On ne devient pas entrepreneur du jour au lendemain ou après avoir pris quelques cours, explique Andreea Monnat du Fonds National de la Recherche (FNR). Il faut apprendre à assumer le risque, à échouer, à se relever et à essayer jusqu’à la réussite. C’est un processus qui doit être accepté par la société. D’où la nécessité, selon elle, d’investir à long terme dans la culture de l’innovation. Dans notre entretien, Andreea Monnat explique quel est le rôle de la politique dans le domaine de l’innovation et comment le FNR contribue à développer ce domaine.

Comment définiriez-vous l’innovation ? Comment la décririez-vous dans un contexte luxembourgeois ?

Il existe de nombreuses façons de définir ce qu’est ou ce que signifie l’innovation. Ma préférée est celle décrivant l’innovation comme quelque chose qui « déclenche un changement positif et significatif ». Il existe de nombreuses façons d’y parvenir, mais ce qui importe le plus est que l’innovation soit adoptée par d’autres pour susciter et perpétuer ce changement. Personnellement, je pense que le mot « innovation » est encore trop souvent utilisé comme un terme de remplissage vide de sens, sans intention significative. Concernant le contexte luxembourgeois, nous devons également veiller à ne pas tomber dans le piège « innover ou périr ».

Le Luxembourg a besoin d’investir à long terme dans la culture de l’innovation. Même si la stratégie est importante, c’est la culture nationale et institutionnelle qui stimule la véritable innovation. Les grandes idées et les grands changements demandent du temps. L’échec productif, la communication excellente et la véritable collaboration – ces aspects sont rendus possibles par une culture qui protège et nourrit les grandes idées et, surtout, qui suscite des personnes novatrices et audacieuses. Des personnes qui défient constamment le statu quo. Il n’est pas certain que le Luxembourg en soit déjà là. Point positif, nous en sommes au tout début et nous avons une opportunité légitime pour créer un écosystème innovant à partir de « zéro ».

L’innovation est-elle indispensable au développement économique d’un pays ? Quel est le rôle de la politique dans le domaine de l’innovation ?

De nos jours, l’importance de l’innovation, tout comme de la science et de la technologie, est largement reconnue comme l’un des moteurs de la croissance économique continue. Malheureusement, le fait de simplement se proclamer « nation innovante » ou de demander politiquement l’innovation à tous les niveaux n’est pas suffisant. Il convient de se demander « comment innover ? » ou, plus explicitement, « comment pouvons-nous gérer l’innovation tout en incitant les gens à devenir créatifs, à s’exprimer, à faire entendre leurs idées et à devenir de vrais entrepreneurs ? ». Chose amusante, le terme « entrepreneur », tel qu’il a été inventé par l’économiste du XVIIIe siècle Richard Cantillon, désignait à l’origine un « porteur de risques » ou « preneur de risques ». Vous pouvez répondre à cette question vous-même : comment le Luxembourg et l’Europe, dans l’ensemble, répondent aux « preneurs de risques » ? Le Luxembourg, en particulier, en tant que pays à revenu élevé, a tendance à compter sur la sécurité de ce qui lui est familier en excluant naturellement la prise de risques. On ne devient pas entrepreneur du jour au lendemain ou après avoir pris quelques cours. Assumer le risque, échouer, se relever et essayer jusqu’à la réussite, doit être un processus accepté par la société et évident même pour les enfants à l’école maternelle.

La volonté politique peut être extrêmement utile. Au-delà de la mise en place de cadres juridiques pour favoriser les entreprises en phase de démarrage ou de l’offre d’incitations financières en vue de limiter l’exposition au risque, les gouvernements peuvent soutenir des programmes visant à éradiquer la stigmatisation de l’échec qui empêche un grand nombre de personnes de même envisager l’entrepreneuriat en premier lieu.

Quel est le rôle de la R&D par rapport à l’innovation, et comment le Fonds National de la Recherche, en tant que principal acteur de soutien des activités de recherche au Luxembourg, peut aider à développer l’innovation au Luxembourg ?

La R&D est primordiale pour le processus d’innovation. On pourrait dire, à juste titre, que le D serait impossible sans le R. Un obstacle majeur que les gouvernements doivent surmonter consiste à trouver des moyens de combiner intelligemment les R&D publique et privée, et d’établir des objectifs communs. La R&D privée se porte très bien, mais seulement si on parle des sociétés extrêmement prospères comme les géants du Web, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et autres. Peu d’entreprises disposent des ressources nécessaires pour investir ou poursuivre une innovation au stade précoce. C’est là que les gouvernements interviennent et deviennent les porteurs de risques des visions futures.

En 2013, le FNR a mis en place des instruments de financement qui peuvent être utilisés pour encourager la transposition de la recherche à fort impact en innovations commercialement viables et promouvoir une collaboration étroite entre les secteurs public et privé. Le succès des programmes parle de lui-même : 3 start-up ont été créées et les secteurs concernés ne sont pas les « suspects habituels » de la finance et de l’acier. Les startup axées sur la robotique, les données volumineuses, la santé et la biomédecine se sont fait remarquer dans les médias locaux, en remportant plusieurs concours d’entrepreneuriat et en participant à la renommée internationale du Luxembourg dans le domaine des start-up.

Cependant, comme pour toutes jeunes pousses, les start-up nécessitent des arrosages constants et réguliers, car les pluies à elles seules ne suffisent que rarement à les entretenir jusqu’à ce qu’elles deviennent solides et indépendantes. L’arrosage, autrement dit « l’aide publique gouvernementale/ institutionnelle », doit être évalué et distribué de façon intelligente pour entretenir et soutenir la croissance précoce des bourgeons.

Nous pensons que le FNR a contribué à faire évoluer le « fossé de l’innovation », mais il en faut plus pour le combler entièrement. Cela nécessite un processus collaboratif associant toutes les parties prenantes au sein de l’écosystème, et pas seulement une ou deux d’entre elles.

Les défis futurs du FNR reposeront sur le développement de partenariats stratégiques et sur la mise en place de cadres de fonctionnement standard avec les institutions, les politiciens, les médias, la société, les chercheurs et le gouvernement. Ce n’est qu’en travaillant ensemble avec les mêmes objectifs en tête que nous pouvons avoir un impact plus important sur la société et l’économie luxembourgeoise. C’est pourquoi j’aime particulièrement la nouvelle devise du Luxembourg : « Let’s make it happen ! » C’est un début, et les débuts sont synonymes d’espoir.

Dr Andreea Monnat, Head of Unit – Innovation Programmes, Fonds National de la Recherche (FNR).
Dr Andreea Monnat, Head of Unit – Innovation Programmes, Fonds National de la Recherche (FNR)

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