Conclure un contrat de bail est un acte qui peut s’avérer périlleux, notamment pour le preneur, qui viendra à s’engager sur une période relativement longue et dont l’obligation principale, faut-il le rappeler, est le paiement du loyer à l’échéance. 

Le bailleur et le preneur, suivant la finalité du bien donné en location, devront conclure soit un bail commercial, un bail à usage d’habitation ou un bail professionnel.

Chaque type de bail présente un champ d’application particulier et, pour au moins deux d’entre eux, un régime, relativement, contraignant.

Trop souvent, les parties concluent des baux sans se préoccuper de cette question. Mais en cas de litige, et donc en cas de recours au juge de paix, qui a une compétence exclusive en la matière, indépendamment du montant en cause, il se pourrait que celui-ci requalifie le contrat, et dès lors oppose aux parties un corpus de règles auquel elles n’imaginaient pas être soumises. En effet, le juge doit : « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposées » (article 61 du nouveau Code de procédure civile). Les parties, et notamment le preneur, devront ainsi clairement savoir sous quel régime elles se trouvent.

La finalité du bail : le critère de distinction ?

En fonction de la « finalité » recherchée par le preneur, les parties devront s’engager sur la voie du bail commercial, du bail à usage d’habitation ou du bail professionnel (le bail à ferme étant exclu de notre réflexion).

Un contrat de bail commercial doit être conclu lorsque l’activité exploitée dans les lieux loués est commerciale, industrielle ou artisanale (article 1762-3 du Code civil issu de la loi du 3 février 2018 sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil, ciaprès la « loi de 2018 »).

Il importe de relever que seule l’activité du preneur est à prendre en considération (sous réserve que l’activité envisagée soit, également, possible au regard du plan d’aménagement général en vigueur).

La question fondamentale est dès lors de savoir si l’activité est « commerciale, industrielle ou artisanale ». En apparence, le critère paraît simple. Dans de nombreux cas, savoir si on se trouve dans le cadre d’un bail commercial sera aisé. Ainsi, en présence d’un commerce de détail, il conviendra, sans hésitation, de conclure un contrat de bail commercial. Mais il ne faut pas s’y tromper ! Dans bien des hypothèses, la qualification ne manquera pas d’être discutée. Par exemple, le statut des baux commerciaux doit-il être appliqué à un hall de stockage annexé à un local commercial ? De même, quelle sera la qualification à retenir face à un bail mixte (local commercial comprenant logement) ou face à une agence bancaire ? L’enjeu est de taille, alors que l’application du statut des baux commerciaux, donc des règles impératives le formant, en dépend.

En revanche, un contrat de bail à usage d’habitation doit être conclu lorsque les lieux loués sont à usage d’habitation (article 1er (1) de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation et modifiant certaines dispositions du Code civil) (ci-après la « loi de 2006 »).

Seul un contrat de bail à usage d’habitation pourra être signé en cas de location d’un logement. Là encore, il est habituel (mais hérétique) de voir des professionnels (par exemple des membres de professions libérales : kinésithérapeutes, dentistes, architectes…) signer des baux d’habitation dans le cadre de leur activité professionnelle. De telles pratiques ne devraient plus avoir cours et font courir un réel risque aux parties au contrat et notamment au preneur. Ainsi, par exemple, lorsqu’un kinésithérapeute signe un contrat de « bail à usage d’habitation » dans l’exercice de sa profession, il ne pourra pas se prévaloir des dispositions protectrices de la loi de 2006. En revanche, il sera soumis aux baux professionnels.

En effet, un bail professionnel doit être conclu lorsqu’il ne s’agit ni d’un bail à usage d’habitation, ni d’un bail commercial (étant rappelé que le bail à ferme est exclu). Une association ou un membre d’une profession libérale devra dès lors, dans le cadre de son activité, signer un tel contrat de bail. Une erreur serait de signer un contrat au hasard, sans prendre garde au cadre dans lequel il sera exécuté, cadre qui régira les droits et obligations des parties, autrement dit, qui sera le régime à appliquer.

Le régime applicable : entre contrainte et liberté ?

