LALUX-Vie « Les régimes complémentaires de pension, un outil sous-exploité au Luxembourg »
Depuis que la future réforme des pensions est engagée, on parle beaucoup des 2e pilier (régime complémentaire de pension) et 3e pilier (épargne individuelle pension). Afin de savoir comment ils pourraient jouer un rôle pour amortir les effets des réformes à venir, nous avons pris l’avis de Claudia Halmes-Coumont, directeur chez LALUX-Vie.
La baisse du pouvoir d’achat est un problème pour beaucoup de salariés. Les marges des entreprises ne sont plus ce qu’elles étaient depuis la crise COVID, comment envisager de demander encore aux salariés et aux entreprises de nouveaux efforts financiers ?
Le 1er pilier, c’est-à-dire le régime général de pension, couvre très bien les personnes qui ont perçu toute leur vie un salaire allant du salaire minimum jusqu’au salaire moyen. Pour des salaires égaux au salaire moyen, le système légal luxembourgeois est de loin le plus généreux de l’OCDE, avec un capital ou patrimoine de retraite estimé à 20 fois le salaire annuel individuel, contre une moyenne OCDE de 10 fois. Les personnes dont les revenus dépassent le salaire moyen sont donc celles qui ont le plus à gagner en souscrivant une pension complémentaire dès aujourd’hui. La réforme graduelle envisagée touchera prioritairement cette catégorie de personnes qui, par ailleurs, a les moyens de financer un 2e et/ou un 3e pilier. Il est donc d’autant plus important de leur donner des outils efficaces pour supporter les réformes à venir.
Selon les chiffres 2024 de l’IGSS, 2.200 entreprises(6,2 %) proposent un régime complémentaire de pension (RCP), 70.000 salariés(14,2 %) sont affiliés à un RCP et 1.000 indépendants (3,5 %) ont souscrit un RCP. Au regard du nombre d’entreprises et de salariés, ça semble très peu
En effet, les régimes complémentaires de pension sont sous-exploités au Luxembourg, alors qu’ils sont un outil efficace pour attirer les talents et fidéliser ses équipes, assortis d’avantages fiscaux qui bénéficient tant aux entreprises qu’à leurs salariés. Pour dynamiser encore le 2e pilier, l’ACA, l’association professionnelle des assureurs et réassureurs dont LALUX est membre, plaide pour une ouverture du 2e pilier à toute personne active. Cette mesure permettrait à chacun de bénéficier des avantages fiscaux des cotisations personnelles qui réduisent le salaire mensuel imposable du montant ainsi épargné pour la retraite, jusqu’à 1.200 EUR par an. Concrètement, l’employeur mettrait en place un RCP avec une compagnie d’assurances et chaque salarié pourrait décider de la somme à prélever mensuellement sur son salaire pour préparer sa pension. Le 2e élément qui donnerait un coup d’accélérateur serait de flexibiliser la période durant laquelle on peut se constituer une épargne. Aujourd’hui, pour beaucoup de personnes, il est difficile de le faire avant 40-45 ans car il y a d’autres priorités avant cet âge-là, celles de devenir propriétaires, d’élever les enfants… Afin d’épargner quand la situation le permet, on pourrait bénéficier d’un rattrapage fiscal sur toute la carrière.
Aujourd’hui, si le plafond de déductibilité (1.200 EUR) n’est pas utilisé dans la déclaration fiscale de l’année, il est perdu. L’idée est donc de garder toutes ces années de déductibilité et de les exploiter lorsqu’on a les finances pour un RCP. Il en irait de même pour la disponibilité des fonds. Nous plaidons pour plus de souplesse afin qu’ils soient disponibles en cas de besoin (chômage,achat d’une résidence principale…) et non bloqués jusqu’à l’âge de la retraite, comme c’est le cas aujourd’hui. Le tout figurant dans un cadre légal pour force majeure. Nous pensons également qu’il faudrait relever ce plafond de déductibilité fiscale pour les cotisations personnelles de 1.200 EUR/an, qui est le même depuis une vingtaine d’années. Du côté des allocations patronales, il pourrait être avantageux de diminuer leur taux d’imposition, par exemple de 10 % au lieu des 20 % actuels, pour les plus jeunes. Enfin, il faudrait aussi rendre plus transparente la fiscalité en fin de RCP tant avec les pays limitrophes qu’avec les autres pays. Les conventions de non double imposition ne sont pas toujours bien précises à ce sujet. Même si le 2e pilier est déjà intéressant pour les employeurs et les employés, tous ces leviers pourraient le rendre beaucoup plus attractif à l’avenir.
