Trois propositions visant à redynamiser la constitution par les ménages de réserves leur permettant de faire face aux « aléas de la vie » sont décrites dans cet article. Le tout dans une démarche « inclusive » associant les ménages moins favorisés, qui font souvent figure d’« angles morts » des politiques de stimulation fiscale de l’épargne. Ces mesures concernent les contributions (personnelles et patronales) dans le cadre des régimes complémentaires de pension, ainsi que le mécanisme même de calcul des avantages fiscaux résultant des déductions fiscales.

La Fondation IDEA asbl a publié le 27 avril dernier ses propositions en vue des élections législatives du 8 octobre 2023 (voir https://www.fondation-idea. lu/wp-content/uploads/sites/2/2023/05/ Fondation-IDEA-asbl-Reccueil-Grands- Defis-elec tions-2023.pdf). Certaines d’entre elles concernent les assurances et régimes complémentaires de pension (« 2e pilier »). Elles répondent à un double impératif. Il s’agit, d’une part, de contribuer à redynamiser un segment de l’épargne quelque peu délaissé au Luxembourg et, d’autre part, de permettre aux ménages de se constituer une « poire pour la soif » face aux aléas de l’existence, y compris les personnes moins favorisées. Sont successivement passées en revue trois mesures s’inscrivant dans cette perspective générale.

Régimes complémentaires de pension (RCP) : modulation ou réduction de la taxation forfaitaire de 20 % de la dotation de l’employeur

Un RCP (assurance groupe) repose sur des contributions de l’employé (voir ci- dessous) mais également de l’employeur. Ce dernier abondement est soumis à un taux de taxation forfaitaire de 20 % (auquel s’ajoute une « taxe rémunératoire » de 0,9 %). L’un des inconvénients majeurs de cette taxation forfaitaire est qu’elle réduit à la portion congrue l’avantage potentiel d’un RCP pour les titulaires de revenus moyens ou réduits, concourant à leur exclusion de fait des RCP. La taxation forfaitaire à 20 % est souvent plus profitable à l’employé qu’une augmentation directe du salaire brut, car elle couvre à la fois l’impôt sur le revenu des personnes physiques et les cotisations sociales. Ainsi, pour une personne imposée en classe 1, ayant un revenu imposable de 100.000 EUR et dont l’employeur veut accroître la rémunération brute à concurrence de 100 EUR par an, la taxation forfaitaire de 20 % induit par rapport à une augmentation « classique » du salaire une progression du revenu net de 34 EUR.

Photo-conzorb/Shutterstock
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Pour une telle personne, une hausse du salaire brut donnera en effet lieu à un « salaire poche » de 45 EUR seulement après versement des cotisations personnelles et patronales à la sécurité sociale et de l’impôt sur le revenu, alors qu’un montant identique de 100 EUR mis à la disposition de ce même salarié via un RCP se traduira par un revenu net de 79 EUR (soit 100 EUR moins la taxe forfaitaire de 20 % et la taxe rémunératoire de 0,9 %). Par contre, l’avantage net d’un abondement RCP se réduira à 11 EUR pour un revenu imposable de 20.000 EUR (avantage annuel de 79 via un RCP et de 68 en « classique »), ce qui paraît bien insuffisant, d’autant que l’augmentation du salaire se traduit par un avantage « sonnant et trébuchant » instantané, et non différé comme via un RCP. Pour pallier ce biais, il est proposé de ramener l’impôt forfaitaire de 20 à 5 % pour les revenus modestes, puis de l’augmenter graduellement jusqu’au taux actuel de 20 % pour des revenus plus élevés. À titre d’exemple, dans le cas du salarié gagnant 20.000 EUR par an, le gain net d’un abondement par rapport à une augmentation classique du revenu passerait (toujours par tranche de 100 EUR en brut) de 11 à 26 EUR par an, se rapprochant sensiblement du gain net engrangé par son collègue gagnant 100.000 EUR brut par an.

