Cela ne vous a sans doute pas échappé, l’intelligence collective est à la mode. Elle est au coeur des nouveaux managements. 

Moins de boss, davantage de responsabilités, d’échanges horizontaux, de participation… autant de nouveaux modes de travail qui sont en train d’émerger. Les outils associés ne sont pas forcément faciles à mettre en oeuvre ; ils se heurtent à de nombreux freins culturels et technologiques au sein de l’entreprise. Mais, au fait, pourquoi parle-t-on autant de l’intelligence collective aujourd’hui ? Selon les experts, principalement parce que la façon de gérer les entreprises a atteint ses limites…

L’intelligence collective en question

La notion d’intelligence collective n’est pas vraiment une découverte. C’est l’intelligence du lien, de la relation. Ces liens induisent des coopérations intellectuelles. De tout temps, les individus se sont en effet rassemblés pour échanger et collaborer, y trouver un avantage tant individuel que collectif, avantage supérieur à ce qui aurait été obtenu si chacun était resté isolé. Autrement dit, on peut en faire beaucoup plus en partageant ses compétences et savoir-faire avec les autres. Jusqu’à présent, le management au sein des entreprises a fait appel à l’intelligence collective pyramidale en se référant aux notions d’autorité et de division du travail. Dans le monde stable de ces 120 dernières années, ce modèle de gestion a fait largement ses preuves. Il a ainsi permis d’inventer les avions de ligne, d’envoyer des satellites dans l’espace, de trouver des vaccins…

Aujourd’hui, face aux changements de mentalités des individus, d’abord, face à la complexité, aux nouvelles technologies, à l’imprévision du monde, ensuite, l’ancien modèle s’essouffle et se révèle inadapté. Pour preuve, la plupart des entreprises ont bien des difficultés à s’adapter. Même si systèmes d’information, intranet, knowledge management, organisation orientée vers des projets, comités d’entreprise, gestion des Ressources humaines viennent compenser les faiblesses de leur système de gestion. Selon certains experts, l’intelligence collective se réduit à l’extraction de connaissances à partir de données et à la collaboration avec des partenaires connus. Par ailleurs, les conflits d’intérêts que les entreprises subissent entre profitabilité/ développement durable, secret/transparence, dynamique individuelle/collective, développement des savoirs/compétition, brouillent les cartes, les déstabilisent, les discréditent. L’enjeu principal est alors pour ces dernières de mobiliser l’intelligence collective en particulier sur des projets innovants.

Penser et décider ensemble

Ce n’est pas un scoop, les individus veulent participer, donner leur avis et le voir pris en compte. Ils n’investissent plus en effet le travail comme un devoir mais comme une possible source d’épanouissement. Partant, il y a nécessité d’inverser la pyramide( 1), de placer les collaborateurs au coeur de l’entreprise. L’employeur qui veut demander un effort supplémentaire va devoir fournir des explications à ses troupes (les moins de 40 ans) et prendre des engagements sur ce qu’il y a à gagner. Une entreprise libérée en quelque sorte de la hiérarchie et du contrôle interne, des procédures à suivre, des autorisations à demander. Pas si simple ! Les managers vont devoir s’atteler à refonder le modèle de management existant en instaurant l’autonomie des salariés ainsi que des modes d’échanges horizontaux de façon à créer les meilleures conditions de travail et de réflexion.

Mais voilà, travailler ensemble ne s’improvise pas. L’intelligence collective n’existe pas a priori, elle est le résultat d’un entraînement et d’un apprentissage constants. Pour cela, il faudra concevoir des formations appropriées aux programmes, parmi lesquelles on trouvera l’intelligence comportementale et relationnelle (écoute/ compassion/non-jugement), l’art du dialogue, la volonté créatrice, la capacité de développer des projets, mais aussi l’économie du don, le développement de soi, l’éthique, les valeurs. Le problème qui se pose cependant est celui de persuader les managers de l’utilité de ces nouvelles méthodes, outils et processus qui permettent de mettre en réseau, de faire coopérer les intelligences individuelles et collectives afin d’atteindre un objectif commun (une mission, un projet).