Les lois de 2006 et de 2018 s’appliquent respectivement aux baux à usage d’habitation et aux baux commerciaux. Chacune des deux lois prévoit des dispositions contraignantes auxquelles les parties ne pourront déroger, sauf à vouloir s’exposer à de sérieux revers.

D’ailleurs, s’agissant du bail commercial, il est à relever que la loi de 2018, précitée, s’applique tant aux contrats conclus avant le 1er mars 2018 (date d’entrée en vigueur de la loi) qu’à ceux conclus après cette date.

Autrement dit, l’ensemble des dispositions figurant dans la loi de 2018, sauf exceptions spécialement prévues dans le texte, s’appliquent à tous les contrats en cours.

Les lois précitées s’inscrivent dans une volonté, au moins affichée, du législateur luxembourgeois de protéger le preneur à travers un régime spécial. Mais il convient de relever que la protection du preneur n’est jamais parfaite. Ainsi, en matière de bail commercial, le preneur verra, malgré le texte, ses droits bien souvent menacés. A l’inverse, les baux professionnels ne bénéficient d’aucun régime propre et se voient dès lors appliquer les articles 1714 à 1751 du Code civil, à savoir les articles formant le socle commun applicable à tous les baux (d’ailleurs, ces mêmes articles régiront les baux commerciaux d’une durée inférieure à une année, le statut des baux commerciaux ne leur étant pas applicable). En d’autres termes, sauf stipulations contractuelles en ce sens, les baux professionnels ne se verront appliquer aucune disposition issue de la loi de 2006 ou de 2018.

La liberté contractuelle : mythe ou réalité ?

Le droit luxembourgeois est un droit éminemment pragmatique, dont la liberté contractuelle est l’un des piliers fondamentaux. Or, comme nous l’avons vu, les lois de 2006 et de 2018 réglementent largement les droits et obligations des parties. Cet encadrement prive-t-il les parties de la possibilité de négocier ? La réponse ne peut être que négative.

Malgré l’encadrement donné par les lois de 2006 et 2018, la liberté contractuelle n’est certainement pas exclue des rapports juridiques régis par ces textes.

La liberté donnée aux parties est, toutefois, moindre que dans le cadre d’un bail professionnel.

Les parties à un contrat de bail à usage d’habitation ou à un bail commercial peuvent toujours organiser leurs rapports contractuels, mais dans le respect des textes applicables (à savoir les lois de 2006 et 2018).

Dans la pratique, les négociations en matière de contrat de bail à usage d’habitation ne dépassent pas, sauf de rares exceptions, la remise en peinture des lieux ou le remplacement de la cuisine équipée. En revanche, en matière de bail commercial, au vu des enjeux notamment financiers, les parties ne manqueront pas de discuter largement les termes du contrat à signer.

En effet, les règles communes à tous les baux et les règles propres aux baux commerciaux sont loin de donner un cadre complet aux parties. A l’inverse, au vu de l’encadrement relativement faible des baux professionnels, les parties ont, assurément, et toujours en application du principe de la liberté contractuelle, une large marge de manoeuvre pour insérer les dispositions de leur choix. Dans ce cadre, les parties, qui veulent conclure un bail professionnel peuvent soumettre, conventionnellement, leur contrat au statut des baux commerciaux.

Ainsi, ce sont des pans entiers des relations contractuelles, au moins pour les baux commerciaux et les baux professionnels, qui se trouvent laissés à la disposition des parties. Citons par exemple, la gratuité que le preneur peut obtenir de son bailleur pour les premiers loyers, les travaux à réaliser, le calcul de l’indemnité d’éviction, le calcul du loyer en cas de renouvellement, la détermination des charges à supporter, l’indexation du loyer… En d’autres termes, les parties au contrat de bail, malgré l’encadrement législatif donné, peuvent toujours organiser leurs rapports. L’exercice sera parfois délicat, tant du point de vue de la négociation que de la rédaction des clauses, mais celui-ci est indispensable.

Me Franck Greff, Avocat à la Cour, FG Avocat
Me Franck Greff, Avocat à la Cour, FG Avocat