Contrairement au harcèlement sexuel, le harcèlement moral ne fait l’objet d’aucune définition spécifique dans le Code du travail luxembourgeois. Pourtant, le phénomène prend de l’ampleur au fil des années. Entretien avec le Dr Robert Goerens, médecin chef de la Division de la Santé au travail et de l’Environnement de la Direction de la santé.

Dr Robert Goerens, médecin chef de la Division de la Santé au travail et de l’Environnement, Direction de la santé.
Dr Robert Goerens, médecin chef de la Division de la Santé au travail et de l’Environnement, Direction de la santé.

Votre fonction vous amène à rencontrer régulièrement des salarié(e)s victimes de harcèlement moral. Quelle définition prenez-vous en compte pour qualifier les actes relatés par ces patient(e)s de harcèlement moral ?

Le harcèlement moral, aussi appelé mobbing, du verbe anglais to mob signifiant « molester, malmener », implique, comme l’a très bien défini le professeur en psychosociologie suédois Heinz Leymann – considéré comme le pionnier dans la recherche sur le harcèlement moral – que la victime soit molestée systématiquement au moins une fois par semaine pendant au moins 6 mois par une ou plusieurs personnes. La spécificité du harcèlement psychologique est donc sa répétition et sa systématisation sur un laps de temps assez long. Il peut s’agir de mauvaises plaisanteries, taquineries entre collègues, humiliations, allusions mystérieuses, chuchotements, atteinte calomnieuse à sa réputation… ou d’isoler un(e) collègue en critiquant systématiquement son travail, ses capacités, en ne divulguant pas sciemment des informations, des changements, en sabotant son travail, en l’excluant systématiquement des activités sociales du bureau ou du service, le but étant de « détruire » moralement la personne visée.

Y a-t-il des secteurs plus sujets que d’autres au mobbing ?

Nous constatons un nombre plus élevé de cas dans le secteur tertiaire, notamment financier et dans la fonction publique. Cela peut s’expliquer par le fait que les gens travaillent souvent en open spaces et sont donc plus proches de leurs collègues toute la journée, ce qui peut donc les amener ou les inciter à répéter ces comportements malveillants. Mais personne n’est à l’abri d’être victime de harcèlement moral, quel que soit son niveau hiérarchique ou le secteur de son entreprise.

Le harcèlement moral entraîne-t-il d’office des situations de stress…

Oui. Chaque personne vit le mobbing de manière différente, mais il y a inévitablement un état de stress qui s’installe. Cela peut aller des troubles du sommeil aux états anxieux (avec parfois addictions à l’alcool, médicaments, drogues, tabac) en passant par des impacts psychologiques plus ou moins importants. Lorsque la personne en arrive à avoir un comportement obsessionnel, voire phobique, on peut dire que la situation est déjà très grave.

Comment agir lorsque l’on est soi-même victime ou que l’on constate un harcèlement ?

Lorsque l’on assiste à un comportement anormal de la part d’un(e) collègue, il faut tout de suite agir. Si on le peut soi-même, en répondant à cette personne, en montrant que l’on ne se laisse pas traiter de la sorte. On peut en parler à sa hiérarchie, au médecin du travail, aux représentants du personnel, à un syndicat… L’ASTF (Association pour la Santé au travail des secteurs Tertiaire et Financier), le STM (Service de Santé au Travail Multisectoriel) et le service de la santé au travail de la fonction publique s’investissent beaucoup pour aiguiller les victimes vers les consultations adéquates, car il ne faut jamais rester isolé(e). Enfin, il faut savoir qu’en cas de harcèlement moral avéré par un certificat d’un médecin traitant et confirmé par le médecin de l’ADEM, toute personne victime de harcèlement moral peut démissionner et avoir droit au chômage. Même si c’est l’ultime option, elle est parfois nécessaire pour tourner définitivement la page.

Propos recueillis par Isabelle Couset


Harcèlement moral au travail au Luxembourg

Les résultats de l’enquête annuelle Quality of Work Index montrent que la prévalence du harcèlement moral au travail est passée de 12,4 % en 2014 à 18,1 % en 2018.

Parmi les pays européens, le Luxembourg est, après la France (12,2 %), le pays présentant la prévalence la plus élevée de harcèlement moral (9,6 %).

La situation la plus fréquente pour les salariés est de se voir attribuer des tâches dénuées de sens (entre 6,9 % et 10,9 % de 2014 à 2018). Le 2e comportement le plus fréquent est la critique régulière de leur travail (entre 3,9 % et 8,1 % de 2014 à 2018). Le fait d’être ignoré(e) est également régulièrement vécu par une partie significative des salariés (entre 3,7 % et 6,3 % de 2014 à 2018). Puis viennent les conflits avec les collègues ou le supérieur hiérarchique, ce qui a concerné, entre 2014 et 2018, de 2,7 % à 4,7 % des personnes interrogées (« souvent » ou « (presque) toujours »). Le fait d’être ridiculisé(e) par les autres est le type de situation la moins fréquente (entre 0,9 % et 3,1% de 2014 à 2018).

Aucune différence importante n’apparaît entre les hommes et les femmes. Si l’on observe les groupes d’âge, on remarque que les salariés entre 16 et 24 ans sont plus exposés au harcèlement moral que les salariés âgés de 25 ans ou plus. Les salariés célibataires sont plus concernés par le harcèlement moral que ceux en couple.

Du point de vue du pays de résidence, les salariés vivant au Luxembourg et en France sont relativement plus concernés par le harcèlement moral que les autres salariés.

Si l’on observe les catégories professionnelles, il apparaît que les salariés des métiers qualifiés de l’industrie et de l’artisanat ainsi que le personnel des services directs, commerçants, vendeurs sont les plus concernés par le harcèlement moral. Aucune différence majeure n’apparaît entre les salariés ayant un CDD et ceux ayant un CDI. Les salariés travaillant à temps partiel sont un peu moins nombreux à être concernés par le harcèlement moral que les salariés travaillant à temps plein. Si l’on examine la position hiérarchique, on ne constate ici aussi aucune différence. De même, les différences ne sont que minimes si l’on se base sur l’ancienneté dans l’entreprise.

Les salariés travaillant dans des organisations publiques semblent être plus concernés que les autres par le harcèlement moral. Si l’on examine la taille de l’organisation/entreprise, aucune différence importante n’apparaît.

Dans l’ensemble, les salariés concernés par le harcèlement moral font état de conditions de travail plus mauvaises que les salariés n’étant pas concernés par le harcèlement moral. En effet, les salariés concernés par le harcèlement moral présentent en moyenne des valeurs plus faibles sur les aspects de participation, de feedback, d’autonomie, de coopération, de satisfaction vis-à-vis du salaire, des possibilités de formation et de promotion, ainsi que de sécurité d’emploi. De plus, ils déclarent en moyenne être plus exposés à la concurrence, à une charge mentale et émotionnelle élevée, à des contraintes de temps plus fortes, à une charge physique importante, à un risque d’accident accru, et rapportent avoir plus de difficultés à changer d’emploi et à gérer leur équilibre entre vie familiale et vie professionnelle.

Source : Chambre des salariés et Université du Luxembourg/Research Unit INSIDE, P. Sischka et G. Steffen, Quality of Work Index, n° 14, Le harcèlement moral au travail au Luxembourg : quelle est l'ampleur du problème ? Newsletter n° 5/2019 du 20 juin 2019.


 

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