La révolution digitale a déjà commencé à affecter le monde du travail de multiples manières.

D’une part, le recours accru à l’automatisation et à l’intelligence artificielle devrait se traduire par une destruction d’emplois estimée à un minimum de 9 % dans 21 pays de l’OCDE(1). D’autre part, la digitalisation contribue à la création de nouveaux emplois (par exemple les métiers liés aux Big Data) et à la transformation des emplois existants qui accordent une place grandissante à l’usage des technologies. Ce phénomène de digitalisation de l’environnement de travail n’est pas sans conséquence sur les employés puisqu’elle affecte directement leur motivation au travail et leur volonté de rester dans l’entreprise. Les managers doivent donc tenir compte de cet impact en cherchant à développer les technologies encourageant la motivation des salariés et également en adoptant des solutions permettant un usage raisonné des technologies qui sont facteurs de démotivation mais dont l’usage est inévitable.

Cet article vise à synthétiser les résultats de deux articles de recherche réalisés dans le cadre du projet TWAIN(2) financé par le Fonds National de la Recherche. L’objectif de ces recherches est d’analyser les conséquences de l’usage des technologies sur la motivation au travail et également sur la volonté de quitter l’emploi actuel.

Nous distinguons ici deux types de technologies habituellement utilisées dans les entreprises en vue d’optimiser le partage d’information et la communication. Nous nous intéressons aux technologies de l’information (tels que l’Enterprise Resource Planning/ERP et les outils de gestion du flux de travail/Workflow) qui permettent de réduire les coûts d’accès aux informations et aux connaissances dans les entreprises et d’augmenter la transparence au sein des organisations. Et, par ailleurs, aux technologies de la communication (tels que les e-mails, Web-conférences et les logiciels de travail collaboratif/Groupware) qui peuvent, au-delà de leurs bénéfices évidents, avoir, lorsqu’elles sont mal utilisées, des effets pervers sur l’autonomie des salariés. Ces technologies conduisent, en effet, à ce que les décisions soient plus souvent prises par les échelons hiérarchiques supérieurs.

Plus précisément, ces recherches visent à répondre aux questions suivantes : est-ce que les technologies de l’information et les technologies de la communication ont des effets sur la motivation des employés ? Ces effets sont-ils les mêmes selon la nature de la technologie ? Qui sont les salariés les plus susceptibles de rester dans leur emploi ? Est-ce que l’usage combiné des technologies incite les salariés à quitter leur emploi ?

Des effets différenciés sur les motivations des salariés

Pour répondre à ces questions, les données provenant d’une enquête réalisée par le LISER en 2013 auprès d’employeurs et de salariés du secteur privé luxembourgeois ont été utilisées. Ces données permettent d’identifier les technologies utilisées, les motivations et la volonté de rester dans l’emploi actuel de plus de 14.000 employés du secteur privé (résidents et frontaliers) travaillant dans plus de 2.000 entreprises d’au moins 15 salariés installées au Luxembourg.

Le concept de motivation au travail retenu ici est fondé sur des travaux en psychologie du travail et est strictement défini par différentes dimensions. Il se décompose, d’un côté, par une motivation liée à la réalisation de tâches en phase avec ses propres valeurs ou par plaisir (motivation dite autonome) et d’un autre côté par une motivation illustrant l’adhésion du salarié au système de récompense de l’entreprise et la volonté de stimuler son ego (motivation dite contrôlée) (voir Tableau 1).

La motivation autonome est associée à des comportements positifs des salariés avec plus de partage d’information, de coopération entre collègues, d’engagement affectif et de performance. Ce n’est pas le cas de la motivation contrôlée qui est uniquement associée à ce que l’on appelle un engagement de continuité visà- vis de l’entreprise qui conduit l’individu à rester dans son emploi pour éviter les coûts inhérents à un changement d’emploi.

