Libres propos

Les sempiternelles jérémiades sur le prix des logements au Luxembourg sonnent comme un refrain usé jusqu’à la corde. Il n’en reste pas moins qu’il semble manquer une volonté politique affirmée de prendre des mesures visant à renverser la vapeur.

Les prix des logements au Grand-Duché de Luxembourg sont parmi les plus élevés d’Europe. Depuis des années, la flambée des prix de l’immobilier et l’endettement croissant des ménages suscitent des inquiétudes et critiques de toutes parts et attirent l’attention d’organisations internationales telles que le Fonds monétaire international. Beaucoup de crises bancaires ont été précédées par des fortes hausses de l’immobilier résidentiel et des augmentations des taux d’endettement par rapport au revenu(1). Le prêt hypothécaire est la forme privilégiée de financement. Le ratio moyen de la dette des ménages par rapport au produit intérieur brut (PIB) est passé de 40 % en 2005 à 64 % en 2017. En 1999, la dette hypothécaire représentait 57 % de l’endettement total des ménages, mais elle en représentait 81 % en 2020(2). Il est souvent affirmé que le problème- clé à résoudre est le manque d’offre. Malgré cela, les autorités ne cherchent pas à alléger la demande (par exemple en encourageant les nouvelles constructions), mais renforcent la demande avec des incitations fiscales.

Raisons d’être

Déséquilibre entre l’offre et la demande

Depuis 2011, la croissance de la population a connu une accélération et s’est stabilisée à un niveau plus élevé, renforçant le besoin en nouveaux logements. Cependant, l’offre n’a pas suivi. Entre 2000 et 2018, une moyenne de 2.900 logements a été construite par an, alors que le nombre de nouvelles propriétés nécessaires pour répondre à la demande est estimé à entre 5.600 et 7.500 logements par an(3). À cela se sont ajoutées des conditions de financement propices, qui ont renforcé la demande. Avec des taux d’intérêt en hausse depuis le début de l’année 2022, les nouvelles demandes de prêts immobiliers reculent (ainsi que les transactions) et la hausse des prix immobiliers a ralenti en 2022(4). Malgré cela, le coût des propriétés existantes demeure élevé. Une décennie de crédit bon marché semble toutefois toucher à sa fin et, devant le recul de prêts octroyés, les volumes des nouvelles constructions se contractent. Les hausses de prix devraient donc également ralentir.

Traitement fiscal

L’accession à la propriété immobilière bénéficie de traitements fiscaux favorables par rapport à d’autres formes d’investissement en capital.

Droits de mutation

Au Luxembourg, les droits de mutation pour les achats s’élèvent à 7 %, dont 6 % pour les droits d’enregistrement et 1 % pour les droits de transcription. Afin de réduire les frais accessoires à l’acquisi- tion d’un logement, le gouvernement a introduit le Bëllegen Akt : un « crédit d’impôt » sur les droits de mutation pour toute personne souhaitant acquérir un immeuble à des fins d’habitation per- sonnelle. Limité à 20.000 EUR par acqué- reur, il est doublé pour un couple, mais il vaut pour toutes les acquisitions, jusqu’à épuisement. Des études ont toutefois montré que les coûts de transaction sur le marché du logement créent des effets de verrouillage et réduisent la mobilité résidentielle et professionnelle(5).

Déductibilité des intérêts débiteurs

L’intervention de l’État sur le marché du logement par le biais de la déductibilité des intérêts débiteurs réduit la charge de la dette pour les acheteurs et agit comme une subvention pour le financement d’une maison par la dette. En novembre 2017, l’OCDE a exprimé son point de vue sur la déductibilité des intérêts débiteurs au Luxembourg : elle est favorable à la limitation de la poursuite de la déductibilité car elle stimule la demande de logements. Certains pays européens sont déjà en phase avec les recommandations de l’OCDE. Par exemple, l’Espagne et l’Irlande l’ont complètement supprimée en 2011 et 2013 respectivement, et leurs niveaux de rapports d’endettement ont considérablement diminué.

Amortissements

Il existe différentes possibilités d’amortissement, y compris l’amortissement accéléré à 5 % pendant 5 ans pour les logements neufs.

