A partir des années 1850, le prix en baisse des matières premières (et notamment celui des combustibles fossiles) a été le moteur de la croissance économique dans la plupart des pays développés. Les premiers grands magasins naquirent et sonnèrent l’avènement de la société de consommation. Profitant de l’accessibilité large et bon marché des matières premières, les produits prêts à jeter se multiplièrent.

Le plaisir de la variété, permis par l’éphémère, prit le pas sur la recherche de la durabilité d’un produit et précipita dans l’obsolescence des pratiques telles que la réparation et la remise en état. Le modèle économique linéaire, caractérisé par le triptyque « extraire, consommer, jeter », faisait alors ses premiers pas et a poursuivi sa croissance jusqu’à aujourd’hui, où il est encore pratiqué de façon généralisée au niveau mondial.

La quantité de déchets générés : un des écueils de l’économie linéaire

Des phénomènes significatifs tels que l’explosion démographique ou la diffusion des valeurs consuméristes à grande échelle ont par la suite profondément redéfini le monde, confrontant ainsi l’économie linéaire à trois limites : la disponibilité limitée de ressources sur Terre, une empreinte écologique lourde et l’accumulation exponentielle de déchets. Sur ce dernier point, l’existence du « septième continent », myriade de microplastiques en suspension sur la surface des océans et dans les profondeurs maritimes qui, regroupés, auraient une superficie équivalant à trois fois celle de la France, révèle la nécessité urgente de repenser nos systèmes de production et de consommation.

Luxembourg : un plan national pour passer d’une gestion des déchets à une gestion des ressources

Au Grand-Duché, la production de déchets par habitant serait, selon une enquête d’Eurostat(1), supérieure à la moyenne européenne. Ainsi, en 2016, 607 kg de déchets par habitant ont été générés au Luxembourg, soit 25 % de plus que la moyenne européenne de 487 kg. En outre, chaque euro d’activité économique générerait environ 2,5 kg de déchets selon l’étude Troisième Révolution Industrielle(2). Actuellement, la majorité des rebuts sont collectés, triés, voire reconditionnés quand cela est possible, via des processus gérés par des organismes spécialisés et fonctionnant à l’échelle nationale (ex : SuperDrecks- Këscht, Valorlux, Ecotrel, Ecobatterien, etc.). Certains de ces processus, comme ceux de la SuperDrecksKëscht, sont d’ailleurs certifiés au niveau de l’Union européenne en tant que meilleures pratiques dans le domaine de la préservation des ressources et de la protection du climat. Cependant, pour certains types de déchets, le Luxembourg a pour spécificité d’avoir recours à l’exportation, faute de filière de traitement et de recyclage adaptés. En 2015, 97 %(3) des 2 millions de tonnes de déchets qui ont quitté le territoire sont partis vers les voisins français, belge et allemand, car ces derniers possèdent l’infrastructure de revalorisation nécessaire.

Pour s’attaquer au défi des déchets, le Luxembourg a élaboré, via un processus participatif (composé d’ateliers thématiques d’experts, de consultations publiques, etc.), un plan national de gestion des déchets et des ressources(4) (ci-après le « PNGDR »). Ce dernier définit les grands axes de la politique luxembourgeoise pour « orienter la gestion des déchets vers une gestion des ressources » dans de nombreux domaines, tels que les emballages, les matières plastiques, les déchets domestiques ou ceux issus du secteur de la construction, pour ne citer que quelques exemples.

Transformation des déchets de la construction en ressources : le Luxembourg précurseur

En Europe, comme au Luxembourg, parmi les déchets générés, ceux issus des secteurs de la construction et de la démolition sont les plus nombreux. C’est ainsi que la Commission européenne, vise, pour l’horizon 2020, à recycler et réemployer 70 % des déchets de construction et de démolition non dangereux qu’elle produit. Au Luxembourg, plus de trois quarts des déchets engendrés seraient qualifiables de « déchets inertes » (déchets de démolition, déchets routiers, déchets d’excavation), ce pourquoi le PNGDR porte une attention particulière à la prévention de ces derniers et fixe les objectifs nationaux suivants : stabilisation du taux de valorisation des ressources autour des 90 %, développement et incitation à une valorisation de qualité dans le secteur de la construction, promotion de la réutilisation des matériaux de construction via la « déconstruction » et, enfin, adaptation de la procédure de recherche des décharges pour déchets inertes.