Quel rôle donner au 3e pilier ?
Aux côtés d’un 2e pilier qui serait rendu plus attractif, il faudrait également mieux adapter l’épargne individuelle pension aux défis d’aujourd’hui. Comme pour le 2e pilier, il faudrait introduire plus de flexibilité dans l’utilisation de l’épargne en cas de coup dur ou d’acquisition d’une résidence principale, mettre en place un rattrapage fiscal sur toute la carrière actuellement, l’article 111 bis prévoit une déduction maximale de 3.200 EUR/an pour tout contribuable qui a souscrit un contrat de prévoyance vieillesse ou d’assurance vie, donc des contrats avec un engagement minimal de 10 ans (ce qui n’est pas le cas des contrats liés au 2e pilier). L’ACA propose jusqu’à 12.800 EUR/an de déduction pour que la mesure ait un réel impact sur la retraite. Il faudrait aussi supprimer l’imposition au demi-taux global qui grève les capitaux des contrats arrivés à terme. Là encore, la transparence dans les conventions fiscales devrait être la règle et sécuriserait les épargnants.
Quel serait le coût pour l’État de donner des avantages fiscaux supplémentaires pour les 2e et 3e piliers par rapport à un relèvement de cotisations du 1er pilier ? Vous avez fait des estimations en ce sens. Que révèlent-elles ?
Pour le 1er pilier des pensions légales,l’État a estimé dans son budget pour 2027 que la charge des 8 % de cotisations lui revient à +/- 3 milliards EUR. Augmenter les cotisations de 1 % représenterait donc 375 millions EUR supplémentaires. Si le taux de cotisation devait passer de 24 % à 27 %, les charges directes de chacun des 3 acteurs (entreprises, salariés, État)augmenteraient donc de 375 millions EUR. Les charges déductibles pour les salariés et les entreprises augmenteraient donc également. Cette perte fiscale pour l’État est estimée à 65 millions tant au niveau des salariés que des entreprises, soit 130 millions EUR au total. Dès lors, le coût annuel total pour l’État de cette augmentation de cotisations de 3 x 1 % représenterait +/- 500 millions EUR/an pour équilibrer le système actuel des pensions légales à court terme. Or, les projections montrent que le taux de cotisation nécessaire serait de 27 % en 2030, 31 % en 2040, 37 % en 2050, 43 % en 2060…
Pour le 2e pilier des RCP, si les allocations patronales annuelles du 2e pilier étaient doublées, donc augmentées de 250 millions, cela représenterait un coût supplémentaire pour l’État de 90 millions EUR/an : 50 millions EUR de perte fiscale, suite à la réduction du taux d’imposition marginal de 40 % à 20 % et 40 millions EUR pour le manque de cotisations sociales (16 % de ces 250 millions EUR uniquement pour le salaire en des-sous du plafond cotisable).
Vous avez également estimé les coûts annuels en cas de doublement du 3e pilier…
Si les contributions annuelles de 180 millions EUR étaient doublées, le coût estimé pour l’État de cette augmentation du 3e pilier pourrait être estimé à 36 millions EUR/an, soit 20 % de perte de recettes fiscales pour 2027 sur les 180 millions EUR de contributions déductibles fiscalement.
Les coûts pour l’État et les prestations pour le 1er, pour le 2e, tout comme pour le 3e pilier sont très différents et ce sera donc à l’État de trancher.
Pour vous, quelles sont les pistes à suivre, quelles que soient les réformes ?
Beaucoup de défis pèsent sur notre système de pension. Même si le 1er pilier en restera le socle, il ne pourra pas garantir à lui tout seul un revenu de retraite décent dans les années à venir si aucune réforme n’est prise rapidement. Tous les acteurs doivent donc prendre leur part de responsabilités, car chaque action sur une des composantes du système présente elle-même des conséquences en cascade. Le 1er pilier doit continuer à reposer sur un compromis intergénérationnel, mais il est impératif de favoriser l’accès à tous aux sources de financement actuelles ou nouvelles, avec des contreparties plus attractives.
Dès lors, quelles que soient les réformes envisagées, il faut inciter, et ce dès à présent, à la constitution d’une épargne retraite complémentaire tant par les entreprises (2e pilier) que par les particuliers (3e pilier), surtout auprès des plus jeunes.
Propos recueillis par Isabelle Couset