Photo-Andrii Yalanskyi/Shutterstock
Photo-Andrii Yalanskyi/Shutterstock

Impôt foncier

Les impôts récurrents sur les biens immo- biliers représentent 0,2 % de la fiscalité totale au Luxembourg, contre 4,1 % dans l’Union européenne. L’impôt foncier ne pèse que 0,05 % du PIB(6). La flambée des prix de l’immobilier a conduit le gouvernement à présenter des propositions visant à réformer l’impôt foncier (et à prélever des taxes sur les propriétés inoccupées et les terrains vacants)(7). Même avec cette réforme, les recettes générées par l’impôt seraient entre 39 et 47 millions EUR par an par rapport au montant actuel de 39,1 millions EUR(8).

Impôt à la mobilisation de terrains et impôt sur la non-occupation de logements

L’impôt communal sur les logements non occupés, introduit en 2008 à titre facultatif dans le cadre du Pacte logement 1.0, n’a pas porté les résultats escomptés. D’aucuns affirment que des taxes bien conçues sur les terrains vacants peuvent encourager les développements résidentiels(9). Le gouvernement a déposé un projet de loi pour introduire (i) un impôt à la mobilisation de terrains visant à inciter à la construction effective sur des terrains y consacrés et (ii) un impôt national sur la non-occupation de logements(10). La réforme entrera pleinement en vigueur en 2026 au mieux, après les prochaines élections législatives et échevinales de 2023. Il n’est pas établi que l’impôt national sur la non-occupation de logements aura l’effet escompté. Il est prévu que l’impôt s’élèvera à 3.000 EUR par logement pour la première année. Les années suivantes, l’impôt sera augmenté chaque année pour arriver à un montant maximal de 7.500 EUR. On peut se poser la question si une telle charge fiscale incitera les propriétaires à louer.

Revenus locatifs imputés exonérés

En outre, les propriétaires occupants bénéficient d’un traitement fiscal favo- rable en ce sens que les revenus locatifs imputés sur la résidence principale ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu, contrairement aux revenus générés par les logements loués, créant ainsi un « biais immobilier ». Au contraire, certains autres pays imposent le revenu fictif obtenu par un propriétaire occupant pour le service de logement qu’il se rend à lui-même (Islande, Pays-Bas, Slovénie et Suisse)(11). Dans une étude publiée en 2016, la fondation IDEA(12) fait état d’une subvention publique totale de 37 % (146.629 EUR) pour une maison neuve achetée à un prix de 400.000 EUR en 2015 et vendue onze ans plus tard à un prix de 544.534 EUR.

Dans cet exemple, les incitations fiscales sont principalement portées par le taux de TVA réduit (50.000 EUR, le Bëllegen Akt (crédit d’impôt sur les actes notariés : 20.000 EUR par personne), la déductibilité des intérêts débiteurs (6.106 EUR) ; et par l’exonération fiscale de la plus-value sur la vente de la résidence principale (63.017 EUR). Ce traitement fiscal favorable de l’occu- pation par le propriétaire est souvent justifié par la nature spécifique du logement et les externalités positives pour la société qui peuvent être associées à l’occupation par le propriétaire. Dans ce contexte, il faut noter qu’au Luxembourg, 7 résidents sur 10 vivent dans un ménage propriétaire de sa résidence principale(13).

Autres facteurs

À côté des incitations fiscales qui renforcent la demande, il existe des possibilités réelles et envisageables pour encourager l’offre : fixation du mode d’utilisation du sol dans les PAG des communes, coefficient des densités, règles urbanistiques. Le coût des nouveaux lotissements ne cesse d’augmenter sous l’effet d’exigences cumulées en matière d’utilisation de l’espace et d’efficacité énergétique. Par exemple, sur le territoire de la Ville de Luxembourg, chaque nouveau logement doit être pourvu d’au minimum 0,8 (avec un maximum de 1,2) emplacements de stationnement créés sur un terrain privé – ce qui nécessite souvent de coûteux travaux de terrassement pour un parking souterrain. Pour les nouveaux quartiers, le nombre d’unités de logement est limité par des coefficients relatifs à la densité de loge- ment. Certes, le nombre d’unités de loge- ment a une incidence significative sur les équipements collectifs et publics ainsi que sur les flux de circulation, qui doivent être développés.

