Depuis le début de la crise sanitaire mondiale et les mesures restrictives prises par le gouvernement pour endiguer la propagation de la COVID-19, les entreprises dont l’activité le permettait ont été encouragées à recourir au télétravail. D’une pratique minoritaire au sein des entreprises luxembourgeoises, notamment en raison de ses implications en termes de sécurité sociale et de fiscalité pour les frontaliers, le télétravail est devenu en quelques semaines un mode d’organisation du travail incontournable.

Au-delà même de la crise, de nombreuses entreprises sont dès lors en train de repenser leur mode de travail afin de maintenir une certaine dose de télétravail de manière pérenne.

Toutefois, le régime juridique du télétravail en vigueur jusqu’à présent, qui résulte d’un accord de 2006 conclu entre les partenaires sociaux et prorogé à plusieurs reprises, n’était plus adapté à l’évolution des technologies et aux besoins des entreprises et des salariés.

Poussés par le contexte actuel, les partenaires sociaux ont engagé des discussions en vue d’une modification du régime juridique existant et ont signé le 20 octobre 2020 une nouvelle convention interprofessionnelle sur le régime juridique du télétravail (ci-après la « nouvelle convention »).

La nouvelle convention est conclue pour une durée de 3 ans renouvelable. Elle entrera en vigueur auprès de toutes les entreprises du secteur privé au Luxembourg à compter de sa déclaration d’obligation générale par voie de règlement grand-ducal(1).

Loin de constituer une réforme en profondeur, la nouvelle convention vise à moderniser le régime préexistant en ajustant sur certains points les règles de la convention précédente jugées trop rigides et peu adaptées à la réalité de la pratique du télétravail au sein des entreprises luxembourgeoises.

Qu’entend-on par télétravail ?

La nouvelle convention définit le télétravail comme « une forme d’organisation ou de réalisation du travail, utilisant généralement les technologies de l’information et de la communication, de sorte que le travail, qui aurait normalement été réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ses locaux ».

Le télétravailleur est donc une personne salariée visée par le Code du travail (à l’exclusion de ceux qui ont un statut de droit public ou assimilé) et qui effectue du télétravail conformément à la définition ci-dessus. La définition ne vise plus spécifiquement le domicile du salarié comme lieu de télétravail, comme c’était le cas dans la convention de 2006.

Sont expressément exclus du champ d’application de la nouvelle convention (i) le détachement à l’étranger, (ii) le secteur du transport au sens large (hors administration), (iii) les représentants de commerce, (iv) le coworking, c’est-à-dire le travail presté dans un bureau satellite de l’entreprise, (v) le smart working, dans le sens d’interventions ponctuelles par smartphone ou ordinateur portable hors du lieu de travail ou lieu de télétravail usuel et (vi) toutes les prestations fournies à l’extérieur de l’entreprise à la clientèle.

Comment distinguer télétravail occasionnel et télétravail régulier ?

L’ancienne convention de 2006 ne s’appliquait qu’au télétravail régulier et habituel, à l’exclusion donc du télétravail occasionnel, sans pour autant définir ces notions. La nouvelle convention ne laisse plus de place à l’interprétation puisqu’elle introduit la notion de télétravail occasionnel, qu’elle définit comme « le télétravail effectué pour faire face à des événements imprévus ou lorsque le télétravail représente moins de dix pour cent en moyenne du temps de travail normal annuel du télétravailleur ». La période de référence pour le calcul du seuil des moins de 10 % est l’année de calendrier.

Le télétravail est considéré comme régulier dans les autres cas. Ainsi, dans le cas d’une politique d’entreprise consistant à autoriser le télétravail à raison d’un jour par semaine, il s’agira de télétravail régulier.

Des conséquences sont attachées à cette distinction, le télétravail occasionnel étant soumis à un cadre juridique plus souple sur certains points mentionnés ci-après.

Comment mettre en place le télétravail ?

