Le Parlement européen a voté, in extremis, avant sa dissolution, une nouvelle directive relative « aux prescriptions minimales visant à accroître la mobilité des travailleurs entre les Etats membres en améliorant l’acquisition et la préservation des droits à pension complémentaire ». Il s’agit en fait d’un ancien projet de directive dite Portabilité qui renaît ainsi de ses cendres. Mais il faut bien constater que de « portabilité », il n’en est plus question…


Si un règlement européen assure bien une certaine coordination en matière de régimes de sécurité sociale, il n’existe, par contre, quasiment aucune réglementation de l’Union dans le domaine des pensions complémentaires d’entreprises. La seule directive à ce sujet, date de 1998 et est assez sommaire. Elle se limitait à tracer quelques principes très généraux :
  • égalité de traitement à assurer en cas de maintien des droits acquis d’affiliés ayant quitté leur employeur, sans distinction de leur Etat de résidence ;
  • paiements transfrontaliers : une pension complémentaire doit pouvoir être payée aux bénéficiaires résidant dans un autre État que l’Etat dans lequel cette pension a été constituée ;
  • des règles spécifiques ont été prévues, au niveau social uniquement, en cas de détachement au sein de l'Union ;
  • l’affilié qui fait usage de son droit à la libre circulation, doit pouvoir obtenir des informations quant aux conséquences de l’exercice de ce droit sur sa pension complémentaire.
Au Luxembourg, ces différents principes furent introduits dans la loi du 8 juin 1999 relative aux régimes complémentaires de pension.

Tentative de la Commission en 2005

Après 15 années de préparation et de consultations en tous genres, la Commission européenne souhaitant approfondir le sujet, déposa en 2005 une proposition de directive dite Portabilité qui s’articulait autour de 3 grands principes :

  1. en cas de départ d’une entreprise, possibilité devait être donnée à l’affilié de transférer ses droits acquis dans un autre Etat de l’Union ;
  2. introduction d’une durée de service maximale au terme de laquelle le travailleur devait obtenir des droits acquis : la Commission proposait un délai de 2 ans ;
  3. protection des droits acquis des « dormants » (c’est-à-dire des affiliés ayant opté pour un maintien de leurs droits au sein de leur ancien régime complémentaire de pension).
Dès son dépôt, cette proposition fut vigoureusement combattue par certains Etats membres qui s’opposaient tout particulièrement à la possibilité de transfert de droits acquis vers d’autres Etats de l’Union. De ce fait, cette proposition tomba rapidement aux oubliettes. Mais à la surprise générale, elle réapparut l’an dernier et un compromis fut dégagé au niveau du Conseil européen. Mais à l’analyse, force est de constater que cette nouvelle directive a été remarquablement édulcorée. Aujourd’hui, il n’est en tout cas plus question d’une quelconque « portabilité » de droits.

Les principes de la nouvelle directive

La nouvelle directive vient d’être publiée le 30 avril dernier au Journal Officiel de l’Union européenne. A partir de ce moment, les Etats ont jusqu’au 21 mai 2018 au plus tard pour la transposer dans leur droit national. Et cet exercice ne peut évidemment pas déboucher sur une réduction des droits existant déjà aujourd’hui en cette matière.

