La délégation de pouvoirs au sein des entreprises est un élément essentiel de la gestion du risque pénal potentiellement encouru par leurs dirigeants. Pour être effective, elle doit remplir un certain nombre de critères et de conditions qui doivent être strictement respectés. L’élaboration d’un système de délégation de pouvoirs efficace et élaboré, surtout dans les entreprises de moyenne ou grande taille, est donc d’une importance primordiale.

Les articles de cette série précédemment parus dans ces pages ont tenté de montrer que le risque pénal, inhérent à toute activité économique, est de nature à exposer les acteurs économiques, les entreprises ellesmêmes ainsi que les dirigeants de celles-ci à des sanctions non négligeables qui peuvent avoir des conséquences très graves pour leur activité. Il s’agit d’un risque qui, même s’il ne peut jamais être entièrement éliminé, doit être géré et réduit autant que possible. 

Comme déjà évoqué, le dirigeant d’entreprise est personnellement responsable pénalement pour des infractions qui peuvent être commises au sein de l’entreprise dans le cadre de ses activités économiques. Il assume donc une responsabilité pénale du fait d’autrui. Ce principe se justifie par le fait qu’il appartient au chef d’entreprise d’assurer le contrôle et la surveillance de ses préposés.

Or, à l’heure actuelle, la taille et la structure des entreprises ainsi que la complexité et la diversité des activités économiques qu’elles poursuivent sont souvent telles qu’il est matériellement impossible pour le dirigeant d’effectivement exercer ce contrôle et cette surveillance à tous les niveaux et dans tous les domaines. Face à cette réalité, il est aujourd’hui admis que le dirigeant peut déléguer un certain nombre de tâches et de responsabilités à un ou plusieurs de ses préposés. 

Ainsi, il est possible au dirigeant de s’exonérer de sa responsabilité pénale en prouvant qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens requis. Il va de soi que le dirigeant ne doit pas avoir personnellement pris part à la réalisation de l’infraction en cause et une telle délégation ne peut jamais être effectuée dans le seul but d’échapper à la loi pénale.

Pour le dirigeant, la mise en place d’un système cohérent de délégation de pouvoirs peut être un moyen efficace en matière de gestion de son propre risque pénal. Pour être effectif, un tel système doit cependant être élaboré avec rigueur, le cas échéant avec l’assistance de conseils externes.

Pour être effective et pour pouvoir être admise comme un moyen d’exonération de la responsabilité pénale, la délégation de pouvoirs doit répondre à un certain nombre de conditions, à la fois de fond et de forme.

Conditions de fond

La délégation, qui évidemment doit être antérieure à l’infraction commise, doit être certaine et effective, exempte de toute ambiguïté : une délégation imprécise et établie dans des termes trop généraux ne saurait valoir comme cause d’exonération. Elle doit avoir un minimum de durée et de stabilité, et elle doit être limitée quant à son objet. Elle ne peut être générale, mais doit porter sur un secteur et des responsabilités spécifiques, non équivoques. En aucun cas elle ne peut porter sur les pouvoirs d’administration assumés par les mandataires sociaux.

La délégation doit normalement être consentie à un salarié de la société (et non à un tiers) qui doit être suffisamment qualifié, donc disposer des compétences et formations nécessaires pour assumer et exercer effectivement les pouvoirs délégués. Ainsi, dans bon nombre de situations une telle délégation est réservée aux cadres de l’entreprise. De même, le délégataire doit disposer de l’autorité et des moyens matériels et financiers requis pour lui permettre de remplir correctement sa mission : il doit s’agir d’un véritable transfert de pouvoirs. Dans ce contexte, il doit disposer de l’indépendance nécessaire pour prendre seul des décisions ainsi que d’un pouvoir de commandement effectif.

Le délégant a l’obligation de surveiller l’exécution correcte des pouvoirs délégués par le délégataire, le dirigeant ne pouvant pas se désintéresser des affaires de l’entreprise, et il a l’obligation d’intervenir si une décision indispensable n’est pas prise. 

dirigeant ne peut se prévaloir que d’une délégation qu’il a lui-même consentie et non pas d’une délégation consentie par un autre dirigeant de l’entreprise. Par contre, une délégation consentie par un organe de l’entreprise, tel qu’un conseil d’administration, bénéficie en principe à tous les membres de cet organe.

Conditions de forme

Il n’est pas requis que la délégation soit établie par écrit et la preuve peut en être apportée par tout moyen. Un écrit est toutefois fortement conseillé. Cet écrit doit documenter en détail la délégation consentie. Une publicité doit être donnée à cet écrit car la délégation est pour le dirigeant un moyen de défense et, à ce titre, c’est à lui d’apporter la preuve de son existence, de sa validité et de son effectivité.

Le délégataire doit être informé de manière précise et détaillée de la nature de la mission qui lui est confiée, des devoirs et responsabilités qui en découlent, ainsi que des risques, notamment pénaux, qui y sont inhérents. Tout ceci doit être effectivement accepté par le délégataire et la preuve d’une telle acceptation incombe au dirigeant délégant.

Effets de la délégation

Si valablement consentie, la délégation peut opérer un transfert de la responsabilité pénale pour les actes relevant de sa mission au délégataire. Pour le dirigeant délégant il s’ensuit une exonération de responsabilité qui, normalement, le met à l’abri d’une condamnation pénale. En effet, la responsabilité pénale ne peut en principe être cumulativement retenue contre le délégant et le délégataire, sauf en cas de participation directe du dirigeant délégant à l’infraction.

Ainsi, le délégataire engage sa responsabilité pénale dans les mêmes termes que le responsable de principe, à savoir le dirigeant délégant, ainsi que sa responsabilité civile à l’égard de tiers victimes de l’infraction. Le délégataire peut néanmoins s’exonérer de sa responsabilité pénale en démontrant que les faits reprochés ne relèvent pas du domaine de la délégation.

Subdélégation

La question de la subdélégation, à savoir la délégation par le délégataire de certains des pouvoirs qui lui ont été conférés par le dirigeant, fût controversée à une certaine époque. Cette subdélégation est aujourd’hui admise. Elle doit répondre aux mêmes critères que la première délégation consentie par le dirigeant lui-même. S’il semble être admis qu’une autorisation du dirigeant à son délégataire de procéder à des sous-délégations n’est pas indispensable, elle est néanmoins conseillée.

Me Ari Gudmannsson, Dispute Resolution/Criminal Law - Arendt & Medernach
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