L’envergure des récentes évolutions fiscales internationales, tant en matière de fiscalité des institutions que de fiscalité des investisseurs privés et des fonds d’investissements, constitue un défi majeur pour l’industrie financière luxembourgeoise.

Les institutions bancaires au Luxembourg sont confrontées à une demande de transparence accrue en matière de données fiscales bancaires. Ce besoin d’informations se manifeste tant dans le chef des autorités fiscales que dans le chef des investisseurs eux-mêmes.

La transparence sur les données financières des investisseurs privés, se matérialisant notamment par les dispositifs FATCA(1) et CRS(2), a été anticipée par les acteurs de la Place et s’amplifie actuellement avec le premier reporting CRS prévu pour le 30 juin prochain. L’évolution touche aussi le segment de la fiscalité sociétaire. Ce mouvement vient non seulement des gouvernements et des institutions politiques (UE) ou économiques (OCDE) internationales avec des initiatives spécifiques telles que BEPS(3), mais aussi d’organismes associatifs, comme en atteste une récente initiative de l’association OXFAM dédiée à exploiter les paramètres fiscaux dérivant du reporting des banques(4).

Vers une gouvernance adaptée aux nouveaux paramètres fiscaux

La gouvernance en matière fiscale se trouve considérablement affectée par la multiplication actuelle des réglementations fiscales.

Pour les travailleurs non-fiscalistes du secteur bancaire, ceci signifie de pouvoir s’appuyer sur des formations et des outils matriciels de renseignements fiscaux aisément consultables et sans cesse mis à jour. Ceci est désormais susceptible de générer un facteur de différenciation concurrentielle entre banques.

Un champ fiscal élargi dans le dispositif AML

Pour les Risk Officers, l’extension récente du dispositif AML à une sphère fiscale plus étendue(5) constitue un développement majeur, qui soulève encore des points d’interrogation quant à l’étendue des situations pratiques de suspicions fiscales à identifier et à notifier au parquet financier.

Aspects fiscaux du reporting financier additionnel pour les CFO

Pour les CFO, l’impact le plus récent se manifeste, d’une part, dans de nouvelles obligations de reporting pays par pays (CBCR(6)) sur des données financières clés incluant la dimension fiscale. Ceci vaut actuellement pour les groupes financiers ayant un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 millions EUR. Le sujet des prix de transfert dans le cadre des transactions entre parties appartenant à un même groupe bancaire suscite des développements spécifiques, avec en pratique davantage de proactivité, voire une documentation locale plus développée visant à justifier les aspects fiscaux et économiques des transactions intragroupe, tout en veillant à la cohérence avec le document dit « master TP » du groupe. D’autres développements fiscaux en lien avec les règles comptables IFRS 9(7) se profilent également, notamment concernant le traitement fiscal des dépréciations suite au nouveau dispositif, en l’absence de loi ou circulaire fiscale détaillée sur le traitement fiscal des IFRS au Luxembourg.

Un tableau de bord fiscal pour le management, une stratégie de communication en cas de besoin

La gouvernance fiscale doit aussi faire l’objet d’un pilotage au plus haut niveau de management des banques, eu égard aux risques opérationnels, et le cas échéant, au risque de réputation. La maîtrise d’une bonne communication par rapport à une éventuelle situation de crise sur un aspect fiscal particulier doit être sous contrôle.

Au-delà des dispositifs réglementaires fiscaux à intégrer, le suivi du niveau de charge fiscale est également un facteur clé. Par ailleurs, des aspects de révision du business model liés à des facteurs exogènes (Brexit, M&A, Mifid, etc.) ou aux plans internes des groupes bancaires nécessitent un examen des impacts fiscaux dès les prémices d’une réorganisation.

La nouvelle donne technologique du fisc

L’évolution digitale en matière fiscale n’est pas que l’apanage des départements informatiques des institutions financières. La digitalisation se développe de plus en plus dans les interactions avec les autorités. Pour certains, un pas supplémentaire a été franchi avec le traitement des déclarations fiscales et l’établissement de l’impôt par l’administration via un système de connexion directe avec le data système de la comptabilité de l’entreprise. Nous n’en sommes pas encore là globalement au Luxembourg, mais cette évolution s’accélère, notamment en matière de TVA.

