Affirmer que le secteur financier joue un rôle important sur le plan économique au Grand-Duché constitue une lapalissade. Ainsi, les Activités des services financiers représentaient selon le STATEC quelque 26 % de la valeur ajoutée luxembourgeoise totale en 2018, contre 5 % environ dans l’ensemble de l’Union européenne.

Cependant, même ces données sousestiment l’impact économique réel du secteur, car elles éludent les effets d’entraînement s’exerçant via ses fournisseurs, ses investissements et par le biais de la consommation de ses employés. Cet article, s’attache à fournir une telle vision, plus « holistique », des activités associées à la finance, le tout en se focalisant sur l’emploi.

Emploi financier direct : près de 50.000 personnes…

A la fin de 2018, le secteur financier ne représentait à première vue « que » 48.800 emplois (voir les trois cases bleues du graphique ci-dessous), dont environ 26.000 pour les banques, 4.000 pour les compagnies d’assurances et près de 19.000 pour les sociétés holding, de crédit-bail, les sociétés spécialisées dans le prêt personnel et les activités dites auxiliaires (notamment le courtage, l’administration de marchés financiers et la gestion de fonds).

… mais plus de 80.000 postes avec les emplois générés auprès des fournisseurs

Cependant, il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg. Les sociétés financières incorporent en effet à leur processus de production des biens et services émanant d’autres branches de l’économie. Il s’agit principalement, pour utiliser le jargon des comptables nationaux, des Activités spécialisées, scientifiques et techniques (qui sont notamment le fait d’ingénieurs, architectes, comptables, conseillers fiscaux, publicitaires ou chercheurs), des Activités de services administratifs et de soutien (par exemple les bâtiments, le support administratif ou la sécurité) et de la branche Information et communication (activités de production et de distribution d’informations, mise à disposition de moyens pour la transmission ou la diffusion de ces produits, activités informatiques et de communication, traitement de données...).

A elles seules, ces trois branches représentent selon le tableau des entrées et sorties du STATEC quelque 85 % de la consommation intermédiaire (hors autres entreprises financières) du secteur financier. Or, les différentes consommations intermédiaires des entreprises financières donnent lieu, dans le chef de leurs différents fournisseurs, à une valeur ajoutée, donc à des emplois. Ils seraient au nombre de 26.000 au total selon nos calculs.

Cette estimation est toujours assez restreinte, car ces fournisseurs font eux-mêmes appel à des fournisseurs… L’emploi induit par ces « fournisseurs de fournisseurs » du secteur financier a pu être estimé, toujours sur la base la matrice des entrées et sorties du STATEC, à 8.000 postes. Au total, les activités financières généreraient donc de manière indirecte 34.000 emplois (voir les deux aires en orange du graphique), induits par les fournisseurs (26.000) et par les « fournisseurs des fournisseurs » (8.000). Nous n’avons pas été jusqu’à intégrer les « boucles de rétroaction » additionnelles, par exemple les « fournisseurs des fournisseurs des fournisseurs »…

S’ajoutent des effets induits par la consommation des employés et les investissements du secteur

Ce n’est pas encore « la fin de l’histoire », car tant les 48.800 employés directs que les 34.000 personnes travaillant auprès des fournisseurs du secteur financier perçoivent des rémunérations, à concurrence de 8 milliards EUR au total. Or, une proportion non négligeable de ces revenus est consommée au Luxembourg, avec à la clef une demande intérieure plus élevée générant selon nous de l’ordre de 11.000 emplois supplémentaires.

IDEA a pourtant tenu compte, lors du calcul de ces emplois additionnels, de divers éléments contribuant à amoindrir l’incidence sur la demande agrégée luxembourgeoise des 8 milliards EUR en question. Ces facteurs d’atténuation sont les impôts et cotisations frappant les rémunérations, le comportement d’épargne des salariés associés, le contenu en importations de leurs dépenses, de même que des dépenses effectuées par les frontaliers concernés dans leurs pays de résidence respectifs.

Enfin, les sociétés financières et leurs fournisseurs ont au total investi à concurrence de 1,2 milliard EUR en 2018. Avec à nouveau une incidence sur la demande globale adressée aux entreprises nationales qui va se traduire par une hausse de la valeur ajoutée, donc de l’emploi. Cet impact via les investissements peut être évalué à 5.000 postes, en supposant que la productivité apparente des personnes concernées soit en ligne avec celle de l’ensemble de l’économie.

Les emplois induits via la consommation et les investissements sont donc au nombre de 16.000 environ (soit 11.000 plus 8.000 postes, comme l’indiquent les deux aires vertes du graphique).

In fine, près de 100.000 postes associés au secteur financier… voire même davantage

Au total, le secteur financier luxembourgeois générerait dès lors une centaine de milliers d’emplois. Soit, pour récapituler, environ 49.000 emplois directs, 34.000 via les fournisseurs et les « fournisseurs des fournisseurs », 11.000 induits par la consommation des personnes directement ou indirectement employées par la place financière et enfin 5.000 emplois générés par le truchement des dépenses d’investissement. Un emploi direct créé dans le secteur financier générerait par conséquent un emploi additionnel, de manière indirecte ou induite.

Au Luxembourg, près d’un emploi sur quatre dépendrait donc des activités financières, sans même tenir compte de leur apport sur des plans plus « immatériels », en termes d’effets de réseaux et de transmission de connaissances, par exemple. Le secteur financier alimente par ailleurs de plantureuses recettes publiques (les impôts et cotisations sur les rémunérations mentionnées cidessus, l’impôt des sociétés, la taxe d’abonnement, l’impôt sur la fortune…), qui peuvent à leur tour déboucher sur des investissements publics porteurs d’emplois dans la construction ou sur des emplois publics.

Muriel Bouchet, Directeur, Fondation IDEA asbl
Muriel Bouchet, Directeur, Fondation IDEA asbl