80 % des Luxembourgeois sont propriétaires de leur résidence principale – ce qui est confortablement élevé – et 50 % des résidents étrangers le sont également – ce qui est quasiment le double du taux moyen (26 %) de propriétaires parmi les résidents étrangers dans les pays européens. Le Luxembourg est ainsi ce qu’il convient d’appeler une démocratie de propriétaires.

Parmi les 70 % de ménages résidents qui sont propriétaires, environ 58 % ont un crédit en cours et un certain nombre d’entre eux ont encore plusieurs longues années de remboursements devant eux ; bon an mal an, il y avait autour de 14.000 bénéficiaires du Bëllegen Akt (crédit notarié destiné aux propriétaires occupants, notamment primo-accédants). En dépit des réelles difficultés de logement et de l’idée selon laquelle plus personne n’arrivait à se loger au Luxembourg (alors que la population augmentait quand même de plus de 10.000 habitants par an, pour la plupart venue d’ailleurs), la « classe moyenne » parvenait jusqu’à peu, certes au prix d’un taux d’effort un peu plus important chaque année, à embrasser le « rêve grand-ducal » de devenir propriétaire. L’envolée des taux d’intérêt a singulièrement changé la donne et est venue mettre de sérieux grains de sable dans les rouages plus ou moins bien huilés de l’acquisition de sa résidence principale.

Il est à ce titre notable que :

  • la « crise du logement » évoquée depuis 10 ans, voire depuis plus longtemps, est rentrée dans sa phase aigüe actuelle par le canal de la politique monétaire ;
  • l’opposition systématique entre politiques de l’offre et de la demande n’est pas toujours des plus pertinentes ; dans le contexte actuel, la faiblesse de la demande (à cause du moindre pouvoir d’achat immobilier des acquéreurs potentiels) est la principale contrainte d’offre (matérialisée par le moindre niveau d’autorisation de bâtir et la moindre activité de construction résidentielle).

Il est nécessaire, voire utile, de se poser une question dont la réponse est d’ordre arithmétique : puisque le niveau des taux d’intérêt déterminé par la politique monétaire de la BCE s’impose aux banques et aux emprunteurs du Luxembourg, et qu’il se trouve à un niveau significativement plus élevé qu’en début d’année 2022, quelle est l’évolution des prix immobiliers compatible avec ce qu’était le pouvoir d’achat immobilier du ménage moyen en 2019 ? La réponse est une chute des prix de l’ordre de 35 %. Cela n’est pas vraiment souhaitable, ni d’ailleurs souhaité. La « crise du logement » c’est quand les prix augmentent et c’est terrible ; quand les prix plongent, il s’agit d’une « crise immobilière » et cela est généralement pire. Aussi, le Luxembourg a besoin d’investissements résidentiels, et des prix en recul mois après mois ne sont ni le meilleur encouragement à l’investissement, ni de nature à donner envie aux banques de prêter.

Photo-Wolfilser/Shutterstock
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Quelques mesures envisageables

À court terme, il faudra augmenter la demande immobilière effective pour qu’elle puisse rencontrer et servir l’offre. Certains y verront de vielles recettes avec des effets distributifs indésirables(1), mais le plus « évident » pour (re)solvabiliser la demande passe par des mesures de type « faveur fiscale » (baisse de TVA, réduction de droits d’enregistrement, subvention d’intérêt, hausse du plafond de la déductibilité d’emprunt, réintroduction des transferts de plus-value, amortissement accéléré, etc.). À côté de cela, il y a la question des investisseurs providentiels au premier rang desquels l’État. Le Fonds spécial de soutien au développement (bras armé du ministère du Logement) qui finance principalement les projets des promoteurs sans but de lucre pourrait ainsi augmenter (significativement) ses acquisitions auprès des promoteurs privés. Une idée à considérer est celle du coût d’opportunité des 500 millions EUR de « cagnotte » qui semblent déborder des caisses de l’État. Que ces 500 millions EUR soient utilisés pour la stratégie nationale du logement abordable est – peut-être – une alternative à embrasser !

