Vendre, échanger, prêter, louer, donner, partager... Toutes ces pratiques n’ont rien du Grand Soir socio-numérique. La nouveauté de l’économie du partage réside plutôt dans la vitesse et l’échelle des échanges qui s’opèrent entre des inconnus via des plateformes, générant de « formidables » effets de réseau.

Leur avènement a décuplé les opportunités de rencontre, (quasi) immédiate, entre offre et demande, à coût réduit, ouvrant des marchés où la notion même de propriété se trouve questionnée. Son développement peut être vu comme un moyen, celui de remodeler en profondeur notre façon de concevoir la mobilité, le logement ou encore la consommation de biens, au service d’une fin : le mieux vivre ensemble. Sans être l’apanage des « jeunes » – Millenials, Génération Y ou Z qui vont au travail en trottinette et boivent des latte dans des Repair Cafés, ou non – ni des urbains, les modèles de partage offrent des réponses à des préoccupations qui leur sont chères (respect de l’environnement, quête de sens, gains de pouvoir d’achat, lien social...). Ainsi, malgré une percée encore timide, certaines pratiques sont susceptibles d’adresser de nombreux défis auxquels le Luxembourg en général, sa capitale en particulier, sont confrontés, parmi lesquels :

  • rationalisation des ressources matérielles et spatiales : limitation de la sous-utilisation (biens) et de la sous occupation (bureaux, parkings, logements), réduction des déchets ;
  • mobilité : covoiturage récurrent sur des courtes et moyennes distances (domicile/travail), autopartage ;
  • indépendance énergétique : Internet national de l’énergie (autoconsommation et autoproduction) préconisé dans la stratégie de Troisième Révolution Industrielle ;
  • cohésion sociale : vieillissement, démocratisation (digital engagement tools), socialisation (Système d’Echange Local(1)), plateformes de partage coopératives contrôlées par les utilisateurs, voire sans aucun intermédiaire (via la technologie blockchain donc sans commission à verser aux gestionnaires) ;
  • digitalisation de l’administration (chatbot avec les municipalités sur des problématiques du quotidien) et économies d’échelle (plateformes Government-2-Government (G2G) pour des échanges de matériels par exemple entre autorités publiques).
     

S’adapter à la croissance

Luxembourg-Ville a vu sa population croître de 30 % en 10 ans (+ 25.371 habitants entre 2006 et 2016) à un rythme supérieur à la moyenne nationale, concentrant une part croissante de la population du pays (19 %) et, en outre, des emplois (150.127 personnes en 2012(2), soit près de 40 %).

Face à ces tendances, la Ville doit donc s’assurer du maintien de son attractivité comme lieu de travail autant que de résidence pour des habitants plus mobiles (avec une durée moyenne d'habitation de 6,29 ans contre 16,5 ans en 2006), plus cosmopolites, plus jeunes et plus seuls (51 % des ménages contre 33 % au niveau national)(3). Pour ce faire, elle a besoin de projets urbains innovants dans lesquels l’optimisation de l’espace par le partage est cruciale. Autopartage, covoiturage, vélopartage, colocation, coworking, jardins partagés... De l’auto au bureau en passant par le lavabo, tout semble pouvoir être mis en commun.

A Luxembourg-Ville, 60 % des déplacements internes se font en voiture et des enquêtes récentes montrent que, malgré leur multiplication, la notoriété des dispositifs d’autopartage et de covoiturage reste à y asseoir. Pour l’heure, le glas du règne de la voiture individuelle (et avec chauffeur mais sans covoitureur) n’a résolument pas sonné, même en ville, malgré des efforts du côté des pouvoirs publics comme des entreprises.

Une voiture, ça prend de la place

Ce n’est pas un secret : le Grand-Duché est un champion mondial de la propriété automobile et la tendance ne s’inverse pas (+ 2,6 % par rapport à 2016, + 6 % pour les voitures de société en leasing opérationnel). Haut niveau de revenu, valeur « sociale » du bien, ruralité et éparpillement communal, politique de multimodalité non parachevée, réticences au « partage », les raisons de cette motorisation sont multiples et imbriquées. A Luxembourg-Ville, 60 % des déplacements internes se font en voiture et des enquêtes récentes montrent que, malgré leur multiplication, la notoriété des dispositifs d’autopartage et de covoiturage reste à y asseoir. Pour l’heure, le glas du règne de la voiture individuelle (et avec chauffeur mais sans covoitureur) n’a résolument pas sonné, même en ville, malgré des efforts du côté des pouvoirs publics comme des entreprises.

