La budgétisation verte : un outil prometteur
L’État luxembourgeois a présenté son projet de budget 2023 à la Chambre des députés, le 12 octobre 2022. Un budget conforme à la tradition, mais qui comporte des marges d’amélioration en matière de budgétisation verte ou Green Budgeting. Le présent article fait le point sur cette dernière et sur l’état des lieux en la matière au Luxembourg.
Le budget vert ou Green Budgeting consiste à évaluer de manière systématique l’impact environnemental des budgets publics, en considérant idéalement un champ assez large couvrant les impôts, taxes et redevances, les dépenses budgétaires et les différentes « dépenses fiscales ». La France est en pointe en la matière. Les autorités budgétaires y ont en effet déposé, en octobre 2020, une annexe au projet de loi de finances 2021 (PLF) où est passée au crible l’incidence environnementale des crédits budgétaires et des dépenses fiscales de l’État, sur la base de 6 objectifs environnementaux. Sont isolés parmi les agrégats budgétaires les postes présentant un lien avec au moins l’un des 6 objectifs. Ces postes se voient ensuite assigner, par objectif, une cotation « favorable », « défavorable » ou « neutre ».
Les dépenses budgétaires et les dépenses fiscales de l’État ayant fait l’objet d’une évaluation dans le cadre du « Budget vert » hexagonal se sont montées à 574 milliards EUR, dont 53 milliards présentant un lien avec l’environnement. Ce dernier montant se décompose en 38 milliards ayant des retombées environnementales favorables, près de 5 milliards affichant un bilan neutre et 10 milliards accusant une incidence environnementale négative. Les « dépenses fiscales » représenteraient à elles seules un peu plus de 70 % de cette dernière catégorie (voir https://www. budget.gouv.fr/files/uploads/extract/2021/ PLF_2021/rapport_IEE.PDF).
Que pourrait faire le Luxembourg en la matière ?
Sur le plan luxembourgeois et au vu de l’expérience française, IDEA avait à l’occasion du projet de budget 2021 de l’État proposé que, dans un premier temps et dans le cadre d’une stratégie graduelle et évolutive, la mise en place de la budgétisation verte se focalise sur la liste « officielle » des dépenses fiscales (reprise à l’annexe 10 du projet de budget pluriannuel 2023-2026, « Indications sur les dépenses fiscales et leur impact sur les recettes »). Cette liste, qui renferme surtout des « niches fiscales » en relation avec l’immobilier, devrait être élargie à des aspects présentant un enjeu environnemental, comme le leasing. L’impact environnemental de chaque « dépense fiscale » relevant de cette liste élargie serait désormais évalué (neutre, positif, négatif) à l’instar de la pratique française, en se concentrant le cas échéant (du moins au départ) sur la neutralité carbone.
Afin d’améliorer son évaluation environnementale, le crédit d’impôt logement se rapportant aux droits d’enregistrement et de transcription (Bëllegen Akt), qui pour 2023 porterait sur quelque 180 millions EUR, pourrait faire l’objet d’une modulation en fonction des performances énergétiques des bâtiments concernés. La mise en œuvre de la budgétisation verte devrait être précédée par un approfondissement méthodologique d’envergure – c’est la raison pour laquelle les impulsions doivent être données sans tarder. Les défis méthodologiques risquent d’ailleurs d’être exacerbés, au Luxembourg, par le Tanktourismus qui va de pair avec de plantureuses recettes sur les énergies fossiles. Cette « performance » n’est cependant qu’un effet d’optique associé aux achats de carburants par des non-résidents. Elle n’est nullement le reflet d’une fiscalité particulièrement incisive en matière d’énergies fossiles, ce dont toute « cotation environnementale » des recettes devra tenir compte.
Les 6 axes environnementaux du « Budget vert » français
Où en est le Luxembourg en matière de budgétisation verte ?