Accord écrit des parties ou convention collective de travail/accord d’entreprise

Les partenaires sociaux se sont mis d’accord sur le fait que le télétravail n’est ni un droit, ni une obligation. Il a un caractère volontaire et sa mise en place requiert donc un accord entre les parties. La forme de l’accord écrit est cependant moins formaliste que sous l’empire de l’ancienne convention et dépend de la situation :

  • pour du télétravail occasionnel, une simple confirmation écrite (p.ex. e-mail) de la part de l’employeur suffit ;
  • pour du télétravail régulier, la nouvelle convention encadre les éléments devant être convenus par écrit entre l’employeur et le salarié, soit :
    • le lieu du télétravail ou les modalités pour déterminer ce lieu ;
    • les heures et les jours de télétravail et pendant lesquels le salarié est joignable pour l’employeur ou les modalités pour déterminer ces périodes ;
    • les modalités de compensation éventuelle si le télétravail régulier implique la perte d’un avantage en nature auquel il aurait normalement eu droit s’il avait travaillé sur site ;
    • le forfait mensuel pour la prise en charge des coûts de connexion et de communication le cas échéant ;
    • les modalités du passage ou du retour vers la formule classique de travail.

L’accord écrit peut résulter d’une convention collective ou encore d’un accord au niveau de l’entreprise. En cas d’accord collectif, un accord individuel entre l’employeur et le salarié n’est pas imposé.

En pratique, il est toutefois recommandé que l’employeur et le salarié s’accordent sur le fait que le salarié pourra avoir recours au télétravail dans le cadre fixé par l’accord collectif et définissent certaines modalités individuelles, telles que le lieu de télétravail, le jour de télétravail si celui-ci est fixe, etc.

La convention collective ou l’accord d’entreprise peut adapter le régime de télétravail en fonction de la situation particulière de l’entreprise, par exemple :

  • exclure des catégories de salariés du télétravail ;
  • préciser les lieux ou types de lieux autorisés ;
  • stipuler les règles en matière de sécurité et santé au travail ;
  • notifier les règles en matière de protection des données à caractère personnel et les personnes de contact dans le cadre du télétravail.

Rôle de la délégation du personnel

L’adoption et la modification d’un accord sur le télétravail au sein de l’entreprise devront faire l’objet d’une information et consultation de la délégation du personnel dans les entreprises de moins de 150 salariés, ou d’un accord de la délégation (codécision) dans les entreprises à partir de 150 salariés.

La délégation du personnel est informée régulièrement sur le nombre de télétravailleurs et son évolution au sein de l’entreprise. Les modalités de transmission des informations sont à arrêter au sein de l’entreprise.

Loin de constituer une réforme en profondeur, la nouvelle convention vise à moderniser le régime préexistant en ajustant sur certains points les règles de la convention précédente jugées trop rigides et peu adaptées à la réalité de la pratique du télétravail au sein des entreprises luxembourgeoises.

Quelles sont les modalités d’exercice du télétravail ?

L’organisation du temps de travail

L’organisation du temps de travail suit les règles applicables au sein de l’entreprise :

  • la charge de travail et les critères de résultat du télétravailleur sont équivalents à ceux des travailleurs comparables dans les locaux de l’employeur ;
  • les parties doivent convenir des modalités réglant la prestation des heures supplémentaires qui s’alignent dans la mesure du possible sur les procédures applicables aux autres salariés.

La nouvelle convention ajoute que toute disposition éventuellement envisagée dans l’entreprise relative au droit à la déconnexion applicable à un travailleur classique doit s’appliquer dans la même mesure au télétravailleur.

Equipements de travail

Pour le télétravail régulier, l’employeur est tenu de fournir l’équipement de travail nécessaire au télétravail et de prendre en charge les coûts directement engendrés par le télétravail (par exemple sous forme d’un montant forfaitaire mensuel convenu par écrit entre les parties).

Le télétravailleur peut demander un service approprié d’appui technique, l’employeur devant assumer la responsabilité des coûts liés à la perte ou à la détérioration des équipements et des données utilisés par le télétravailleur, sans préjudice des dispositions de l’article L.121-9 du Code du travail en cas d’actes volontaires ou de négligence grave du salarié.