Régimes complémentaires de pension : rehausser le montant de la contribution personnelle

Les RCP sont alimentés non seulement par un abondement de l’employeur, mais également par le biais de dotations personnelles pouvant être déduites du revenu imposable du ménage concerné. Cet avantage porte cependant sur un montant réduit de 1.200 EUR par an, qui n’a de surcroît pas été revu depuis 1999. Il est proposé de le relever à 2.000 EUR, du moins dans un premier temps. Se posera à terme la question de savoir s’il ne conviendrait pas d’évoluer vers un système « à la Suisse », dans une perspective d’attraction de « talents ». Un travailleur rejoignant ce pays a en effet la possibilité, même en cas de carrière discontinue, de constituer de manière souple de conséquents avoirs en RCP. Une partie de l’épargne accumulée de la sorte peut en outre servir à financer avant même l’âge de la pension diverses contingences, comme l’acquisition d’un patrimoine immobilier, le départ vers un autre pays ou le démarrage d’une activité d’indépendant.

Photo- Dusit/Shutterstock
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Déduction « sociale » des contributions RCP et des primes d’assurance

Au Luxembourg, divers véhicules d’épargne bénéficient d’un traitement préférentiel au titre de l’impôt des personnes physiques, sous la forme de déductions du revenu imposable. C’est notamment le cas pour les primes d’assurance couvrant les risques de vie, de décès, d'accident, d'invalidité, de maladie ou de responsabilité civile. Le montant global déductible de ces primes ne peut excéder 672 EUR par année fiscale, ce plafond étant cependant majoré pour le conjoint ou le partenaire de même que pour chaque enfant faisant partie du ménage. Sont également déductibles les contributions personnelles à des régimes complémentaires de pension (voir ci-dessus). Dans l’état actuel des choses, ces primes ou contributions sont simplement retranchées du revenu imposable, les avantages fiscaux associés étant fonction des taux marginaux d’imposition. Or, ces derniers tendent à croître avec le revenu en vertu de la progressivité de l’impôt des personnes physiques, de sorte qu’un tel régime de déduction tend à favoriser les titulaires de revenus élevés au détriment des autres contribuables. Ainsi et à titre d’exemple, un contribuable de la classe 1 qui gagne de l’ordre de 11.000 EUR par an (soit un revenu imposable ajusté donnant lieu à un taux d’imposition marginal nul) ne retirera strictement aucun avantage d’une déduction de 1.200 EUR au titre des RCP. À l’inverse, une personne touchant plus de 200.000 EUR par an récupérera fiscalement près de la moitié de sa déduction, car son taux marginal se situe à 45,8 % (le prélèvement Fonds pour l’emploi compris). Afin de redresser cette situation biaisée, IDEA propose de modifier le mode de calcul de l’avantage fiscal associé à l’épargne en mettant en place de nouveaux crédits d’impôt ciblés, qui mettraient fin à toute discrimination frappant les titulaires de revenus moins élevés. Ces crédits d’impôt viendraient compléter la déduction « classique » s’effectuant sur la base du taux marginal maximal, afin d’assurer aux contribuables concernés un avantage fiscal total équivalant à au moins 40 % du montant à déduire. Le mode de calcul proposé peut être illustré au moyen d’un exemple simple, reposant sur la déduction de 1.200 EUR par an prévalant dans le cadre d’un RCP. Ainsi, une personne gagnant 11.000 EUR ou moins bénéficierait, pour un versement annuel de 1.200 EUR effectué dans ce cadre, d’un avantage fiscal nul dans le présent contexte comme déjà expliqué. Afin de lui assurer un gain correspondant bien à 40 % de sa déduction de 1.200 EUR, soit 480 EUR, il devrait disposer d’un crédit d’impôt « compensatoire » égal à ce dernier montant. Le crédit d’impôt proposé deviendrait nul à partir d’un revenu imposable ajusté de 44.000 EUR (toujours conditionnellement à la classe d’imposition 1) et pour les revenus imposables allant au-delà, les contribuables bénéficieraient du même régime fiscal qu’actuellement – c’est-à-dire la déduction à leur taux marginal maximal. Ces propositions d’IDEA sont certes, par définition, perfectibles, mais elles ont en tout cas le mérite d’exister et de permettre d’amorcer un débat crucial en perspective des élections législatives d’octobre 2023. Pour en savoir plus sur les recommandations d’IDEA, rendez-vous sur www.fondation-idea.lu.

Muriel Bouchet Directeur Fondation IDEA asbl
Muriel Bouchet Directeur Fondation IDEA asbl