Le Luxembourg n’a à ce jour pas intégré de manière « systémique » la budgétisation verte au projet de budget ou même aux annexes budgétaires (les dépenses fiscales par exemple), à rebours donc de la pratique française. Cependant, le Grand-Duché ne part nullement d’une page blanche en matière de budgétisation environnementale. Les projets de budget successifs comprennent en effet une annexe sur les « fonds spéciaux », par où transite une bonne part des investissements publics ou des moyens alloués à d’autres projets se prêtant à une forme de planification pluriannuelle. Or, au moins trois de ces fonds présentent un lien direct avec l’environnement, à savoir le Fonds pour la gestion de l’eau, le Fonds pour la protection de l’environnement (lutte contre la pollution, déchets, protection de la nature, utilisation rationnelle de l’énergie et promotion du renouvelable, notamment) et le Fonds climat et énergie (réduction des émissions de gaz à effet de serre et adaptation au changement climatique, promotion de l’habitat durable et des véhicules propres, principalement). Pour l’année 2023, ces trois fonds devraient au total dépenser 540 millions EUR, soit l’équivalent de 2,2 % du budget global de l’État.
En outre, l’annexe ventile ces dépenses en fonction des différents projets, sur l’horizon 2023-2026. Le projet de budget déposé le 12 octobre 2022 renferme par ailleurs une innovation bienvenue, à savoir la ventilation des investissements publics par domaine thématique, y compris une catégorie « environnement et climat », et ce dans une perspective pluriannuelle (2022 à 2026 en l’occurrence). Il convient de noter également le suivi poussé des investissements réalisés dans le cadre de l’émission obligataire du Sustainability Bond en 2020, ainsi que des efforts réalisés pour atteindre les objectifs du Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) du Luxembourg. Autant de bonnes pratiques sur le plan environnemental, même si elles ne relèvent pas du Green Budgeting au sens strict du terme. Enfin, le Luxembourg participe depuis peu aux travaux du Paris Collaborative on Green Budgeting de l’OCDE (PCGB), ce que recommandait d’ailleurs IDEA dans ses contributions de 2020 suite au dépôt du projet de budget 2021.
Le PCGB est une initiative lancée le 12 décembre 2017, à l’occasion du One Planet Summit (voir https://www.oecd.org/environment/ green-budgeting) afin de favoriser les échanges de bonnes pratiques en matière de budgétisation verte et l’élaboration de standards méthodologiques performants. Cette initiative, qui est à l’origine du « budget vert » français, permettra au Luxembourg de tisser des liens en la matière et d’accéder par ce biais aux méthodologies mises en œuvre dans les pays participants, un avantage appréciable dans ce domaine éminemment complexe.
La philosophie d’ensemble présidant à l’introduction de la budgétisation verte a été présentée explicitement dans la plus récente actualisation du Programme de Stabilité du Luxembourg : « À moyen terme, la méthodologie sous-jacente à la budgétisation verte évoluera en fonction des expériences acquises sur le terrain et à travers les efforts réalisés au niveau européen pour développer les outils en question. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement entend renforcer le suivi et l’évaluation de l’impact des politiques sur le développement durable au moment de l’élaboration des actes législatifs et réglementaires par le biais du Nohaltegkeetscheck ». Une évolution prometteuse, donc, même si beaucoup reste à faire. Le but ultime du Green Budgeting devant consister à identifier de manière transparente les points faibles du Luxembourg en matière de développement durable et à élaborer en conséquence des mesures concrètes. Mieux évaluer pour mieux agir, en quelque sorte.
Le Luxembourg n’a à ce jour pas intégré de manière « systémique » la budgétisation verte au projet de budget ou même aux annexes budgétaires (les dépenses fiscales par exemple), à rebours donc de la pratique française. Cependant, le Grand-Duché ne part nullement d’une page blanche en matière de budgétisation environnementale. Les projets de budget successifs comprennent en effet une annexe sur les « fonds spéciaux », par où transite une bonne part des investissements publics ou des moyens alloués à d’autres projets se prêtant à une forme de planification pluriannuelle.