Le viager a souvent mauvaise presse. Pouvant être considéré comme tabou, car l’acheteur pourrait être soupçonné de parier sur le décès du vendeur au nom de la rationalité économique, il n’en demeure pas moins que cet instrument financier si particulier apporterait des réponses à de nombreux défis auxquels la société luxembourgeoise est confrontée.

Vieillissement de la population(1), soutenabilité du système de retraite, progression du taux de risque de pauvreté, hausse des prix des logements et difficultés d’accès à la propriété pour certaines catégories sociales, accroissement de l’endettement des ménages, la liste est longue. Pourtant, le Luxembourg ne fait pas figure d’exception. De nombreux pays dits matures rencontrent déjà ces maux économiques et sociétaux, et certains d’entre eux font un usage plus soutenu du viager pour contribuer à remédier à ces problèmes. Avec plus ou moins 0,2 % de ventes de logements en viager au Luxembourg(2) par rapport au nombre total de ventes enregistrées en 2017, contre 0,7 % en Belgique et en France – la population luxembourgeoise semble peu encline à recourir au viager. Pour autant, l’importante épargne détenue par les particuliers sous forme d’actifs immobiliers(3), à des niveaux de prix probablement jamais aussi élevés(4), suscite un intérêt grandissant dans la pratique.

Quels sont les différents types de viager ? Quels sont leurs rouages, avantages, inconvénients et les principaux risques associés ? Et finalement, comment l’Etat ainsi que les professions financières et juridiques pourraient tirer parti du développement de sa pratique ?

Les viagers occupé et libre d’un bien immobilier

Le viager traditionnel est un contrat de vente immobilière au terme duquel le vendeur (le crédirentier), qui est le plus souvent âgé et propriétaire d’un patrimoine immobilier, vend son ou ses biens à un acheteur (le débirentier) contre un bouquet (somme en capital) plus une rente à vie au moyen d’échéances (mensuelles, trimestrielles ou annuelles). En cas de non-paiement de la rente, la vente peut être annulée de plein droit. Deux types de viagers immobiliers existent et se distinguent :

  • le viager occupé, qui garantit au vendeur de conserver son logement, représente la très grande majorité des transactions en viager. On dit alors qu’il a le droit d’usage (usus). Il peut résider sereinement à son domicile jusqu’à la fin de ses jours. Il a le droit de se servir du bien comme bon lui semble, mais il n’a pas le droit de le louer. Le vendeur peut toutefois négocier un viager lui donnant le droit d’usage (usus) ainsi que le droit de jouissance (fructus). Dans ce cas, on dira qu’il est usufruitier. Le viager occupé peut inclure une date limite du droit d’occupation et/ou une date limite du droit de jouissance ;
  • le viager libre est la forme de viager qui pourrait s’apparenter le plus à l’acquisition d’un bien avec un crédit classique. Puisqu’il y a transfert de la pleine propriété (l’usufruit ainsi que la nue-propriété) entre le vendeur et l’acheteur, ce qui permet au débirentier de bénéficier du droit d’usage (usus), du droit de jouissance (fructus) et du droit d’aliénation (abusus). L’acheteur peut alors louer le bien, y vivre ou le vendre. En contrepartie, le vendeur n’a plus qu’un droit personnel à l’encontre de l’acheteur : la rente viagère, certes plus élevée dans ce cas. Les viagers occupé et libre peuvent être pratiqués sur une résidence principale, une résidence secondaire, un investissement locatif ou l’entièreté d’un patrimoine immobilier.

    Le prêt viager hypothécaire

    Enfin, le prêt viager hypothécaire est un prêt destiné aux personnes âgées qui sont propriétaires d’un bien immobilier et ne souhaitent pas le vendre. Ses origines sont inspirées de produits financiers comme le lifetime mortgage, reverse mortgage (hypothèque inversée) pratiqués au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou encore au Canada. Le bien immobilier sert en réalité de collatéral. Au décès de l’emprunteur, l’organisme financier se rembourse en revendant un bien immobilier mis en garantie.

    Avantages et inconvénients d’un viager pour les ménages

    Le viager, décliné sous toutes ses formes, peut être un moyen de maintenir à domicile un vendeur âgé, de l’aider à subvenir à ses besoins, de lui permettre de conserver son train de vie ou alors de réaliser des donations anticipées. En d’autres termes, cet instrument financier joue le rôle d’une assurance « vieux jours » pour le vendeur grâce au bouquet et aux rentes garanties. D’autre part, il peut être utilisé comme un outil facilitant l’accès à la propriété à un plus grand nombre d’acheteurs, intéressés par un bien de plus ou moins long terme, contribuant ainsi à démocratiser l’accès à la propriété et à réduire les inégalités qui peuvent survenir face à l’octroi d’un crédit immobilier(5). Il peut aussi optimiser l’utilisation de l’espace des logements et être un moyen de séparer le droit de disposer du bien, des droits d’usage et de jouissance au moment de la signature de l’acte, arrêtant de ce fait la spéculation ou le renchérissement probable du foncier. Le viager comporte toutefois des inconvénients qu’il convient de ne pas négliger. Au rang desquels nous retrouvons les risques associés à la longévité du crédirentier, d’annulation d’une vente, de calculs de la rente et du bouquet, de la pratique contestée au nom de la morale ou pour cause de privation d’un héritage.