Si le développement du leasing, consistant à louer un service plutôt qu’à posséder un bien, pourrait être vu comme les prémices d’une économie de la fonctionnalité où l’usage importe plus que la propriété, il demeure loin d’une mesure de promotion de la parcimonie, car il constitue un élément fort de la politique de rémunération individuelle des salariés. Le développement du coleasing automobile entre « carlocataires », en revanche, pourrait être une nouvelle utopie urbaine.

Car, outre sa contribution au respect des engagements internationaux en termes d’émissions de CO2 et de pollution de l’air, un meilleur partage automobile pourrait limiter les embouteillages quotidiens, sources d’une déperdition d’énergie et de temps. Enfin, considérant qu’une automobile demeure inutilisée environ 95 % du temps(4), un réseau de partage des voitures plus efficient, mais aussi des places de parking(5), pourrait induire d’importants gains d’espaces actuellement immobilisés (garages, aires de stationnement, parkings, etc.). A Luxembourg-Ville, on ne dénombre pas moins de 23 parkings (non couverts, souterrains et P+R) totalisant 14.574 places soit une surface totale de plus de 182.175 m2 (souterraine comprise). Il y aurait résolument matière à réaliser des gains d’espace qui permettraient d’atténuer la pression immobilière mais aussi la création de nouveaux espaces de vie.

Dans cette veine, le nouveau Plan d’Aménagement Général de la capitale réduit (un peu) la place laissée à l’automobile en ville (réduction du nombre de places nécessaires par m2 de bureau : 1 pour 175 m2 contre 150 dans le précédent PAG, ou de logement : pas d’obligation de garage dans les maisons unifamiliales, 0,8 place nécessaire par appartement dans les immeubles contre 1 avant et introduction d’un plafond d’1,2 place...).

De même que sa voiture, on partage encore difficilement « sa maison » au Luxembourg (goût de la propriété, caractère rural, absence de besoin de complément de revenus, etc.). Malgré la diminution de la taille des ménages, la surface moyenne des logements, relativement élevée en comparaison européenne, ne diminue pas et, contrairement aux autres pays, ne décroît pas avec l’âge, signe d’un maintien tardif au domicile et d’un attachement aux... fondations.

Optimiser les espaces de vie et de travail

De même que sa voiture, on partage encore difficilement « sa maison » au Luxembourg (goût de la propriété, caractère rural, absence de besoin de complément de revenus, etc.). Malgré la diminution de la taille des ménages, la surface moyenne des logements, relativement élevée en comparaison européenne, ne diminue pas et, contrairement aux autres pays, ne décroît pas avec l’âge, signe d’un maintien tardif au domicile et d’un attachement aux... fondations. Par ailleurs, la « sous-occupation » des logements semble être une norme, affectant près de 60 % des personnes, voire plus de 80 % des plus âgées. Aussi, de louables initiatives de colocation intergénérationnelle ont été initiées. Mais outre les réticences vis-à-vis de cet habitat d’un genre nouveau, la fracture numérique entre les générations peut limiter les possibilités de mises en relation. Plus généralement, en plus de gains d’espaces, la colocation est une bonne manière de créer du lien social dans des villes où la « solitude », choisie ou subie, tend à s’imposer.

Comme les lieux de vie, les espaces de travail se partagent(6), s’entremêlent parfois à plus ou moins bon escient. Le crowdsourcing de l’espace, en réduisant les surfaces occupées, et son pendant discutable de salariés SBF (Sans Bureau Fixe), peut permettre aux entreprises de réduire certaines charges de structure (coût de l’immobilier, frais d’entretien, chauffage, électricité, eau, etc.) mais aussi d’offrir à des jeunes/petites entreprises des espaces de travail à moindre coût pour répondre à des besoins ponctuels.

Les motifs économiques, écologiques et sociaux ainsi que les technologies ne manquent donc pas pour nous inciter à la parcimonie comme au partage des ressources, mais le principal frein à son essor demeure « l’habitude ». Aussi, toutes les « mesures incitatives et attractives à même de réduire le coût des efforts cognitifs dans le changement de comportement » sont les bienvenues (Conseil économique et social).

Enfin, en ville aussi les jardins se cultivent... et se partagent(7). Alors, puisque les incantations sont de bon ton en période pré-électorale : faisons-en de même !

Sarah Mellouet, Economiste, Fondation IDEA asbl
Sarah Mellouet, Economiste, Fondation IDEA asbl

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