Pratique courante dans certains secteurs d’activité, tels que le secteur bancaire, les gratifications, encore dénommées primes, bonus ou treizième mois sont l’objet depuis quelques années d’un contentieux abondant devant les juridictions du travail.

Ce type de rémunération non périodique poursuit généralement le but de récompenser le salarié pour ses bonnes performances individuelles ou son comportement tout en l’associant, du moins indirectement, au bon résultat de l’entreprise ou de son département. Au fil de ses nombreuses décisions, les juridictions ont eu l’occasion de préciser le régime juridique applicable et en particulier de se prononcer sur la question essentielle en la matière: celle de savoir si l’octroi d’une gratification n’est qu’une simple faculté pour l’employeur ou s’il s’agit d’un véritable droit acquis pour le salarié. Selon les cas, la réponse à cette question peut être fort différente. En effet, une distinction doit être faite selon que la gratification a été ou non prévue dans un écrit.

La gratification a été prévue par écrit

Si l’octroi de celle-ci figure dans un écrit (dans le contrat de travail par exemple), le critère essentiel permettant de déterminer si son paiement est une libéralité ou une obligation est celui de l’engagement explicite de l’employeur à payer la gratification. Si l’employeur s’est engagé sans réserve au paiement d’une gratification, alors il y sera tenu. Il ne pourra revenir sur un tel engagement qu’en respectant la procédure particulièrement lourde de la modification unilatérale du contrat de travail en défaveur du salarié et sous réserve d’avoir des motifs précis, réels et sérieux la justifiant.  En revanche, l’employeur peut conserver un pouvoir discrétionnaire dans le paiement de gratifications en insérant, sans équivoque, dans le contrat une clause telle que « le paiement de la gratification est libre et se fera selon le bon vouloir de l’employeur », de sorte que le paiement, comme le montant de la gratification devraient en principe se faire de manière tout à fait discrétionnaire. Le fait que le salarié ait perçu pendant plusieurs années une telle gratification ne remet pas en cause l’absence d’engagement explicite de l’employeur. La Cour d’appel a eu l’occasion de le rappeler dans un arrêt du 18 décembre 2012 (n° 38248), en précisant que le fait que le salarié ait reçu pendant seize ans une gratification ne vient aucunement reconsidérer le défaut d’engagement explicite de l’employeur quant au paiement de cette gratification. En effet, il se dégageait du contrat que l’employeur entendait exclure que la gratification constitue un élément de salaire obligatoire et que le paiement d’une gratification de fin d’année, même répétée, puisse devenir un droit.

La gratification n’a pas été stipulée par écrit

Il incombe alors au salarié qui revendique son paiement de rechercher s’il existe un engagement implicite de l’employeur quant au paiement de cette gratification. Si tel est le cas, alors l’employeur sera tenu d’octroyer la gratification au salarié. En revanche, si un tel engagement implicite fait défaut, aucune obligation ne pèsera sur l’employeur quant au paiement de la gratification. Pour déterminer s’il existe un engagement implicite de l’employeur, la jurisprudence a dégagé trois critères cumulatifs, qui feront naître un droit acquis au bénéfice du salarié quant au paiement de la gratification. Ainsi, la gratification doit revêtir les caractéristiques suivantes:  être générale, c’est-à-dire que la gratification doit être accordée à tous les salariés, à une certaine catégorie de salariés ou encore à l’ensemble d’un département ou d’un service;

  • être constante, c’est-à-dire qu’elle doit
  • être payée à des intervalles réguliers, tels que pendant plusieurs années ;
  • être fixe, c’est-à-dire que le montant doit être plus ou moins identique ou encore que la méthode de calcul soit restée identique.
Si le salarié parvient à prouver que ces trois critères sont remplis, il a alors en principe un droit acquis à percevoir une gratification. La jurisprudence estime en effet dans ce cas que l’employeur en accordant une gratification à tous les salariés (ou à tout un service), pendant plusieurs années et d’un montant plus ou moins identique, s’est engagé implicitement à continuer d’octroyer une telle gratification. Dans l’hypothèse où le salarié parvient à démontrer l’existence de ces trois critères, la jurisprudence exige alors que l’employeur, qui conteste l’existence d’un tel droit acquis, prouve qu’il n’a pas entendu s’engager même implicitement. Pour ce faire, l’employeur qui n’a pas pris soin, dans cette hypothèse, de prévoir une clause dans un écrit relative à la gratification pourra toujours faire état le cas échéant d’une mention sur la fiche de paie ou sur le virement bancaire relatif à la gratification, indiquant qu’il s’agit uniquement d’une libéralité et que ce paiement n’engage pas l’employeur pour l’avenir.

Le montant de la gratification

Celui-ci peut être soit fixé librement par l’employeur, soit être forfaitaire (par exemple un montant fixe ou un mois de salaire), soit être déterminé en fonction de certains critères, tels que les performances individuelles du salarié, les résultats financiers de l’entreprise ou d’un département de l’entreprise. La détermination du montant de la gratification est

M. Gabrielle Eynard - Senior Associate Alen & Overy
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donc relativement libre et peut prendre des formes diverses allant de critères très généraux à des formules mathématiques très complexes. Certaines règles doivent tout de même être prises en compte par l’employeur dans la fixation du montant du bonus. Il s’agit d’une part du principe général d’ordre public de non-discrimination prévu aux articles L.251-1 et suivants du Code du travail. Ainsi, l’employeur devra veiller à respecter ce principe d’ordre public alors que l’utilisation d’une formule de calcul particulière pourrait, même indirectement, aboutir à une discrimination fondée sur un des critères de discrimination légalement prévus, par exemple sur l’âge, le sexe, ou encore le handicap entre des salariés placés dans des situations identiques ou comparables. D’autre part, les entreprises du secteur financier soumises à la surveillance

Maurice Macchin - Associate Allen & Overy
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prudentielle de la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF) doivent respecter tout un arsenal de règles supplémentaires en matière de rémunération telles que dictées par la législation européenne et transposées (ou sur le point d’être transposées) en droit luxembourgeois.