Le chef d’entreprise n’a que trop rarement conscience des responsabilités qui lui incombent en matière de santé et sécurité au travail. Me Pierrot Schiltz, avocat à la Cour, évoque les enjeux de se prémunir, ainsi que l’ensemble des travailleurs, des risques éventuels.

Me Pierrot Schiltz, avocat à la Cour
Me Pierrot Schiltz, avocat à la Cour


Jusqu’où s’étend la responsabilité du chef d’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail ?

J’estime que environ 50 % des entrepreneurs ne se rendent pas compte de la portée de leur responsabilité en général, et en matière de santé et sécurité plus particulièrement. Le chef d’entreprise doit savoir qu’il est responsable de toutes les conséquences dommageables impliquant un salarié directement ou qu’un collaborateur pourrait causer à autrui durant ses heures de travail. C’est le chef d’entreprise, selon le Code civil et le Code du travail, qui assume la responsabilité de son entreprise.

Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?

Si un salarié cause un dommage à autrui dans le cadre de son travail, sur la route vers un chantier, par exemple, il appartiendra au chef d’entreprise d’indemniser en conséquence. S’il arrive quelque chose à ce salarié pendant ses heures de travail, ce sera au dirigeant de payer les dommages. Un préjudice grave, occasionnant une invalidité ou un décès, par exemple, peut entraîner des indemnités s’élevant à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Il n’y a que dans le cas où l’employeur parviendra à prouver la faute grave du salarié, qu’il pourra se retourner contre lui.

Y a-t-il des risques pour lesquels un dirigeant doit être particulièrement attentif ?

Le danger est partout. Sur la route, notamment, le risque est important. Les causes d’un accident sont nombreuses. Il peut s’agir une erreur d’inattention. Elle peut provenir du fait que le véhicule est mal entretenu. La problématique de l’alcool sur le lieu de travail est inquiétante. Le cas d’un arrêt de l’équipe dans un bistrot, à l’insu du patron, sur le chemin du retour de chantier n’est pas rare. Les statistiques faisant état de la consommation d’alcool dans le cadre professionnel sont préoccupantes.

Dans quelle mesure ?

Dans 25 % des accidents survenus sur le lieu de travail, l’alcool entre en ligne de compte. 10 % des travailleurs consommeraient de l’alcool au travail.

La consommation d’alcool entraînant un accident ne justifie-t-elle pas la faute grave ?

A condition de pouvoir la prouver. Et cela ne veut pas dire que l’employeur sera épargné. Imaginons qu’un employé cause un accident grave et que l’alcool entre en ligne de compte, il appartiendra à l’employeur d’indemniser la victime puis de se retourner vers le salarié et son assurance. L’alcool étant une cause d’exclusion permettant à l’assurance de ne pas indemniser, l’employé devra indemniser par ses propres moyens. Pour un accident grave ou mortel, pouvant entraîner une indemnisation s’élevant à 100.000 ou 150.000 EUR, le salarié se retrouvera souvent dans l’incapacité de payer. Imaginons même que l’on convienne, dans ce genre de situation, d’une saisie mensuelle sur salaire de 100 ou 150 EUR, avec l’espoir que le salarié garde son travail ou en trouve un autre, le patron devra patienter 1.000 mois pour récupérer la totalité de l’indemnisation. Dans des cas comme celui-ci, le recours contre le salarié pour faute grave est donc souvent illusoire.

Cela peut, en effet,  causer la fermeture d’une entreprise. Comment s’en prémunir ?

Des jugements, aujourd’hui, ont écarté la responsabilité du dirigeant d’entreprise suite à un accident, dans la mesure où celui-ci est parvenu à prouver qu’il respectait les normes en vigueur en matière de sécurité et de santé au travail. La fatalité est reconnue par la jurisprudence. Mais il faut prouver que toutes les dispositions en matière de sécurité et de santé ont été prises. Il appartient donc au patron d’être bien informé et d’investir, de s’enquérir sur ses droits et devoirs, de mettre en place ce qui est nécessaire dans les équipements de sécurité requis, dans l’information et la sensibilisation des travailleurs en matière de sécurité et santé, d’opérer les contrôles exigés. Au niveau des assurances, il faut être bien couvert. Et se prémunir d’éventuelles clauses d’exclusion au cœur du contrat d’assurance.

Propos recueillis par Sébastien Lambotte