggraver celles déjà existantes, en particulier pour les femmes.

Toutefois, j'aimerais citer un chiffre qui m'a procuré une grande satisfaction : 0 %. Au Luxembourg, nous avons atteint l'objectif de réduire l'écart salarial horaire entre les sexes à 0 %. Cela témoigne du succès de nos efforts au cours des dernières années et place le Luxembourg en tant que précurseur en matière d'équité salariale. Cependant, un examen plus approfondi révèle encore un problème que nous devons affronter à l'avenir : la prise de décision. Les disparités salariales sont souvent attribuées aux primes accordées aux cadres masculins ainsi qu'au manque de femmes occupant des postes de direction au sein des entreprises. Bien que nous ayons atteint notre objectif de 40 % de femmes cadres dans les entreprises à participation publique, le secteur privé ne compte qu'environ un quart de femmes occupant des postes de direction. Pour remédier à cette situation, notre programme Actions Positives pourrait être une solution envisageable.

Vous mentionnez le programme Actions positives, mis en place il y a une vingtaine d’années, un instrument-clé de votre ministère qui a séduit d’emblée les entreprises et les séduit toujours. Quelles sont les avancées notoires que ce programme a permis/permet ?

Le programme Actions Positives vise à promouvoir l'égalité entre hommes et femmes au sein des entreprises. Depuis son lancement, les avancées notoires que ce programme a permises sont les suivantes :

  1. égalité de traitement : le premier pilier du programme se concentre sur l'égalité de traitement, en garantissant que les processus de recrutement, les calculs de rémunérations et la reconnaissance des qualifications sont effectués de manière équitable, sans discrimination fondée sur le genre. Cela a permis de réduire les disparités salariales et de créer des opportunités égales pour tous les employés, indépendamment de leur genre ;
  2. égalité dans les prises de décisions : Le 2e pilier se penche sur l'égalité dans les prises de décisions au sein de l'entreprise. Cela inclut l'accès équitable aux promotions professionnelles, aux formations continues et à la participation à la prise de décision. Cette approche favorise la diversité des perspectives et des talents au sein de la direction et des équipes de l'entreprise ;
  3. conciliation vie professionnelle-vie privée : le 3e pilier se concentre sur la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée des employés. Cela peut inclure des mesures pour faciliter le retour au travail après un congé parental, des ajustements dans l'organisation du travail pour assurer un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et personnelle, ainsi que d'autres initiatives visant à améliorer la satisfaction au travail ;
  4. analyse complète de l'égalité : l'une des caractéristiques notables du programme est la réalisation d'une analyse complète de la situation en matière d'égalité entre hommes et femmes au sein de l'entreprise. Cette analyse est confiée à une société de conseil externe et financée par le ministère. Cela permet à l'entreprise de comprendre les domaines où des inégalités persistent et d'identifier les actions nécessaires pour les éliminer ;
  5. soutien du ministère : une autre avancée significative est le soutien direct du ministère dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'un plan d'action visant à promouvoir l'égalité. Cela implique une collaboration étroite entre l'entreprise et le MEGA pour mettre en place des initiatives concrètes et mesurables visant à favoriser l'égalité.

En résumé, le programme Actions Positives a permis d'obtenir des avancées notables en matière d'égalité entre hommes et femmes au sein des entreprises, en s'attaquant à différents aspects tels que le recrutement, la rémunération, les promotions, la formation et l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Son approche globale et la collaboration avec le ministère ont contribué à créer une culture d'entreprise plus égalitaire et inclusive.

« Toute forme de harcèlement doit être fermement condamnée. Aucune personne ne devrait endurer le harcèlement, que ce soit dans son cadre personnel ou professionnel. C'est pourquoi je vous encourage vivement à ne pas rester passifs face à ces comportements nuisibles. Il est primordial d'agir et de rechercher de l'aide en interne, voire de solliciter une aide externe. »

À votre avis, comment en finir avec le plafond de verre ? Pensez-vous que les jeunes générations, qui ont une tout autre idée de l’organisation et de la hiérarchie de l’entreprise, arriveront à éradiquer ces freins invisibles qui bloquent la promotion des femmes dans leur carrière professionnelle ?

