Le développement économique et social du Luxembourg est devenu indissociable du contexte transfrontalier du pays. La plupart des 220.000 travailleurs non-résidents (qui représentent près de la moitié des actifs en emploi) vivent dans un territoire qui dépasse les frontières grand-ducales de plusieurs dizaines de km, dessinant un « Grand Luxembourg » de près de 2 millions d’habitants. Au fil des décennies, la multiplication des interactions économiques et sociales dans ce territoire a créé des aubaines, mais aussi des défis qui appellent à de nouvelles approches en matière de coopération transfrontalière, y compris dans le domaine du développement économique.

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La Fondation IDEA a été associée aux travaux du Conseil Économique et Social (CES) à l’occasion de la préparation d’un Avis intitulé Pour un développement cohérent de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans la Grande Région et voté à l’unanimité le 29 juin 2022. La parution de cet Avis est l’occasion de revenir sur les grands défis communs au Luxembourg et à ses voisins proches.

L’opportunité de faire émerger un projet de territoire partagé avec les régions (et les États) limitrophes grandit. Il consisterait à élaborer une vision commune pour un développement dynamique, cohérent et soutenable de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans les deux ou trois prochaines décennies. Cette vision, qui serait naturellement à décliner en projets concrets, permettrait au Luxembourg d’aborder certains sujets stratégiques pour son développement mais pour lesquels il n’a pas forcément de possibilités d’agir directement, tandis qu’elle permettrait aux régions voisines de trouver des moyens de mieux bénéficier du dynamisme économique grand-ducal et d’aider à assurer la pérennité de ce moteur économique.

L’émergence d’une métropole transfrontalière

Le marché du travail transfrontalier est l’aspect le plus visible de l’intégration économique entre le Luxembourg et les régions limitrophes, mais il n’est pas le seul. Dans le sillage de son développement, d’autres phénomènes contribuent à rendre le Grand-Duché et ses voisins toujours plus dépendants les uns des autres comme les flux de consommateurs, le développement des entreprises luxembourgeoises dans la Grande Région (et vice-versa), les besoins en infrastructures, en logements, en formation, en services publics… Avec une croissance très soutenue de l’économie et de la population s’est peu à peu constituée une métropole transfrontalière autour du Luxembourg. Cette dernière affiche des défis communs, sans pour autant disposer à ce stade de véritables outils de gouvernance, ni de projet propre à ce territoire bien spécifique.

Pourtant, la perspective d’une poursuite de l’expansion économique et démographique de cet espace pourrait bien révéler de sérieux goulets d’étranglement, qu’une approche coopérative permettrait d’envisager plus sereinement. Le manque de disponibilité de main-d’oeuvre qualifiée, la rareté et le prix du logement, la saturation des infrastructures de transport, la faible disponibilité foncière pour les activités économiques et les incontournables exigences environnementales sont des paramètres toujours plus contraignants de l’équation du développement luxembourgeois dont la clef se trouve en partie de l’autre côté des frontières nationales.

À mesure que ces défis se précisent, l’opportunité de faire émerger un projet de territoire partagé avec les régions (et les États) limitrophes grandit. Il consisterait à élaborer une vision commune pour un développement dynamique, cohérent et soutenable de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans les deux ou trois prochaines décennies. Cette vision, qui serait naturellement à décliner en projets concrets, permettrait au Luxembourg d’aborder certains sujets stratégiques pour son développement mais pour lesquels il n’a pas forcément de possibilités d’agir directement, tandis qu’elle permettrait aux régions voisines de trouver des moyens de mieux bénéficier du dynamisme économique grand-ducal et d’aider à assurer la pérennité de ce moteur économique.

Un cadre de coopération à repenser face à un contexte qui évolue

Si les aubaines permises par le modèle transfrontalier restent nombreuses, l’intégration transfrontalière ne débouche toutefois pas uniquement sur des relations d’intérêt « gagnant-gagnant » dans tous les domaines. L’actualité autour des difficultés de recrutement dans certains secteurs (comme la santé) est un exemple illustrant le fait que les politiques de coopération, cherchant une meilleure mobilité à l’intérieur de la région, sont une condition certes nécessaire, mais pas suffisante, à un bon équilibre du marché du travail pris dans son ensemble. Compte tenu des projections démographiques défavorables dans la Grande Région, elles pourraient utilement être complétées à la fois par des politiques visant à renforcer l’attractivité de l’ensemble du territoire transfrontalier pour de nouveaux actifs, mais aussi par la mise en commun de certains dispositifs de formation, voire la création de nouveaux projets, en particulier dans les métiers les plus en tension.

Rendre la métropole transfrontalière du Luxembourg plus attractive et plus soutenable nécessiterait également une meilleure coordination en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de mobilité. Il importerait par exemple de viser une densification des territoires frontaliers proches des infrastructures. En outre, il serait nécessaire d’améliorer les liaisons ferroviaires transfrontalières et de mettre en oeuvre une intégration plus poussée de la gestion des transports en commun (lignes, tarification, sociétés d’exploitation, etc.).

Un tel projet pourrait mener à créer de nouveaux organes de coordination et de décision transfrontaliers qui se superposent mieux au territoire, mais aussi des mécanismes de financement à la hauteur des enjeux, et encadrés dans des conventions bilatérales.