Pour réaliser ces ambitions, plusieurs initiatives sont déjà mises en oeuvre. Le Grand-Duché a par exemple instauré l’obligation légale de suivre la « hiérarchie des déchets(5) » lors des pratiques de prévention, de réutilisation et de recyclage des rebuts issus de la construction et de la démolition. Un autre exemple, inédit au niveau européen, est l’établissement d’un inventaire(6) des matériaux de construction lors du démantèlement d’un bâtiment. Ce « passeport de matériaux » est rendu obligatoire par la législation luxembourgeoise de sorte à faciliter la gestion des ressources et à promouvoir la « déconstruction » des bâtiments ainsi que la réutilisation des matériaux.

Une lutte active contre le gaspillage alimentaire

Un autre chantier important du PNGDR est celui des déchets alimentaires, qui constitue à la fois une des priorités du « Paquet Economie Circulaire (7) » de l’Union européenne et l’une des cibles de « développement durable » de l’Organisation des Nations Unies (cible 12.3 Consommation et production durables (8)). Selon l’étude Aufkommen, Behandlung und Vermeidung von Lebensmittelabfällen im Großherzogtum Luxemburg publiée en 2016 (9), 68.000 tonnes de gaspillage alimentaire sont annuellement recensées au Luxembourg, soit environ 124 kg par personne et par an. Or, pas moins de 46 % des déchets alimentaires, c’est-àdire près de 57 kg par personne et par an, pourraient être évités. Le PNGDR s’est ainsi fixé pour objectif de prévenir le gaspillage de nourriture tout en réduisant la quantité de déchets alimentaires d’au moins 50 % à l’horizon 2022.

En complément de sa participation aux initiatives européennes relatives à l’économie circulaire(10), le Grand-Duché mène de nombreuses actions en ce sens, à l’échelle nationale : une fiche sur les aspects légaux en termes de donation de denrées alimentaires à des fins de consommation est mise à disposition des entreprises(11) pour encourager la redistribution des denrées alimentaires invendues ; un système national standardisé aidant le client et le restaurateur à ne pas gaspiller la nourriture, mais à l’emporter à la maison a été initié via le projet ECOBOX- Méi lang geneissen(12) (qui a reçu le premier prix international du doggy bag) ; la campagne Food Waste Zero (13) menée par l’organisation IMS a été lancée dans le but de quantifier et diminuer les pertes alimentaires dans les restaurants d’entreprise, etc.

La lutte contre le plastique à usage unique

Enfin, le PNGDR, tout comme le « Paquet Economie Circulaire » de l’Union européenne, porte une attention particulière à la réduction des déchets plastiques et des déchets d’emballages. Les objectifs nationaux qu’il fixe sont les suivants : recycler au moins 70 % des déchets d’emballages jusque 2022, interdire la mise à disposition gratuite de sacs en plastique aux points de vente, atteindre en 2022 les objectifs de la directive 2015/720 relative aux emballages et aux déchets d’emballages, réduire durablement la consommation des sacs en plastique léger, sans entraîner une augmentation globale de la production d’emballages et, enfin, promouvoir l’utilisation des emballages à usages multiples. Plus concrètement, de nombreuses démarches pour réduire les déchets d’emballages et les déchets plastiques ont été initiées au Luxembourg sous l’initiative conjointe des autorités publiques, des entreprises, des citoyens et des organismes agréés en matière de gestion des déchets pour le compte des entreprises luxembourgeoises. Parmi celles-ci, on peut notamment citer, sans être exhaustif, les campagnes de sensibilisation (ex : campagne Être dans un sac plastique(14) de l’Administration de l’environnement, campagne Be chic, stop plastic (15) de Valorlux), les études thématiques (ex : étude examinant la dégradabilité et la comparabilité des plastiques « biodégradables » par rapport aux plastiques conventionnels), l’interdiction depuis le 31 décembre 2018 de mise à disposition gratuite de sacs en plastiques épais (supérieurs à 15 microns) à usage unique, le développement de la vente de produits « en vrac » sans emballage ou encore le manifeste Zero Single-Use Plastic(16) lancé par l’organisation IMS et signé par plus de 40 entreprises au Luxembourg.