Une première analyse révèle que les technologies de l’information et de la communication ont des effets différenciés sur les motivations des employés (voir Tableau 2). Ainsi, nous pouvons retenir que parmi les technologies de l’information, l’usage du Workflow augmente l’intérêt que le salarié porte à son travail (c’est-à-dire sa motivation intrinsèque) ainsi que son investissement au travail pour donner le meilleur de lui-même et ne pas échouer (c’est-à-dire sa motivation introjectée). Du coté des technologies de la communication, l’usage du Groupware diminue les quatre dimensions de la motivation. Elle réduit ainsi sa motivation à rechercher des récompenses, la stimulation de son ego ainsi que l’importance et l’intérêt portés au travail. A l’inverse, l’utilisation de l’e-mail professionnel augmente les différentes dimensions de la motivation, à l’exception de la motivation extrinsèque. Précisons toutefois que ce résultat ne tient pas compte de l’intensité de l’usage de l’e-mail. D’autres travaux scientifiques ont ainsi montré que l’usage intensif de l’email peut engendrer de l’anxiété liée à l’infobesité et/ou aux difficultés à se déconnecter. L’analyse montre également qu’un usage combiné des différentes technologies renforce positivement les différentes dimensions de la motivation à l’exception de la motivation extrinsèque.

La seconde analyse s’intéresse à la volonté de quitter l’entreprise selon les différentes dimensions de la motivation affichées par les salariés. L’analyse met en évidence que les employés ayant une forte motivation autonome (valeurs et plaisir) sont les moins susceptibles de vouloir quitter leur entreprise. A l’inverse, les employés qui ont une forte motivation contrôlée (récompenses et ego) sont les plus susceptibles de vouloir quitter leur entreprise. Cette seconde analyse souligne également que, comme nous venons de le voir, l’usage combiné des technologies renforce les motivations des salariés, mais qu’il n’a pas que des avantages pour l’entreprise puisqu’il incite les employés à quitter leur emploi. De plus, les résultats mettent en évidence que les salariés qui ont des compétences en informatique supérieures à celles requises dans leur emploi ont plus tendance à chercher à quitter leur entreprise. Ce résultat peut, au moins en partie, s’expliquer par le fait que ces employés sont très demandés sur le marché du travail. Les salariés dont les compétences en informatique sont inférieures à celles requises dans leur emploi sont également plus susceptibles de vouloir quitter leur entreprise. Ce résultat est connu sous le nom de skill-biased technological change ou changements technologiques favorisant les plus qualifiés.

En conclusion

Les résultats de cette recherche invitent les entreprises à prendre conscience des effets positifs et négatifs des technologies sur leur organisation, et sur les dimensions de la motivation de leurs employés. Les employeurs doivent notamment chercher à stimuler la motivation autonome de leurs employés (valeurs et plaisir) puisque cette stimulation influencera directement leur performance et participera in fine à la pérennité des entreprises et de l’emploi.

Alors qu’il convient de tirer parti au maximum des effets positifs de la digitalisation en utilisant les technologies de l’information et notamment les Workflow, il est également crucial d’avoir un usage des technologies de la communication raisonné pour en contrecarrer les effets négatifs. Par ailleurs, une formation à l’usage des technologies est indispensable pour maintenir dans l’emploi certains salariés et notamment les moins qualifiés. Retenir les salariés dotés de compétences technologiques est également important dans un contexte de pénurie de certaines de ces compétences sur le marché du travail.

Ludivine Martin, Docteur en Sciences économiques, Chercheur au sein du département Marché du travail, Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER)
Ludivine Martin, Docteur en Sciences économiques, Chercheur au sein du département Marché du travail, Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER)

Pour en savoir plus sur les recherches de l’auteur : https://www.liser.lu/staff/ludivine-martin

(1) M. Arntz, T. Gregory, U. Zierahn (2016), The Risk of Automation for Jobs in OECD Countries: A Comparative Analysis, OECD Social, Employment and Migration Working Papers, N° 189, OECD Publishing, Paris.

(2) https://sites.google.com/view/ludivinemartin- liser/research-grant