Le phénomène d’accélération des initiatives fiscales diversifiées

Ces nouveaux challenges fiscaux pour les banquiers prennent rapidement la forme d’initiatives concrètes. FATCA et CRS sont maintenant devenus une réalité quotidienne des banques. L’extension sensible du dispositif AML dans la sphère fiscale est déjà opérationnelle depuis le 1er janvier 2017. L’échange d’informations sur les rulings fiscaux a été mis en oeuvre et son application pratique s’accélère, tant au niveau européen que du côté de l’OCDE. Le country-by-country reporting s’est déjà matérialisé pour les banques et autres acteurs concernés, notamment par l’obligation de renseigner pour le 31 mars dernier aux autorités luxembourgeoises l’entité groupe en charge du reporting.

Enfin, la signature d’un nouveau modèle de convention fiscale multilatérale, destinée à intégrer plus rapidement le dispositif BEPS, est prévue pour le 30 juin prochain, et les incidences du dispositif BEPS pour les groupes bancaires sont loin d’être négligeables.

Comment garder le cap fiscal ?

L’institution bancaire doit pouvoir garder le cap sur une gestion saine de sa fiscalité et ceci nécessite désormais un monitoring plus actif et étendu. De nouveaux outils de tableau de bord de gestion fiscale et des grilles de lecture s’imposent avec un équilibre à trouver entre l’utilisation de ressources internes qualifiées, de ressources destinées à former davantage ou un choix se portant sur l’outsourcing permettant de se concentrer sur son core business. Les nouvelles réglementations fiscales à intégrer paraissent souvent fastidieuses, mais ne doivent pas faire perdre de vue qu’elles sont aussi susceptibles d’améliorer des processus internes. Enfin, au vu des chantiers déjà réalisés, ceci s’inscrit dans une grande faculté d’adaptation des professionnels du secteur financier au Luxembourg, tout en conservant une gamme de produits très diversifiée fortement appréciée par la clientèle financière internationale.

Jacques Linon, Executive Director, Tax Advisory Services
De g. à dr. : Jacques Linon, Executive Director, Tax Advisory Services

Avec la collaboration
de Marie-Sophie Dervieu, Manager,
et Didier-Marie Claes, Senior Manager.

EY Luxembourg

(1) Loi luxembourgeoise du 24 juillet 2015 sur le dispositif FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) suite à l’accord intergouvernemental (IGA) signé par le Luxembourg et les USA le 28 mars 2014.

(2) Le Common Reporting Standard (CRS) a été adopté via la directive 2014/107/UE et intégré dans la loi luxembourgeoise du 28 décembre 2015. Le CRS oblige les institutions financières à transmettre les informations concernant les comptes financiers détenus, directement ou indirectement, par les titulaires de ces comptes lorsqu’ils sont résidents dans une juridiction CRS.

(3) Base Erosion and Profit Shifting: BEPS refers to tax avoidance strategies that exploit gaps and mismatches in tax rules to artificially shift profits to low or no-tax locations. http://www. oecd.org/tax/beps/beps-about.htm.

(4) Opening the vaults, the use of tax havens by Europe’s biggest banks, Oxfam report, 27 March 2017.

(5) Loi du 23 décembre 2016 mettant en oeuvre la réforme fiscale 2017 et circulaire CSSF 17/650 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, et du règlement grand-ducal du 1er février 2010 portant précision de certaines dispositions de la loi LBC/FT aux infractions primaires fiscales.

(6) Country by Country Reporting (CBCR) based on BEPS action plan 13, implemented in Luxembourg by the law of 26 December 2016.

(7) La norme IFRS 9 a été homologuée par le règlement (UE) 2016/2067 du 22 novembre 2016, publié au JOUE du 29 novembre 2016, circulaire 15/621, application des nouveaux standards à partir du 1er janvier 2018.