Convaincre les managers

Les managers doivent être soutenus et accompagnés dans ces nouvelles pratiques managériales par les RH à qui il incombe de proposer des formations individuelles et collectives en les présentant comme essentielles pour développer la confiance, le respect entre les individus, favoriser l’engagement dans l’action. Ces RH doivent en effet être conscients que, pour des raisons psychologiques et culturelles, certains managers n’aiment pas la réflexion et la consultation collective. Pour eux, l’intelligence collective peut être perçue comme une perte de temps, une remise en cause de leurs compétences, de leur expérience, voire de leur indépendance. Admettre qu’ils puissent avoir besoin de l’intelligence de leurs collaborateurs pour mener une réflexion remet en cause leur autorité, leur statut, leur pouvoir. Des experts estiment qu’il faut instaurer quoi qu’il en coûte le réflexe de partage, des pratiques de bienveillance (ne pas faire de remarques, par exemple, sur l’orthographe d’une information postée) et cela à tous les étages.

Le défi des managers : manager l’intelligence collective (globale)

Une nouvelle ère managériale s’ouvre donc pour les managers. Demain, ils devront coconstruire un contrat qui intégrera la culture, l’histoire de l’équipe et posera le principe de la coopération. Jusqu’à présent, le management était surtout individuel, sans dimension collective. Demain, l’art du manager sera de savoir articuler et mettre en cohérence management collectif et individuel. Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est le manager qui prend le prétexte d’un management individuel pour faire du management collectif. Le cas de figure le plus fréquemment rencontré est celui d’une réunion qui se transforme en une série d’entretiens individuels. Le manager fait un tour de table, pose des questions qui n’intéressent pas l’ensemble des personnes présentes. Une incompétence qui se retrouve à tous les étages de l’entreprise.

De son côté, le salarié pense coopérer, mais en réalité il ne coopère pas !

Au regard de ce qui a été dit précédemment, participer à une réunion ou à un entretien, manager une équipe ou un projet, aider les autres comme cela a pu être demandé par son manager ne sont pas des actions de coopération. Tout au plus ces actions relèvent-elles de la communication, de la négociation, du management traditionnel. Un salarié coopère quand il donne une information à une personne qui ne le lui a pas demandé parce qu’il pense qu’elle pourrait en avoir besoin, lorsqu’il cherche des idées et les propose, lorsqu’il construit une relation gagnant/gagnant dans le cadre de son activité : « Je veux gagner, je veux que l’autre gagne, je ne me laisse néanmoins pas marcher sur les pieds ». Ceci dans une organisation qui l’écoute, comprend et met en place un management adapté. Mais il faut bien l’admettre, le contrat social actuel est fondé sur une logique de non-coopération qui pousse les uns et les autres à ne pas partager leurs savoirs, les informations dont ils disposent pour en retirer, le plus souvent, des contreparties (reconnaissance, avantages financiers, évolution professionnelle, pouvoir).

Le monde industriel et scientifique a su inventer tout un tas d’outils, R&D, objectifs, reporting... pour innover et ainsi gagner des parts de marché, mais il n’a pas cherché à savoir ce qu’il y avait dans la tête des salariés.

Savoir mobiliser l’intelligence collective et les connaissances (compétences), le vouloir (vision et culture) et le pouvoir (fonctionnement/organisation) est le nouveau défi auquel sont confrontés les dirigeants de demain. Cette évolution est directement liée à l’avènement d’Internet et des logiciels de travail.

Martine Borderies

On consultera avec intérêt :

(1) Vineet Navar, dans son Employeers First, annonçait déjà la nécessité d’inverser la pyramide : placer les collaborateurs au coeur de l’entreprise.

Intelligence collective, la révolution invisible, Jean-François Noubel, réseau international The Transitioner.

L’encyclopédie de la stratégie, Editions Vuibert, 2014.