Que cela soit par des actions favorisant la transformation du concept de déchets en ressources secondaires ou par celles permettant de diminuer la production de rebuts, il existe une forte volonté nationale de développer des solutions durables pour pallier les externalités négatives issues des modes de production et consommation actuels. Le Luxembourg progresse lentement mais sûrement vers une économie où les produits en fin de vie renaissent sous la forme de ressources nouvelles et où « les déchets » des uns feront le bonheur des autres.

Hoai Thu Nguyen Doan, Economiste, Département Affaires Economiques Chambre de Commerce
Hoai Thu Nguyen Doan, Economiste, Département Affaires Economiques Chambre de Commerce

  • (1) https://ec.europa.eu/eurostat/web/productseurostat- news/-/DDN-20180123-1.
  • (2) https://www.troisiemerevolutionindustrielle. lu/etude-strategique.
  • (3) http://paperjam.lu/news/le-luxembourgimportateur- net-de-dechets.
  • (4) https://environnement.public.lu/dam-assets/ documents/offall_a_ressourcen/pngd/plan/ PNGD.pdf.
  • (5) La hiérarchie des déchets a été introduite au Luxembourg par la loi modifiée du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets. Cette dernière impose dans le cadre de la prévention et de la gestion des déchets, de suivre l’ordre suivant indiqué par l’échelle de Lansink : 1. Prévention, 2. Préparation en vue du réemploi, 3. Recyclage, 4. Toute autre valorisation (ex: valorisation énergétique), 5. Elimination.
  • (6) L’inventaire des matériaux de construction se compose de trois étapes : la collecte et l’analyse des informations relatives au bâtiment (ex : date de construction, plans etc.), l’identification des matériaux de construction qui est réalisée avec la collaboration d’experts et enfin la recherche de polluants nécessitant un traitement spécifique (ex : amiante).
  • (7) « Le Paquet Economie Circulaire » désigne le plan d’action de la Commission européenne, pour obtenir une économie européenne plus résiliente via le déploiement de principes relatifs à l’économie circulaire. Ce plan se décline en une cinquantaine de mesures et fixe 5 secteurs prioritaires : les matières plastiques, les déchets alimentaires, les matières premières critiques, la construction et la démolition, et, enfin, la biomasse et les bioproduits.
  • (8) https://www.un.org/sustainabledevelopment/ fr/sustainable-consumption-production.
  • (9) https://environnement.public.lu/dam-assets/ documents/offall_a_ressourcen/gaspillagealimentaire/ studie-lebensmittelabfaelle.pdf.
  • (10) Pour plus de détails, se référer à la publication de la Chambre de Commerce du Luxembourg – Actualité & Tendances n° 22 : Le train de l’économie circulaire est en marche.
  • (11) https://www.horesca.lu/fr/redistribution--- donation.
  • (12) Le projet ECOBOX a été élaboré à la demande du Département de l’Environnement du ministère du Développement durable et des Infrastructures, et développé par la SuperDrecksKëscht en coopération avec l’Horesca.
  • (13) http://imslux.lu/fra/news/104_food-waste-zeroims-vise-la-reduction-du-gaspillage-alimentaire.
  • (14) La campagne Être dans un sac plastique a été organisée par l’Administration de l’environnement en décembre 2017 dans les grandes surfaces, dans les parkings et médias sociaux, avec pour objectif de réduire la consommation de sacs en plastique léger utilisés pour l’emballage de fruits et légumes lors de l’achat.
  • (15) La campagne Be chic, stop plastic a été lancée par Valorlux asbl en partenariat avec l’Administration de l’environnement et la Confédération luxembourgeoise du Commerce dans le but de réduire la consommation de sacs en plastique à usage unique. Elle s’est déroulée fin 2017.
  • (16) Le manifeste Single use plastic a été lancé en septembre 2018 par IMS, le réseau des entreprises luxembourgeoises en matière de responsabilité sociétale des entreprises. Il a pour objectif de mettre un terme à l’achat et à la distribution de produits à base de plastique à usage unique par les entreprises d’ici 2020.