Vers la coopétition économique transfrontalière

En matière de coopération économique, il pourrait être opportun de réfléchir à de nouvelles actions qui permettraient d’adresser à la fois la « saturation territoriale » luxembourgeoise, la poursuite d’une croissance économique soutenue et la convergence économique des régions limitrophes, tout en exploitant les aubaines liées au contexte transfrontalier de la métropole.

Il pourrait dès lors être intéressant de s’inspirer du concept de « coopétition ». La fonction objective des autorités publiques de tout territoire est d’y attirer et d’y développer des activités afin de créer de la valeur ajoutée, de l’emploi, des revenus et des recettes publiques. Il paraît difficile de renverser une telle logique de concurrence « naturelle » entre les territoires. Pour autant, les spécificités de la métropole transfrontalière du Luxembourg offrent des opportunités d’aller plus loin en matière de coopération économique et permettraient de renforcer son attractivité et sa compétitivité d’ensemble. Des acteurs en situation de concurrence dans un domaine peuvent tout à fait s’engager dans une logique de « coopération de circonstance » pour mettre en avant les forces et opportunités du territoire, et pour jouer sur des effets de synergie et d’échelle. Quelques propositions concrètes qui répondent à cette logique mériteraient d’être étudiées.

Il serait par exemple utile de promouvoir avec les partenaires voisins un « modèle d’entreprise transfrontalière » qui joue sur les avantages comparatifs du territoire dans son ensemble avec l’objectif d’encourager des investisseurs à développer des activités sur plusieurs pays tout en restant proches géographiquement. Pour mettre en oeuvre cette idée, des agences de développement économique transfrontalières pourraient être établies sur la base d’une coopération renforcée entre les acteurs existants qui remplissent cette fonction dans leurs pays respectifs. L’aménagement de zones d’activités transfrontalières pourrait également faciliter la concrétisation de tels projets. Le développement de plateformes logistiques d’intérêt commun avec des accords fiscaux et douaniers transfrontaliers aurait du sens compte tenu des potentiels du territoire transfrontalier. Le modèle de l’aéroport Bâle-Mulhouse pourrait servir de base à ces accords. Enfin, les politiques de recherche et d’innovation et les outils associés (clusters, équipements de recherche, etc.) pourraient également gagner à être davantage intégrées à l’échelle transfrontalière.

Recommandations du Conseil économique et social pour une politique de coopération au service d’un projet de territoire transfrontalier plus cohérent

Recommandation n° 1 : Faire émerger un projet de territoire pour la métropole transfrontalière

Recommandations en matière de politiques d’aménagement du territoire et de mobilité

Recommandation n° 2 : Traduire les conclusions du Schéma de Développement Territorial de la Grande Région (SDTGR) dans le Programme Directeur d’Aménagement du Territoire (PDAT) et inciter les régions voisines à avoir la même démarche

Recommandation n° 3 : Mettre en oeuvre des mécanismes de partage d’informations et de participation réciproque sur les projets d’aménagement pouvant avoir un impact transfrontalier

Recommandation n° 4 : Renforcer les projets d’équipements d’intérêt commun dans les communes proches des frontières où ils sont insuffisamment développés

Recommandation n° 5 : Faire émerger les priorités d’infrastructures de mobilité pour les prochaines décennies

Recommandation n° 6 : Développer des centres de télétravail pilotes dans les régions frontalières du Luxembourg, en plus des projets de centres à l’intérieur des frontières du pays

Recommandations en matière de développement économique transfrontalier

Recommandation n° 7 : Viser un développement économique plus équilibré

Recommandation n° 8 : Développer des agences transfrontalières de développement économique pour promouvoir un modèle d’entreprise transfrontalière

Recommandation n° 9 : Aménager des zones d’activités transfrontalières

Recommandation n° 10 : Chercher une meilleure intégration des politiques de recherche et d’innovation

Recommandation n° 11 : Étudier le potentiel de développement de plateformes logistiques d’intérêt commun

Politique sociale et de santé

Recommandation n° 12 : Créer des centres de formation communs pour le personnel médical

Recommandation n° 13 : Développer des Zones Organisées d'Accès aux Soins Transfrontaliers (ZOAST)

Recommandation n° 14 : Assouplir les critères de reconnaissance des prestataires du chèque service-accueil pour augmenter le nombre de crèches frontalières éligibles

Formation

Recommandation n° 15 : Des recommandations déjà formulées par le CES en matière de formation professionnelle transfrontalière

Recommandation n° 16 : Multiplier les masters « codiplômants » lorsque la masse critique ne peut être atteinte dans un seul territoire de l’aire transfrontalière

Recommandation n° 17 : Réfléchir à une gestion partagée de formations professionnelles (initiales et continues) dans les secteurs les plus « critiques »

Recommandation n° 18 : Renforcer les projets éducatifs transfrontaliers (langue du voisin, échanges scolaires, etc.).

Mettre en oeuvre des évolutions ambitieuses et des expérimentations en matière de gouvernance

Recommandation n° 19 : Appliquer certaines dispositions du projet de règlement ECBM

Recommandation n° 20 : Mettre en place de nouveaux groupements transfrontaliers sur des territoires stratégiques

Recommandation n° 21 : Améliorer le cadre juridique et fiscal pour le télétravail transfrontalier

Recommandation n° 22 : Créer des zones d’activité transfrontalières dotées d’un statut spécifique

Recommandation n° 23 : Créer des fonds dédiés à la coopération transfrontalière

Vincent Hein Senior Economist Fondation IDEA asbl
Vincent Hein Senior Economist Fondation IDEA asbl

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