Même si l’économie de partage est encore peu développée au Luxembourg, cela n’empêche pas la réflexion quant aux nouveaux business models qu’elle développe et à la liberté de statut qu’elle prétend offrir à ses travailleurs.

En théorie, la gig economy 1 – gig signifiant concert, le nom provient de la manière dont on rétribue les musiciens d’un soir, par concert donné et une fois celui-ci terminé – permettrait à chacun de travailler librement, où il le veut et quand il le veut.

La réalité est plus complexe, car ces travailleurs dit indépendants n’effectuent ni plus ni moins que des « petits jobs précaires », souvent pour plusieurs employeurs, sans aucune garantie d’emploi ni stabilité professionnelle et surtout sans couverture sociale. Néanmoins, on estime à près de 35 % le nombre de freelances aux Etats-Unis, un taux qui devrait dépasser les 50 % en 2020. En Europe, la proportion de travailleurs indépendants aurait augmenté de 45 % entre 2004 et 2015, et, selon certains analystes, le nombre de travailleurs indépendants européens sera supérieur au nombre de salariés dans une quinzaine d’années. Quid alors des impacts sur nos systèmes économiques, les rentrées d’impôts, notamment sur le revenu, ou le financement des prestations sociales ?

personne qui surf sur son smartphone dans la rue, gros plan sur ses mains et sur le téléphone

Des intermédiaires ?

Actuellement, les grandes plateformes de la gig economy ne sont pas encore opérationnelles au Luxembourg, la demande y est beaucoup trop faible et sans doute aussi parce qu’elles considèrent que l’insécurité juridique est un facteur de poids, vu que le droit du travail et la jurisprudence s’appliquent aussi à leurs activités, même si elles se considèrent comme de simples intermédiaires. Prenons l’exemple d’Uber : son business model comporte des indices de l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme et ses « partenaires » (chauffeurs). Ainsi, la fixation du prix par la plateforme de même que des conditions de la prestation (y inclus l’absence de possibilité de refuser une course si l’application est « active/en ligne » et l’absence des données du client pour le chauffeur) sont susceptibles de faire requalifier le contrat entre Uber et son « partenaire » en un simple contrat de travail avec les conséquences que celui-ci implique pour tout employeur en matière de cotisations sociales, de congés légaux et de respect du salaire social minimum légal ou, le cas échéant, conventionnel. Ce risque est bien réel vu notre législation du travail protectrice et sachant que tout conflit peut être tranché par les juridictions compétentes.

Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, une série de décisions de justice a confirmé que, dans certains cas, les travailleurs à la tâche doivent être considérés non comme des travailleurs indépendants, mais comme des employés, avec tous les droits afférents à ce statut dans le chef de l’employeur. Ce qui remet en question le business model de toutes ces plateformes, lesquelles rencontrent également des problèmes du même ordre dans d’autres domaines comme la fiscalité directe et indirecte, le droit d’établissement, la réglementation sectorielle (par exemple, le régime légal des taxis), etc. Sans remettre en question le fait que les méthodes de travail doivent évoluer, la gig economy va logiquement entraîner de grosses perturbations sociales. Ce « transfert », plus ou moins rapide selon les secteurs, même s’il peut ouvrir de nouvelles opportunités tant aux demandeurs d’emploi qu’aux entreprises, se doit donc d’être anticipé de manière urgente en matière du droit du travail et de la sécurité sociale. Il y aura de toute manière des gagnants et des perdants... c’est dans la nature intrinsèque de toute (r)évolution !

Isabelle Couset

(1) Pour la rédaction de cet article, nous avons pris avis auprès du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire.