Le ministre de l’Economie, Etienne Schneider, évoque les enjeux de l’innovation au Luxembourg ainsi que les efforts consentis pour le gouvernement pour la soutenir.

Etienne Schneider, ministre de l’Economie
Etienne Schneider,ministre de l’Economie


 

Quand on parle de diversification économique, le concept d’innovation est incontournable. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il recouvre aux yeux du gouvernement?

Dans le but de renforcer et de consolider la compétitivité économique à long terme, l’action gouvernementale s’inscrit dans le cadre du concept du triangle de la connaissance. Celui-ci vise à renforcer le potentiel des acteurs à produire des connaissances par la recherche, à les diffuser par l’enseignement supérieur et le transfert technologique, et à les appliquer grâce à l’innovation. La compétitivité du Grand-Duché dépend donc de plus en plus de réseaux d’innovation efficaces, impliquant des acteurs du secteur privé, de l’enseignement et de la recherche, et du public. C’est pourquoi le Luxembourg a mis en place plusieurs initiatives pour renforcer le potentiel des entreprises en R&D et innovation, et notamment la Luxembourg Cluster Initiative, gérée par Luxinnovation, l’Agence nationale de promotion de l’innovation et de la recherche.

Quel est son objectif ?

Elle rassemble différents clusters et réseaux d’innovation établis au Grand-Duché. Les clusters visent à diversifier l’économie nationale dans les secteurs des biotechnologies, des matériaux, des écotechnologies, du spatial, des Technologies de l’Information et des Communications (TIC), de la logistique, du maritime, des composants automobiles, de la construction et de l’artisanat. Cette politique de diversification mise en œuvre au sein des clusters est soutenue par des aides financières. L’innovation est donc clairement, aux yeux du gouvernement, un des fers de lance de la diversification économique du pays et un moyen de soutenir la compétitivité de ses entreprises.

Quels sont les enjeux en matière d’innovation ?

Un des enjeux majeurs est de traduire les résultats de la recherche en projets innovants, produits, procédés et services nouveaux à valeur ajoutée élevée, et en création d’entreprises, start-up et spin-off. Un autre enjeu est de faciliter et de soutenir la création d’entreprises innovantes, ceci grâce à des démarches administratives simplifiées, à des structures d’hébergement et des services d’accompagnement adaptés, comme ceux offerts par la Technoport S.A., à un accès facilité au capital risque, comme, par exemple, avec l’initiative Seed4Start.

Pour être performante, l’innovation a également besoin d’entrepreneurs engagés. Un autre enjeu pour le gouvernement est donc de stimuler l’esprit l’entreprise par diverses initiatives dans un pays où l’attrait de la fonction publique reste important. Pour les entreprises en activité, l’enjeu est de stimuler l’innovation pour qu’elles restent compétitives dans un environnement international très concurrentiel. Cette innovation peut être bien évidemment technologique, mais pas seulement. Elle peut aussi être organisationnelle ou commerciale, notamment dans le secteur des services. Pour cela, les entreprises doivent porter un regard neuf sur leurs activités afin de se remettre perpétuellement en question. L’entrepreneur qui innove dispose d’une longueur d’avance sur ses concurrents.

Comment, concrètement, traduire l’innovation en valeur économique?

La loi du 5 juin 2009 relative à la promotion de la RDI définit l’innovation comme « toute nouveauté sous forme de produit, de service, de procédé, de méthode ou d’organisation qui résulte de la mise en application d’idées nouvelles ou d’efforts de recherche-développement ».

Vous voyez donc la complexité du sujet. Tout d’abord, faut-il déjà que les résultats de recherche soient concluants et puissent trouver une application, avoir une utilité apparente. Mais, encore faut-il que les utilisateurs considèrent que cette utilité répond à leur besoin et soient donc prêts à la monnayer. Légion sont les « bonnes idées » qui ne se sont malheureusement jamais vendues !

Il ne faut pas essayer de bruler les étapes. Pour être couronnée de succès, une innovation se prépare déjà en termes d’analyse de marché, de veille technologique et concurrentielle, d’analyse SWOT, d’étude de faisabilité technique et financière. Puis elle requiert souvent un projet de recherche-développement, à moins que la solution technique existe déjà, ou puisse éventuellement être empruntée d’une autre application avec des modifications mineures. Mieux vaut d’ailleurs éviter de réinventer la roue et s’entourer intelligemment des compétences requises.

Puis il faut encore avoir le souffle – même financier – pour bien préparer l’introduction sur le marché de son innovation et développer un plan d’affaire réaliste. Cet exercice est d’ailleurs inévitable si on a besoin de financement pour arriver au bout.

Traduire l’innovation en valeur économique n’est pas évident. Aussi comprend-on plus aisément pourquoi le secteur financier traditionnel rechigne à investir dans l’innovation. L’absence de financement privé suffisant justifie l’aide publique. Encore faut-il que l’Etat se limite à inciter le déblocage de l’investissement privé suffisant !

L’innovation recouvre de nombreuses réalités, elle peut se traduire dans de nombreux secteurs d’activité et n’est pas forcément technologique…

Vous avez entièrement raison. L’innovation est accessible et nécessaire à toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité. L’innovation en entreprise peut concerner un changement dans des produits, services, procédés, processus de production ou encore dans l’organisation interne et externe. Elle peut aussi toucher au mode de commercialisation des produits ou services, ou à la pérennisation de l'entreprise. Il s'agit d'améliorations substantielles, qui visent tous les efforts permettant à une entreprise de se différencier de ses concurrents et à se positionner ou consolider sa présence sur le marché.

Comment le gouvernement soutient-il l’innovation? Quelles aidest a-t-il mis en œuvre ces dernières années?

En premier lieu, le gouvernement soutient indirectement l’innovation en investissant dans la recherche publique. Celle-ci vise en premier lieu à développer des compétences scientifiques et technologiques dans des domaines qui correspondent à des besoins identifiés ou présumés dans l’économie. Ces compétences peuvent profiter aux entreprises au travers d’un transfert technologique, dans le contexte de recherches contractuelles ou de projets de partenariat privé-public. Le gouvernement complète son soutien indirect à l’innovation des entreprises au travers de la mise à leur disposition des structures d’accueil et d’hébergement pour jeunes entreprises innovantes du Technoport, du soutien et conseil de Luxinnovation, des plates-formes technologiques des clusters. Des plans d’action sectoriels spécifiques soutiennent l’activité des clusters.

En second lieu, le gouvernement incite directement l’innovation privée en aidant financièrement les projets RDI des entreprises. A cet effet, la loi modifiée du 5 juin 2009 relative à la promotion de la RDI met à sa disposition 9 régimes d’aide complémentaires couvrant différentes étapes du processus d’innovation. Finalement, il a créé un cadre fiscal favorable à l’hébergement au Luxembourg des droits de propriété industrielle technique

Pouvez-vous nous faire un état des lieux des efforts consentis en matière de soutien à l’innovation réalisés par le gouvernement ces dernières années? (montant des aides et leurs allocations) ?

Sur la période 2008 à 2013, l’effort RDI des entreprises luxembourgeoises a connu une évolution remarquable, et cela en dépit de la crise économique et financière. Le nombre de projets aidés a plus que triplé, les dépenses RDI des entreprises bénéficiaires ont augmenté de 62 % et, finalement, le soutien du ministère a presque doublé.

Les 8 nouveaux régimes Innovation, introduits par la loi du 5 juin 2009 pour compléter le régime R&D existant – dont quelques-uns sont d’ailleurs réservés aux seules PME – représentent sur l’ensemble de la période 2009 à 2012 déjà plus de 35 % de nos interventions, donc plus d’un tiers. Avec 148 nouveaux dossiers, l’année 2013 a battu tous les records antérieurs.

La période 2008 à 2013 représente un soutien total de 446 projets RDI différents avec un budget estimatif total de quelque 734 millions EUR. L’aide étatique totale se chiffre à près de 266 millions EUR, soit un taux d’aide moyen de 36 % par projet. Si couronnés de succès technique et économique, ces efforts RDI vont à terme ouvrir une perspective de quelque 1.623 emplois nouveaux. A relever aussi que plus des trois quarts des aides ont profité à des entreprises ayant introduit une première demande, plus de 85 % chez les PME.

Pour quels résultats ?

Dans le dernier tableau de bord de l’innovation (Innovation Scoreboard 2013) édité par la Commission européenne, le Luxembourg a progressé de la 9e à la 6e place en termes de performance globale dans le domaine de l’innovation. Il se trouve notamment devant des pays comme l’Autriche, la France ou le Royaume-Uni. Par ailleurs, je projette de fixer pour les années à venir des objectifs quantifiables en termes d’efficience économique de nos régimes d’aide et de définir un suivi des projets soutenus après la réalisation de la RDI afin de pouvoir mieux anticiper l’impact économique réel de ces aides à l’horizon de 0 à 5 ans après leur déboursement et la clôture des dossiers.

Quels sont les objectifs du « nouveau » gouvernement en matière d’innovation?

Le gouvernement actuel va pratiquer la continuité. En dépit de la rigueur budgétaire que nous nous imposons, aussi bien la recherche publique que le soutien financier à la RDI privée resteront des priorités. L’ancien gouvernement s’était déjà engagé sur une dépense intérieure en RDI – dépense privée et publique confondues – d’un équivalent de 2,3 à 2,6 % du produit intérieur brut. Le gouvernement actuel reste attaché à cet engagement.

En ce qui concerne les nouveaux accents, j’ai annoncé une réforme de notre stratégie en ce qui concerne la Luxembourg Cluster Initiative, qui mettra l’accent sur des objectifs quantifiables à réaliser sur le 4 prochaines années.

Si nous espérons pouvoir maintenir l’essentiel sinon l’ensemble des régimes d’aide existants, nous prévoyons toutefois une simplification des procédures et réduction des délais d’attribution des aides, et une attribution plus différenciée en fonction de l’intensité de l’effort incitatif de notre aide et de l’impact économique escompté.

Propos recueillis par Sébastien Lambotte