L’assurance face au défi climatique
Le monde de demain, au regard de l’importance croissante des risques climatiques, est-il encore assurable ? Cette question constitue une nouvelle source de préoccupation, notamment suite aux désengagements de nombreux acteurs ne souhaitant plus couvrir certains risques.
Beaucoup gardent en mémoire l’ampleur des incendies géants qui ont ravagé des quartiers entiers d’une ville côtière américaine au début de cette année. Cet épisode malheureux, conséquence désastreuse d’un dérèglement climatique qui s’intensifie, a mis en lumière un autre phénomène : l’annulation ou le non-renouvellement des contrats d’assurances par des compagnies pour des biens situés dans des zones sujettes aux incendies. Le Luxembourg n’est pas Los Angeles, évidemment. Cependant, le pays a lui aussi connu des épisodes de fortes intempéries, notamment en 2021, avec des dégâts conséquents.
Des risques croissants
L’impact grandissant des risques climatiques peut-il conduire à un désengagement des compagnies d’assurances ? Un monde sujet au dérèglement climatique est-il encore assurable ? Le débat est vaste et mérite d’être abordé avec nuance. La question, cependant, reste légitime.
Il apparaît très clairement que les risques climatiques augmentent. Entre 1950 et 2020, la hausse de la température moyenne a été estimée à 1,1 °C selon les études du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les conséquences sont multiples : canicules, fortes précipitations (avec inondations et glissements de terrain), sécheresses, cyclones, déstabilisation des écosystèmes… Dans ce contexte, le secteur de l’assurance est confronté à des enjeux économiques, politiques et sociétaux sans précédent.
La question de l’assurabilité
Lors du dernier ACA Insurance Day, un panel a été consacré à cette problématique. Ce fut l’occasion de rappeler, qu’au Luxembourg, l’assurabilité n’est pas encore un problème critique. Toutefois, le soutien des réassureurs reste indispensable pour absorber les pertes liées aux catastrophes naturelles. Face au risque croissant, des mesures doivent néanmoins être prises, notamment en matière de prévention et de sensibilisation, mais aussi pour adapter le modèle. Il s’agit de mieux comprendre les risques à l’échelle géographique afin de combler les lacunes de protection.
La prévention constitue un levier essentiel dans l’adaptation du modèle assurantiel. Elle passe par une meilleure cartographie des zones à risque, le renforcement des infrastructures critiques (digues, réseaux électriques, bâtiments), ainsi que la promotion de normes de construction plus résilientes. Les assureurs, en lien avec les pouvoirs publics, peuvent aussi jouer un rôle actif dans l’accompagnement des assurés, via des actions de sensibilisation ou l’octroi de bonus à ceux qui prennent des mesures de protection (systèmes anti-inondation, diagnostics de vulnérabilité, etc.). En agissant en amont, il devient possible de limiter l’intensité des sinistres et, ce faisant, de préserver l’équilibre du système assurantiel à long terme.
Un modèle mis à l’épreuve
La prévention est une première démarche. Est-elle suffisante ? Rien n’est moins sûr.
Au regard des indemnités versées à la suite de catastrophes naturelles, c’est le modèle même de l’assurance qui est mis à l’épreuve. Il est important de rappeler que l’assurance repose sur un système organisé d’acceptation et de gestion des risques fondé sur la mutualisation. L’équation économique de l’assurance à long terme réside dans une combinaison entre ce principe de mutualisation et les facteurs espace-temps. Autrement dit, si les catastrophes se rapprochent dans le temps et provoquent des dégâts importants sur de vastes territoires, le système devient non viable. Il faut donc le transformer pour faire face aux nouvelles contraintes.
Prévenir et mieux appréhender les risques
Mais comment procéder ? L’une des pistes explorées lors de l’ACA Insurance Day réside dans l’établissement de partenariats entre assureurs et pouvoirs publics pour maintenir un système d’assurance durable. En effet, les modèles purement privés apparaissent comme insuffisants pour garantir une couverture universelle des risques climatiques. Des mécanismes mixtes public-privé, comme le régime espagnol qui permet de mutualiser les coûts entre assurés plus ou moins exposés, constituent une piste à explorer.
L’approche de gestion des risques, à l’aune des bouleversements climatiques, doit égale- ment être repensée. Les assureurs doivent dès à présent mieux anticiper les impacts à long terme, afin de pouvoir adapter leurs contrats. C’est un exercice complexe mais nécessaire, qui doit permettre d’intégrer progressivement ces nouveaux risques au cœur des stratégies à court, moyen et long terme.
Repenser le modèle
L’enjeu, in fine, sera de proposer un modèle d’assurance adapté à ces risques, qui reste accessible à tous – y compris aux personnes situées dans des zones exposées –, avec par exemple des systèmes d’aides publiques pour soutenir le paiement des primes dans ces régions.
Le sujet, en tout cas, devra rester au cœur des préoccupations des acteurs du secteur pour un long moment encore. Il est essentiel. Répondre au risque climatique impliquera sans aucun doute des transformations profondes. Si le climat se dérègle, et à défaut de pouvoir atténuer tous les risques, nous devrons accepter de profondes adaptations.
Sébastien Lambotte