Aussi, il y a éventuellement matière à chercher à quelque peu ralentir l’impressionnante évolution des coûts de construction, sachant que certains pays affichent des hausses plus contenues qu’au Luxembourg. À moyen terme, si la question des prix immobiliers et du coût du logement occupe, logiquement, tous les esprits, la question centrale, eu égard à l’évolution prévisible de la population reste celle de la production de nouveaux logements. Le Luxembourg compte 387 logements pour 1.000 habitants contre 468 logements pour 1.000 habitants dans les pays de l’OCDE ; cela fait des années que le nombre de ménages progresse davantage que le nombre de logements construits et donc que le stock de logements vacants se réduit ; les recettes attendues au titre de l’INOL (Impôt sur la Non-Occupation de Logements) tendent d’ailleurs à indiquer que le stock de logements vacants serait moins imposant que parfois cru.

Il y a par conséquent une urgente nécessité à transformer le Grand-Duché en un État bâtisseur, ce qui suppose, entre autres, un pacte entre les différents acteurs (privé et public) pour que cela advienne. Il faudra(it) convenir d’une alliance – qui oblige les parties prenantes – et vise à rendre possible la réalisation de 6-7.000 logements par an (qui correspond à la demande potentielle à satisfaire estimée par le STATEC). Une telle alliance supposerait d’arrêter clairement un ensemble de mesures et d’engagements (concernant la réglementation, la main-d’œuvre, les décharges pour matières inertes, la mobilisation foncière, les mesures fiscales, le financement, l’aménagement, etc.).

Un important élément à considérer dans la poursuite de cet objectif est que produire 6.000 logements par an ne suppose pas simplement que le besoin soit là, mais que les acquéreurs aussi le soient. Cela suppose éventuellement de repenser/compléter la politique luxembourgeoise de logements abordables qui est actuellement articulée autour de l’offre des promoteurs publics. À tous les termes (court, moyen, long), il faudra « trancher » la question du statut d’occupation, car compte tenu de l’évolution démographique (hausse importante de la population, énormément de jeunes actifs, de plus en plus de ménages composés d’une seule personne, forte demande de colocation) et des niveaux de prix immobiliers atteints au Luxembourg, le territoire ne va-t-il/doit-il pas devenir plus locatif que par le passé, à l’instar des grandes métropoles ?

Si la réponse est oui, qu’est-ce que cela implique concrètement (en termes de politique du logement, de politiques fiscales, de mise en place de contreparties aux aides aux bailleurs, de régulation des rapports entre bailleurs et locataires, d’ingénierie foncière, etc.), sachant qu’à chaque locataire il faut un bailleur et que les listes des promoteurs publics débordent. À ce titre, une information venue d’Allemagne, qui est à la source de certains éléments de la fiscalité du Luxembourg, est passée inaperçue au Grand-Duché et mérite d’être citée : l’amortissement pour usure est passé de 2 à 3 % dans le pays (6 mois avant la date initialement prévue) et l’amortissement exceptionnel pour les logements locatifs neufs, éteint au 1er janvier 2022, a été remis en place au 1er janvier 2023...

Évolution de l’accessibilité à la propriété pour un individu disposant du revenu moyen

Michel-Édouard  Ruben Senior Economist Fondation IDEA asbl
Michel-Édouard Ruben Senior Economist Fondation IDEA asbl

 

(1) Voir à ce sujet : LISER (2022), L’impact des politiques sociales et fiscales en matière de logement sur la situation de revenu des loca- taires et propriétaires. Photo-Wolfilser/Shutterstock À tous les termes (court, moyen, long), il faudra « trancher » la question du statut d’occupation, car compte tenu de l’évolution démographique (hausse importante de la population, énormément de jeunes actifs, de plus en plus de ménages composés d’une seule personne, forte demande de colocation) et des niveaux de prix immobiliers atteints au Luxembourg, le territoire ne va-t-il/doit-il pas devenir plus locatif que par le passé, à l’instar des grandes métropoles ?