Demain, c’est loin. Vraiment si loin ? Il y a 10 ans, le Luxembourg était-il si différent d’aujourd’hui ? Qu’en sera-t-il dans 10 ans ?

En 10 ans (2009-2019), la population grandducale a augmenté de plus de 120.000 personnes (+ 24 %), dont plus de 40.000 Luxembourgeois, 110.000 emplois ont été créés (+ 32 %) et le nombre de travailleurs frontaliers est passé d’environ 150.000 à plus de 200.000 (+ 33 %). De ce point de vue, oui le Luxembourg a changé. Dans le même temps, l’accession à la propriété est demeurée le summum du parcours résidentiel, l’avènement de la voiture autonome comme moyen usuel de transport n’a pas encore eu lieu et, pour ce qui nous concerne le plus ici, la « fin du travail » n’a pas sonné – loin s’en faut... Ainsi, par bien des aspects, aujourd’hui a des allures d’hier.

Et dans 10 ans (2030) ?

Les statisticiens ne sont pas des cartomanciennes mais d’après les projections du STATEC (qui ne sont donc pas des prévisions), quelque 760.000 âmes pourraient peupler le pays (+ 20 %). En outre, environ 570.000 personnes y travailleraient (+ 18 %), parmi lesquelles on compterait entre 250.000 et 280.000 travailleurs frontaliers, suivant les hypothèses retenues par l’Institution. Finalement, le rythme du changement aurait tendance à décélérer. « Ouf » diront certains, « déjà » regretteront d’autres.

Derrière ces données, un peu brutes, il y a les perceptions, les craintes et les aspirations de ce que pourrait être ce Luxembourg du futur.

Et s’il est une problématique qui a animé les débats d’amphitéâtre comme de comptoir ces dernières années, c’est bien celle du « futur du travail ». Robotisés tous azimuts ou « tous ubérisés », version anxiogène de l’enthousiaste « tous indépendants » ? Ces interrogations traduisent plusieurs dynamiques qui sont à l’oeuvre à des degrés très divers, chariant leur lot de croyances : l’automatisation qui transfigurerait le monde du travail ; la formation professionnelle continue (reskilling, upskilling) pour faire face aux besoins nouveaux et/ou à l’obsolescence de nos compétences ; l’uberisation qui généraliserait le statut d’indépendant et enfin la quête de sens dans le travail.

Face à la baisse du besoin en main-d’oeuvre faiblement qualifiée, il sera crucial de se préoccuper du maintien de son employabilité, ce qui passera par un « droit à » comme par un « devoir de » formation des salariés comme des entreprises... pour limiter le risque d’exacerber la polarisation sur le marché du travail.

Face aux possibilités multiples offertes par la technologie pour automatiser des tâches répétitives, à faible valeur ajoutée, il semble acquis que la montée en compétences devrait se poursuivre sur le marché du travail luxembourgeois. D’ailleurs, l’expression « guerre des talents » semble être aux entreprises ce que la « fin du travail » est aux salariés : obsédante. Data scientist, développeur full stack, consultant en cybersécurité et digital trust, autant de profils inexistants hier que l’on semble s’arracher aujourd’hui sur « un marché mondial des talents » – au Luxembourg y compris. Mais selon un groupe d’experts réunis par l’Institute For The Future (think tank indépendant de la Silicon Valley), 85 % des métiers de 2030 nous seraient actuellement inconnus. Il y a du pain sur la planche pour les conseillers en orientation scolaire...

Adaptation ou décrochage ?

Une autre certitude est que face à la baisse du besoin en main-d’oeuvre faiblement qualifiée, il sera crucial de se préoccuper du maintien de son employabilité, ce qui passera par un « droit à » comme par un « devoir de » formation des salariés comme des entreprises... pour limiter le risque d’exacerber la polarisation sur le marché du travail (entre ceux qui peuvent s’adapter... et ceux qui décrochent).

Excellente illustration de ces transformations, l’uberisation qualifie schématiquement la remise en cause du modèle économique d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants via des plateformes (dictionnaire Larousse). L’arrivée d’Uber, cette « licorne » américaine née en 2009, pionnière des applications mobiles de mise en contact d’utilisateurs avec des conducteurs indépendants, a ainsi durablement secoué la sphère politico- médiatique. A propos de sa possible arrivée au Grand-duché, le ministre des Transports déclarait que, bien que soucieux « d’améliorer constamment l’offre de la mobilité et nullement de prohiber des solutions innovantes », son objectif n’était pas « de favoriser le travail effectué par des faux indépendants où d’accepter un nivellement vers le bas des standards sociaux ». La start-up nation luxembourgeoise semble donc, pour le moment, avoir atteint là les limites de son acceptabilité.

L’expression « guerre des talents » semble être aux entreprises ce que la « fin du travail » est aux salariés : obsédante. Data scientist, développeur full stack, consultant en cybersécurité et digital trust, autant de profils inexistants hier que l’on semble s’arracher aujourd’hui sur « un marché mondial des talents » – au Luxembourg y compris.

Mais tandis que nous dissertons sur un monde dans lequel nous deviendrions tous entrepreneurs, il est intéressant de regarder en arrière : l’indépendant semble plus caractéristique du passé que du présent, ce qui ne dit rien de l’avenir... (voir graphique ci-dessous)

Le travail de plateforme relève certes encore de l’anecdote statistique (moins de 2 % de la population adulte en aurait fait sa principale occupation en moyenne européenne), mais traduit plus fondamentalement des évolutions et des aspirations réelles. Il en va de l’autonomie, de la responsabilité, de la flexibilité, autant de vertus prêtées à ces nouveaux modèles qui se répercutent – à pas feutrés – dans le monde de l’entreprise « traditionnelle » pour satisfaire des salariés que l’on dit « en quête de sens »...

Fascinés ou effrayés, n’oublions pas qu’en tant qu’entrepreneur, salarié, consommateur et surtout citoyen, nous dessinons aussi le futur à travers nos choix. Alors cultivons bien notre jardin.

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Sarah Mellouet Economiste Fondation IDEA asbl
Sarah Mellouet Economiste Fondation IDEA asbl

 

Fondation IDEA asbl
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