Conclusion

Propositions de réforme

Les droits de mutation pourraient être réduits, par exemple de 7 % à 3 %, et le Bëllegen Akt pourrait être supprimé. Une autre proposition serait de réformer le Bëllegen Akt, en le soumettant à des conditions de revenus et d’efficacité énergétique(14). La suppression du taux de TVA de 3 % pour les propriétaires bailleurs en 2015 est une mesure contre-productive dans un contexte d’offre limitée de logements locatifs. De plus, le maintien du taux de 3 % applicable à la rénovation crée un biais en faveur des logements existants pour les propriétaires.

La suppression de la déductibilité des intérêts débiteurs pour les propriétaires occupants et les propriétaires bailleurs serait une mesure efficace et sans coût pour réduire le biais d’accession à la pro- priété et le biais d’endettement. La procédure d’obtention des permis pourrait être simplifiée, en créant une sorte de « guichet unique » qui traite la demande de A à Z. Les communes pourraient être incitées à approuver les projets dans des délais beaucoup plus courts. L’évaluation des demandes de permis pourrait même être centralisée au niveau du gouvernement et l’intervention des communes pourrait être réduite au minimum.

Me Serge Hoffmann Partner,  Head of Real Estate PwC Legal
Me Serge Hoffmann Partner, Head of Real Estate PwC Legal

(1) Min Zhu (2014), Housing Markets, Financial Stability and the Economy, IMF, https://www. imf.org/en/News/Articles/2015/09/28/04/53/ sp060514 ; voir aussi Phillip J. Anderson (2009), The Secret Life of Real Estate and Banking, London et Mason Gaffney (2009), Gaffney on Money, Credit, and Crisis, Ame- rican Journal of Economics and Sociology, 68, 983-1038. (2) https://www.bcl.lu/fr/publications/bulle tins_bcl/Bull_2022_2/228202_BCL_BULLE TIN_2_2022_ANALYSES_05.pdf (3) https://www.bcl.lu/fr/publications/revue_sta bilite/rfs-2021/BCL_RSF_2021_03.pdf (4) https://www.athome.lu/blog/en/real-estate- market/prix/trends-2022 (5) Haurin, D.R. and Gill, H.L., 2002, The impact of transaction costs and the expected length of stay on homeownership, Journal of Urban Economics, 51(3), pp.563-584 ; Jos Van Ommeren, Michiel Van Leuvensteijn, New Evidence of the Effect of Transaction Costs on Residential Mobility, 2005. (6) https://www.fondation-idea.lu/2021/12/22/ trois-propositions-concretes-en-matiere- de-fiscalite-fonciere (7) https://mlog.gouvernement.lu/fr/dossiers. gouv_mint%2Bfr%2Bdossiers%2B2022%2 Bimpot-foncier.html (8) https://gouvernement.lu/dam-assets/docu ments/ac tualites/2022/10 -oc tobre/07- reforme-logement/presentation-du-pro jet-ppp.pdf (9) Dan Andrews, Aida Caldera Sánchez et Åsa Johansson (2011), Housing Markets and Struc- tural Policies in OECD Countries, Documents de travail du département des affaires éco- nomiques de l’OCDE. Disponible à l’adresse : http://dx.doi.org/10.1787/5kgk8t2k9vf3-en. (10) Projet de loi n° 8082 sur l’impôt foncier, l’impôt à la mobilisation de terrains et l’impôt sur la non-occupation de logements. (11) Dan Andrews, Aida Caldera Sánchez et Åsa Johansson (2011), loc. cit., n° 836. (12) http://www.fondation-idea.lu/2016/10/27/ idee-mois-n15-logement-luxembourg-etat- lieux-dentree-13, p. 18. (13) https://logement.public.lu/fr/publications/ observatoire/note-30.html (14) https://www.fondation-idea.lu/wp-content/ uploads/sites/2/2018/04/Template-CT.pdf,