    Bénéfices du viager pour l’Etat et les professions financières et juridiques

    Via un fonds d’investissement public entièrement spécialisé dans ce type de transaction, l’Etat pourrait acquérir des biens immobiliers en viager. Avec une acquisition multiple de biens, le risque de longévité se réduirait drastiquement grâce au principe de mutualisation. L’Etat pourrait les conserver et les louer, en constituant ainsi une réserve immobilière et foncière publique pour étendre le parc social locatif ou les revendre soit à la valeur vénale, soit au prix d’acquisition ou à des conditions plus favorables pour les couches sociales les plus défavorisées. Dans la même veine, un usage plus courant du viager développerait certaines activités financières et juridiques du Grand-Duché. Les fonds d’investissement pourraient proposer de nouveaux produits comportant plusieurs pools de viagers à la fois au Luxembourg, mais aussi en les combinant avec d’autres pays comme la France et la Belgique pour une meilleure diversification. Les cabinets d’audit auditeraient ou conseilleraient ces fonds nouveaux. Les assurances prendraient part dans les marchés du prêt viager hypothécaire et financier(6) et inaugureraient de nouveaux produits pour assurer les risques de longévité. Les cabinets juridiques couvriraient le volet réglementaire de ces activités nouvelles et enfin les banques tireraient des revenus supplémentaires grâce aux actifs sous gestion et aux divers frais d’achat et de vente.

    Un outil qui devrait être davantage promu par les pouvoirs publics

    Les Luxembourgeois semblent peu familiers avec le principe du viager. Cette pratique notariale est en effet très rare dans le pays(7). Dès lors, une campagne d’information et de sensibilisation devrait combattre les préjugés, qui associent la pratique du viager à une spéculation immorale sur la durée de vie d’un individu(8), puisque, dans bien des cas, la vente en viager est une pratique avantageuse pour les deux parties. Elle peut même contribuer à renforcer la solidarité intergénérationnelle. Il s’agit là d’une autre valeur morale qui pourrait aussi être mise en avant. Somme toute, pour les acheteurs et vendeurs encore réticents à « sauter le pas », il existe le viager à terme. Ce dernier autorise l’acquéreur à faire un paiement comptant et des mensualités sur une durée déterminée. Ce type de viager peut même inclure une période limite de résidence pour le vendeur. En contrepartie, le contrat peut prévoir une rente sur une durée déterminée pour le crédirentier, de sorte que si un décès prématuré devait arriver, les héritiers percevraient quand même les arrérages durant un certain temps.

    Quinze siècles après avoir été inventé par les Romains, voilà un sujet qui reste d’actualité et qui mériterait d’être sérieusement étudié au Grand-Duché !

    Thomas Valici, Economiste, Fondation IDEA asbl
    Thomas Valici, Economiste, Fondation IDEA asbl
     

    (1) Selon le STATEC, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus passera de 111.726 personnes, soit 17,8 % de la population totale en 2018, à 229.747 (25,2 %) en 2040 et à 353.518 (32,5 %) en 2060.

    (2) Selon l’Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (AED)

    (3) Voir : https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/ scpsps/ecbsp18.en.pdf?d2911394a25c444cd 8d3db4b77e8891a.

    (4) Voir : http://www.bcl.lu/fr/publications/revue_ stabilite/Revue-de-stabilite.

    (5) Le prix d’achat d’un bien en viager occupé peut connaître une décote relativement importante.

    (6) Cette formule permet au souscripteur de céder à une compagnie d’assurances un capital financier. En contrepartie, celle-ci s’engage à lui verser une rente viagère jusqu’à son décès. Le viager financier reprend les mêmes principes que le viager immobilier, mais substitue un capital financier à la valeur d’un bien immobilier sous-jacent.

    (7) Le désintérêt actuel à son égard ne provient d’ailleurs pas d’une différence des textes de loi avec ses deux pays voisins, puisque l’héritage légué par le Premier Empire de Napoléon influença grandement les Codes civils belge et luxembourgeois.

    (8) Le conte de Guy de Maupassant, Le petit fût, ainsi que le film de Pierre Tchernia, Le Viager, ont certainement pu stigmatiser l’impatience, les ruses et les visées criminelles de certains très rares acheteurs.