L’idée d’un brevet communautaire ou d’une autre forme de protection qui couvre l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne a fait l’objet de plusieurs tentatives échouées depuis les années 1970. Depuis 2012, plusieurs Etats membres ont collaboré pour enfin voir naître une protection pour les inventions qui permet de remédier au système de brevets fragmenté et complexe qui existe aujourd’hui. Les fruits de cette initiative, à savoir le brevet à effet unitaire et la juridiction unifiée, devraient enfin voir le jour en 2017, ce qui constitue un pas majeur pour l’innovation en Europe.

Alors qu’en matière de marques et de dessins et modèles un titre de propriété intellectuelle qui couvre l’ensemble du territoire de l’Union européenne existe et est amplement mis à profit par les utilisateurs, aucune protection similaire n’existe aujourd’hui pour les inventions. En effet, le brevet européen délivré par l’intermédiaire de l’Office Européen des Brevets (OEB) situé à Munich ne permet pas d’obtenir une protection unique dans les Etats désignés mais vise à simplifier le dépôt de brevets dans les pays signataires(1). Un brevet européen devra néanmoins être enregistré dans chaque Etat désigné par le déposant, qui détiendra donc in fine plusieurs brevets nationaux.

Une fois le brevet enregistré, d’éventuelles procédures judiciaires (par exemple en matière de contrefaçon ou relatifs à la validité du brevet) doivent être engagées dans chaque pays concerné, menant parfois à des décisions contradictoires. Ainsi, un brevet peut être considéré comme étant contrefait dans une juridiction mais non dans une autre. Ce système complexe et coûteux contribue largement à la fragmentation du territoire de l’Union européenne et constitue ainsi un frein à l’innovation.

Le système du brevet à effet unitaire vise à remédier à ces problématiques en créant une protection unique dans 25 des 28 Etats membres de l’Union européenne(2) (les Etats participants) et une juridiction unifiée en matière de brevets. Le fait qu’à l’avenir un seul brevet sera soumis à une seule juridiction permettra de faire avancer l’intégration du marché commun, de favoriser l’innovation en facilitant l’accès au brevet et de rendre le marché européen plus compétitif.

Le brevet à effet unitaire

Dans le système envisagé, le déposant d’un brevet européen pourra demander d’obtenir une protection unitaire pour l’ensemble des Etats participants. Cette nouvelle protection sera soumise à une seule taxe de renouvellement, qui sera bien inférieure aux frais de renouvellement pour 25 brevets nationaux. L’accès à la protection d’inventions par le brevet à échelle internationale est ainsi largement facilité.

Ce brevet européen à effet unitaire sera délivré par l’OEB selon les modalités de la Convention sur le brevet européen. Pour que cette protection puisse être octroyée, les revendications du brevet devront être identiques pour l’ensemble des Etats participants.

S’agissant d’une protection unitaire, toute limitation, révocation, extinction ou cession du brevet à effet unitaire vaudra pour l’ensemble des Etats participants. En revanche, un contrat de licence pourra être conclu uniquement pour une partie du territoire.

La juridiction unifiée en matière de brevets

Afin de garantir une sécurité juridique, une juridiction spécifique en matière de brevets est également créée, qui entendra exclusivement les demandes en matière de contrefaçon et de validité (y compris des demandes contractuelles soulevant des problématiques de contrefaçon ou de validité). Cette nouvelle juridiction permettra d’obtenir devant une seule juridiction et dans un très bref délai une décision unique et commune pour l’ensemble des Etats participants, y compris des injonctions. La compétence de la juridiction unifiée ne se limitera d’ailleurs pas aux brevets à effet unitaire, mais comprendra aussi les litiges relatifs aux brevets européens. Les juridictions nationales resteront néanmoins compétentes pour entendre certains litiges, telles que les demandes liées à la titularité des inventions ou des questions douanières.

La juridiction unifiée sera composée d’un tribunal de première instance (comportant des divisions centrales localisées à Paris, à Londres et à Munich et des divisions locales et régionales), ainsi que d’une cour d’appel et d’un greffe. Si le Luxembourg n’a pas opté pour la création d’une division locale, la cour d’appel et le greffe siégeront dans la capitale.

Le caractère novateur de cette juridiction apparaît aussi à travers des règles de procédure assez détaillées, qui combinent différentes traditions judiciaires. L’on retrouve ainsi la saisie-contrefaçon française, la bifurcation et la déclaration de non-contrefaçon allemande ou encore le contre-interrogatoire anglo-saxon.

Afin de permettre à la juridiction d’être opérationnelle dès l’entrée en vigueur du nouveau système, un protocole d’application provisoire, qui permet notamment de finaliser les règles de procédure et de poursuivre le recrutement des juges et des autres membres du personnel de la juridiction unifiée, fait actuellement l’objet de ratification par les Etats membres participants. Le Luxembourg a d’ores et déjà ratifié ce protocole d’application provisoire.

Titulaires de brevets européens : agissez !

Outre la question de savoir si la protection unitaire devra être demandée pour les dépôts futurs une fois que le système sera entré en vigueur, les titulaires de brevets européens doivent analyser leur portefeuille de brevets européens et décider s’ils souhaitent que ces brevets soient soumis à la compétence de la juridiction unifiée. En effet, pendant une période transitoire (d’une durée initiale de 7 ans), les titulaires de brevets européens peuvent déroger à la compétence de la juridiction unifiée pour les brevets européens en notifiant le greffe. Les brevets européens délivrés après l’expiration de cette période transitoire ne bénéficieront plus de cette option d’opt-out.

Par ailleurs, l’impact de ce nouveau système de brevets sur les contrats ayant pour objet les brevets européens existants et futurs, tels que les contrats de licence ou de copropriété mais également les sûretés accordées, devra être analysé de près.

Entrée en vigueur prévue en 2017

Pour que ce nouveau système de brevets puisse entrer en vigueur, l’Accord sur la juridiction unifiée doit être ratifié par un minimum de 13 Etats membres, dont les trois Etats membres dans lesquels le plus grand nombre de brevets était enregistré en 2012, à savoir l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Actuellement, neufs Etats membres ont ratifié cet Accord, dont la France et le Luxembourg. L’ensemble des acteurs estiment que ce nouveau système devrait voir le jour en 2017.

Néanmoins, l’issue du référendum du 23 juin prochain sur le Brexit pourrait retarder son entrée en vigueur, et ce malgré les efforts actuels du gouvernement britannique en faveur de ce système. Dans l’hypothèse d’un Brexit, de nombreuses questions risquent de surgir et des débats politiques d’éclater concernant par exemple la possibilité pour le Royaume-Uni de poursuivre son implication dans ce système par le biais d’un arrangement multilatéral. Si le nouveau système doit continuer sans le Royaume-Uni, des questionnements surgiront notamment quant au siège de la division centrale prévu à Londres, le régime linguistique ou le montant des taxes. Affaire à suivre. 

Me Natalie Schall IP/TMT Senior Associate Allen & Overy SCS
Me Natalie Schall IP/TMT Senior Associate Allen & Overy SCS
 

(1) L’organisation européenne des brevets compte 38 Etats membres, dont les 28 Etats membres de l’Union européenne, ainsi que 4 Etats permettant de valider des brevets par ce processus.

(2) Au jour de la rédaction de cet article, seules l’Espagne, la Croatie et la Pologne n’ont pas (encore) exprimé leur volonté de participer à cette initiative.

(3) L’auteur tient à remercier Sabrine Abaab pour son aide précieuse.