Je suis persuadée que nous parviendrons à instaurer une société égalitaire à l'avenir en prenant des mesures actives dès maintenant et en continuant à ajuster les principaux mécanismes. Nous avons abordé la question de l'éducation et de la formation, ainsi que la nouvelle « vague d'égalité » au sein des entreprises. Il est donc évident que la situation est en train d'évoluer. Les jeunes cadres ont des attentes différentes envers eux-mêmes et leur équipe, ce qui est tout à fait naturel, et cela se traduit par des priorités réorientées.

Des éléments tels que les nouveaux modèles de travail et les horaires prendront une place cruciale. Le congé parental continuera de gagner en importance pour les deux parents, comme en témoignent déjà les premières études. Cela contribuera à établir un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, favorisant ainsi la réduction des inégalités persistantes, notamment en ce qui concerne les responsabilités de soins.

En somme, il est clair que notre engagement actuel combiné à des changements structurels nous mènera vers une société plus égalitaire. Les ajustements que nous effectuons dès à présent et notre attention portée aux domaines cruciaux ouvriront la voie à un avenir où les disparités diminueront et où chacun pourra s'épanouir de manière équitable.

Le harcèlement moral et le harcèlement sexuel sont plus répandus dans les entreprises que les chiffres qui sont bien souvent cités, car beaucoup de femmes ne portent pas plainte. Comment recevez-vous ce constat en tant que ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes ?

Toute forme de harcèlement doit être fermement condamnée. Aucune personne ne devrait endurer le harcèlement, que ce soit dans son cadre personnel ou professionnel. Il est impératif que nous prenions des mesures contre toute manifestation de violence, qu'elle survienne dans l'espace public ou privé. Nous avons la responsabilité de protéger les victimes et de sanctionner les responsables.

À cet égard, je me réjouis de constater que nous disposons d'un vaste réseau de partenaires prêts à offrir leur assistance (www.violence.lu). En ce qui concerne les entreprises, je suis extrêmement satisfaite de voir que nous sommes épaulés par des partenaires dignes de confiance, en étroite collaboration avec le ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Économie sociale et solidaire, et tout particulièrement l'ITM (Inspection du Travail et des Mines). L'ITM intervient dans tous les cas de harcèlement et d'injustice, fournissant un soutien indispensable aux victimes.

De nombreuses entreprises ont nommé des délégué·e·s à l'égalité, voire ont déjà mis en place des services de consultation pour offrir une première assistance. C'est pourquoi je vous encourage vivement à ne pas rester passifs face à ces comportements nuisibles. Il est primordial d'agir et de rechercher de l'aide en interne, voire de solliciter une aide externe.

Dans ce contexte, je souhaite attirer votre attention sur la brochure intitulée L'Égalité entre les genres – Un enjeu stratégique pour votre entreprise, que nous avons publiée en collaboration avec l'ITM et le ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Économie sociale et solidaire. Cette brochure contient des informations essentielles sur la promotion de l'égalité au sein des entreprises, le programme Actions Positives, ainsi que des coordonnées utiles et des références en ligne (https://actionspositives.lu/boite-a-outils/).

Petite question personnelle : avez-vous été victime de discriminations au cours de votre vie professionnelle ?

Oui, moi aussi, au tout début de mon mandat de ministre, j'ai dû subir des remarques déplacées surtout dans le milieu politique en raison de mon (relativement) jeune âge et de mon sexe… Entre-temps, ce n'est plus que très rarement le cas, même si, au quotidien, je suis encore de temps en temps effrayée par ce que certaines personnes expriment surtout dans les médias sociaux (mots-clés hatespeech et sexisme)... Je prends alors à nouveau conscience que nous sommes loin d'être arrivés au bout de notre travail et que de nouveaux défis viennent sans cesse s'ajouter, que nous devrons surmonter ensemble dès maintenant pour un futur égalitaire.