Le télétravailleur peut demander une formation appropriée ciblée sur les équipements techniques à sa disposition et sur les caractéristiques de cette forme d’organisation du travail (de même que son supérieur hiérarchique et ses collègues directs peuvent bénéficier d’une telle formation).

En revanche, aucune obligation particulière n’est imposée à l’employeur concernant le télétravail occasionnel.

Quels sont les droits du télétravailleur ?

Le principe d’égalité de traitement entre les télétravailleurs et les travailleurs sur site est maintenu. La nouvelle convention prévoit ainsi que le télétravailleur a droit à une compensation des avantages en nature auquel il aurait normalement eu droit en cas de travail dans les locaux de l’entreprise. La nouvelle convention précise désormais que ce principe de compensation ne s’applique pas aux avantages intimement liés à la présence dans les locaux de l’entreprise, tels que l’accès à une cantine, une place de parking ou une salle de sport.

Le télétravailleur a les mêmes droits collectifs que les travailleurs dans les locaux (ex. : même conditions de participation et d’éligibilité aux élections pour la délégation du personnel).

Enfin, le télétravailleur doit avoir le même accès à la formation et aux possibilités d’évolution de carrière que les travailleurs comparables qui travaillent sur site, et il doit être soumis aux mêmes politiques d’évaluation que ces autres travailleurs.

Quelles sont les obligations en matière de santé et sécurité sur le lieu de télétravail et de protection des données ?

Il n’existe désormais plus d’obligation de l’employeur de vérifier les installations électriques au domicile du salarié (disposition de fait irréalisable en pratique) et le droit d’effectuer des visites de contrôle sur place est supprimé.

La nouvelle convention définit le télétravail comme « une forme d’organisation ou de réalisation du travail, utilisant généralement les technologies de l’information et de la communication, de sorte que le travail, qui aurait normalement été réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ses locaux ». La définition ne vise plus spécifiquement le domicile du salarié comme lieu de télétravail, comme c’était le cas dans la convention de 2006.

L’employeur doit informer le télétravailleur de la politique de l’entreprise en matière de sécurité et de santé au travail, et ce dernier doit les appliquer correctement.

Le salarié garde néanmoins la possibilité de demander une visite du service de santé au travail, de l’Inspection du Travail et des Mines, et du délégué à la sécurité et la santé de l’entreprise.

Par ailleurs, l’employeur est tenu de prendre les mesures requises par la législation luxembourgeoise et le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) de l’Union européenne pour assurer la protection des données à caractère personnel utilisées et traitées par le salarié dans le cadre de l’exécution de ses fonctions et celles concernant le télétravailleur lui-même.

L’employeur a ainsi une obligation d’information et de formation du télétravailleur, notamment concernant les restrictions à l’usage des équipements et des outils informatiques, et les sanctions en cas de non-respect des règles par le salarié.

Comment passer ou revenir à la formule de travail classique ?

La nouvelle convention ne reprend pas les dispositions antérieures sur la période d’adaptation qui permettait à chaque partie, pendant une durée définie (3 à 12 mois), de revenir de manière unilatérale vers une formule de travail classique. Toutefois, rien n’empêche les parties de prévoir une telle période à titre facultatif.

Désormais, le télétravailleur ou l’employeur peut à tout moment demander un passage ou un retour à un travail suivant la formule de travail classique. Lorsque le télétravail est régulier, les modalités du retour à la formule de travail classique sont à convenir d’un commun accord et par écrit entre l’employeur et le salarié au moment où le salarié commence à télétravailler.

 

Me Marielle Stevenot Partner
Me Marielle Stevenot Partner

Me Mona-Lisa Pierre Senior Associate
Me Mona-Lisa Pierre Senior Associate

Droit du travail
PwC Legal

 

(1) Au 18/12/2020, date de rédaction de l’article, le règlement grand-ducal en vue de la déclaration d’obligation générale de la nouvelle convention n’a pas encore été publié.