Que pouvons-nous en retenir dès à présent ?
  • La directive s’applique uniquement aux régimes complémentaires de pension existant en raison d’une relation de travail et destinés à assurer une pension complémentaire à des travailleurs salariés. En d’autres termes, il s’agit de plans de pension d’entreprises (qui font partie de ce que l’on désigne par 2e pilier).
  • La directive concerne uniquement les prestations financées en vue de la retraite. Elle ne s’applique pas aux prestations en cas d’invalidité et de décès.
  • La directive s’applique à tous les régimes complémentaires de pension, qu’ils fassent l’objet d’un financement externe ou interne. Toutefois, elle ne concerne pas les « régimes fermés » ou, en d’autres termes, les régimes qui n’acceptent plus de nouveaux affiliés dans la mesure où l’introduction de nouvelles exigences pourrait représenter une charge injustifiée pour ces régimes. Il est en de même des régimes soumis à des mesures de redressement en raison de leur situation financière.
  • S’il n’est plus question de « portabilité » des droits acquis, la directive tente néanmoins de favoriser l’exercice, par les travailleurs, de leur droit à la libre circulation au sein de l’Union. Mais dans le même temps, elle rappelle également que les Etats membres sont seuls compétents pour organiser leurs propres systèmes de pension. Dès lors, le champ d’application de la directive s’en trouve automatiquement réduit : ainsi, pour ce qui est du délai d’acquisition des droits, la directive ne s’applique qu’aux seuls affiliés dont le contrat de travail a pris fin et qui partent exercer un emploi dans un autre Etat membre. Dans ce cas de figure, la période d’acquisition des droits ne pourra plus excéder 3 ans de service. Evidemment, si l’on s’en tient strictement à cette règle, cela reviendra à introduire une différence de traitement, difficilement justifiable, entre affiliés à un même plan de pension. C’est pourquoi la directive incite les Etats à prévoir des règles identiques pour les affiliés qui changent d’emploi, tout en restant au sein d’un même Etat. Rappelons qu’actuellement, la législation grand-ducale permet de prévoir une période pouvant allant jusqu’à 10 ans de service, avant de pouvoir prétendre à des droits (résultant d’un financement patronal) en matière de pension complémentaire.
  • Lorsqu’un âge minimal est fixé pour l’acquisition de tels droits, celui-ci ne pourra pas être supérieur à 21 ans pour ces affiliés se déplaçant au sein de l’Union. A ne pas confondre avec l’âge minimal d’affiliation qui n’est pas traité dans le cadre de cette directive, dans la mesure où il ne constitue pas un obstacle à la libre circulation.
  • En cas de départ sans droits acquis (au niveau des allocations patronales), obligation est  faite de « rembourser » les cotisations personnelles versées par les travailleurs qui vont exercer leur activité dans un autre Etat. Cela revient en fait à considérer que les droits constitués par de telles cotisations personnelles sont toujours acquis immédiatement, sans aucune restriction. Et rien ne devrait interdire leur maintien dans le régime complémentaire de pension dans lequel elles ont été financées. Ce principe figure déjà, aujourd’hui, dans la réglementation luxembourgeoise et s’applique à tout travailleur, peu importe qu’il parte à l’étranger ou demeure sur le marché local. Ce n’est que pure logique dans la mesure où ces cotisations personnelles ont été directement prélevées sur la rémunération de ces affiliés.
  • Les droits acquis doivent toujours pouvoir être maintenus dans le régime dans lequel ils ont été constitués. Néanmoins, en cas de « faibles » montants, afin d’éviter des coûts de gestion excessifs, le rachat peut être imposé. Cette particularité est déjà prévue actuellement dans la réglementation grand-ducale. Un traitement équivalent doit en outre être garanti entre les droits des dormants, d’une part, et ceux des affiliés actifs, d’autre part.
  • Droit à l’information : les affiliés actifs et les « dormants » ont droit à certaines informations quant à leurs droits en matière de pension complémentaire. Au Grand-Duché, les affiliés reçoivent déjà une information annuelle brossant un aperçu de ces droits et des conséquences en cas de cessation de leur contrat de travail. La directive ajoute qu’en cas d’octroi anticipé de ces droits via le paiement d’un capital, l’affilié devra être invité à se renseigner sur les possibilités d’investir ce capital pour en obtenir une rente.
  • Enfin, il est prévu que cette directive ne s’applique qu’aux « périodes d’emploi accomplies après sa transposition dans le droit national », sans autres précisions. C’est dès lors au législateur national qu’il reviendra de baliser très clairement l’application dans le temps de ces principes.
 

Pierre Doyen
Conseiller juridique

 ESOFAC Luxembourg S.A.