« Les jeunes femmes diplômées (25-34 ans) gagnent plus que les hommes » ! C’était le titre du communiqué de presse du STATEC accompagnant son bulletin relatif aux salaires, à l’emploi et aux conditions de travail paru en janvier 2017(1). Si le fait de « gagner plus » n’est ni source de bien-être (compte tenu du pressoir du bonheur et du glissement des préférences), ni une fin en soi (pour des raisons évidentes), les écarts salariaux étant (à juste titre) souvent évoqués pour signifier les inégalités des droits et des chances entre les hommes et les femmes, ce constat du STATEC est une bonne nouvelle. Puisqu’à ces âges (25-34 ans) les femmes sont plus diplômées que les hommes, qu’elles soient davantage rémunérées signifie alors que la prime éducative (skill premium) l’emporte sur la prime liée au genre (gender premium).

Hélas, une lecture complète de la publication du STATEC vient nuancer ce constat. Car, en réalité, au Luxembourg, les femmes salariées sont plus diplômées que les hommes parmi les différentes tranches d’âges (à l’exception des 55 ans et plus), mais les salaires des hommes sont en moyenne toujours supérieurs à partir de 35 ans, traduisant que la progression des salaires avec l’âge ne suit pas la même trajectoire pour les deux sexes.

Répartition de l'emploi selon le niveau d'éducation

  Secondaire
inférieur
ou moins
Secondaire
supérieur
Tertiaire Total
Hommes        
15-24 40,8 43,5 15,7 100,0
25-34 24,8 37,9 37,3 100,0
35-44 26,1 37,4 36,5 100,0
45-54 32,1 42,9 25,0 100,0
55+ 35,2 37,7 27,1 100,0
Total 29,2 39,5 31,4 100,0
Femmes       100,0
15-24 30,1 46 24 100,0
25-34 15,5 34,0 50,5 100,0
35-44 22,2 34,2 43,6 100,0
45-54 32,8 41,7 25,5 100,0
55+ 40,3 40,1 19,6 100,0
Total 24,5 37,2 38,3 100,0

 Source : STATEC

En 2014, une femme gagnait ainsi en moyenne 17 % de moins qu’un homme au Luxembourg. 65 % de cet écart provient de l’effet du temps partiel (39 % des femmes travaillent à temps partiel contre 6 % des hommes). En comparant le salaire annuel moyen des hommes et des femmes en équivalents temps plein, l’écart se réduit à 6 %. Cet écart s’explique en partie par une ségrégation professionnelle (les femmes sont plus fréquemment dans les secteurs de la santé, de l’action sociale, des arts, de l’Horeca, des activités de services administratifs et moins souvent présentes dans les secteurs des TIC ou à des postes de cadre supérieur ou dirigeant, par exemple). 

Par conséquent, oeuvrer pour une plus grande égalité salariale suppose de prendre des mesures qui permettent aux femmes de concilier vie privée et professionnelle (à temps plein), de « masculiniser » leurs carrières (études en sciences, ingénierie, TIC) et d’être plus souvent présentes à des niveaux hiérarchiques supérieurs (postes de direction), tout en respectant leur liberté individuelle (volonté de travailler à temps partiel, d’être mère au foyer, de ne pas devenir « directrice », etc.)(2).

Quand on observe l’évolution des carrières de façon « genrée », il semble que la question de l’égalité des sexes soit grandement liée au « fait » de la maternité, comme si le « plafond de verre » était avant tout un « plafond de mère ». Le travail à temps partiel, qui est un phénomène principalement féminin au Luxembourg – et peut être considéré comme un frein à l’évolution des carrières vers des postes de direction –, semble d’ailleurs largement déterminé par le fait d’avoir des enfants (14 % des femmes sans enfants optent pour un travail à mi-temps, contre 33 % pour les mères avec un enfant et 51 % pour celles ayant deux enfants à charge). Les possibilités de faire garder les enfants (places en crèches) et la prise de congé par les pères (qui ne représentent actuellement que 20 % des congés parentaux) semblent ainsi être les leviers à actionner en ce sens, même si certaines évolutions sociétales (hausse du nombre de familles monoparentales, importance des naissances hors mariage (40 %)) risquent de rendre cet objectif difficile à atteindre.

Des schémas à déconstruire

S’agissant de la « masculinisation » des carrières des femmes, il s’agit avant tout d’une lutte contre les stéréotypes (les filles n’aiment pas les mathématiques et les sciences, la finance de marché est un domaine trop « masculin et machiste » pour les femmes, les femmes compte tenu du fait sont des « mères en puissance » et sont peu enclines à accepter dans la durée certaines exigences de disponibilité professionnelle, les femmes trouvent les situations concurrentielles désagréables et n’aiment pas les conflits que supposent les postes de direction, les femmes sont naturellement portées sur l’altruisme et le lien social, et sont donc prédisposées à travailler dans les métiers du care, etc.). Les initiatives pour inciter les filles à embrasser des carrières scientifiques, technologiques et de cheffes d’entreprises devraient ainsi être systématisées (promotion des femmes scientifiques et dirigeantes d’entreprise, prix d’excellence pour les filles, visibilité accrue des femmes parmi les partenaires sociaux, poupées geek et ordinateurs roses(3), etc.). Symétriquement, une « entière » politique d’égalité devrait aussi viser à « féminiser » la vie professionnelle des hommes dans le but – notamment – de déconstruire l’idée qu’il y aurait des métiers masculins (en sciences, ingénierie, TIC) et des métiers féminins (en santé et action sociale, arts et culture, enseignement) (4).

La question de l’égalité entre hommes et femmes sur le marché du travail (en termes de salaires, de fonction et d’intensité de travail) n’est cependant pas qu’une question d’équité, il s’agit aussi d’une question d’efficacité économique et de modernité. Augmenter la participation des femmes au marché du travail et à des postes à responsabilités c’est ainsi accroître l’offre de travail (et donc atténuer certaines pressions sur le marché du travail), réduire l’exposition des femmes au risque de pauvreté compte tenu de l’instabilité des couples (sur l’ensemble des mariages célébrés dans les années 1980, 34 % des couples n’existaient plus en 2008, 25 % des femmes mariées au Luxembourg n’ont aucun revenu), compter sur tout le talent potentiel présent au Luxembourg (le taux de non-participation au marché du travail des femmes d’âge actif et hautement qualifiées (15 %) est 4 fois plus élevé que la moyenne européenne) et c’est surtout, pour paraphraser le Premier ministre canadien, être en 2017...

Michel-Edouard Ruben, Economiste, Fondation IDEA asbl.
Michel-Edouard Ruben, Economiste, Fondation IDEA asbl.

(1) Voir STATEC (2017), Bulletin n° 1/2017 Salaires, emploi et conditions de travail.

(2) Il est à signaler que de nombreuses initiatives sont prises en ce sens, voir : www.mega.public.lu.

(3) Voir Alexandre Delaigue (2016), Dois-je acheter des Lego roses pour ma fille ?

(4) Voir le site du nouveau think tank luxembourgeois consacré à la complémentarité des sexes : www.equilibre.lu.