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Femmes de l’histoire et histoires de femmes

Le 26 mars dernier à la Chambre de Commerce a eu lieu le vernissage de l’exposition Femmes Pionnières de l’Entrepreneuriat au Luxembourg. Plus de 150 personnes avaient répondu à l’invi-tation des Ambassadrices de l'entrepreneuriat féminin au Luxembourg (FEALU) et initiatrices de ce projet, Joëlle Letsch, Netty Thines et Domenica Fortunato, pour découvrir les portraits de 12 femmes qui ont eu l’audace de braver les conventions de leur époque. Entretien avec Joëlle Letsch et Netty Thines.

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Les organisatrices de l’exposition et membres de la FEALU avec la secrétaire d’Etat à l’Economie. De g. à dr. : Domenica Fortunato, associée et gérante technique, Jean Fortunato S.à r.l. ; Francine Closener, secrétaire d’Etat à l’Economie ; Joëlle Letsch, Managing Director, ADT-Center ; et Netty Thines, administrateur délégué, Mediation S.A..

Quelle a été votre motivation pour monter un tel projet ?

En tant que membres du réseau FEALU (voir encadré) et cheffes d’entreprise, nous nous sommes posé la question de savoir qui étaient les femmes entrepreneurs qui nous ont précédées, qui ont ouvert la voie à l’entrepreneuriat féminin au Luxembourg depuis le début de l’ère industrielle. Nous n’avions pas l’ambition de couvrir le sujet comme des historiennes, mais bien celle de mettre en lumière et de valoriser le parcours de ces femmes admirables qui, faisant fi des mentalités de l’époque, sont sorties du rôle traditionnel de la femme pour mener de front leur entreprise et élever leurs enfants. Ces femmes n’avaient ni droit de vote, ni compte en banque et pourtant elles ont eu le courage d’aller à l’encontre des idées reçues et de tenter l’aventure, certaines par un simple concours de circonstances, d’autres par nécessité financière ou par ambition personnelle. Nous espérons surtout que leur témérité soit une source d’inspiration pour les jeunes générations.

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Pour trouver ces 12 femmes, comment avez-vous travaillé ?

Ce fut un long travail d’investigation qui a demandé plus ou moins deux ans. Les archives sont peu nombreuses et les informations n’ont pas été faciles à trouver. En lançant des appels via nos réseaux respectifs, nous avons récolté des témoignages. Ainsi, nous avons pu identifier des femmes pionnières, recouper différentes informations et surtout contacter les familles qui, en nous livrant de précieux renseignements sur leurs illustres ancêtres, nous ont beaucoup aidées. Nous avons également été soutenues dans nos recherches par des historiennes comme Josiane Weber et Sylvie Martin. En parallèle, nous avons réalisé un site Internet, http://femmespionnieres.lu, sur lequel nous aimerions publier d’autres portraits car, suite à cette exposition, nous souhaitons réaliser un livre sur la place de la femme dans l’entrepreneuriat depuis le début du XIXe siècle. Nous sommes donc à la recherche de nouveaux témoignages (1).

Vous avez conçu cette exposi-tion pour qu’elle soit itinérante. Pour quelles raisons?

En effet, c’était important pour nous que cette exposition puisse tourner dans différents lieux afin de sensibiliser et d’informer le plus grand nombre sur ce sujet, de susciter des vocations chez les plus jeunes ou encore d’encourager les femmes à se lancer. Nous avons déjà reçu beaucoup de demandes de la part des écoles, des communes, des chambres professionnelles, des ministères et même des maisons de retraite pour accueillir cette exposition, et nous en sommes très heureuses. En tant qu’ambassadrices de l’entrepreneuriat, nous souhaitons sensibiliser à la diversité et au rôle de la femme dans l’entreprise, en entrant en contact avec différents publics. Et ces femmes pionnières nous offrent un magnifique tremplin pour le faire et un beau message d’encouragement.

Barbe Peckels
1836-1906, mariée, 3 enfants
Propriétaire de La Gaichel, gérance de 1852 à 1906

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De g. à dr. : Claudine Gaul-Jacquemin et sa fille Céline Guillou-Gaul.

Fille de ferme, Barbe ne bénéficie pas d’un parcours scolaire particulier. Très travail-leuse, habile de ses mains et d’un caractère bien trempé, elle a un don pour la cuisine. Barbe épouse le cocher du Château de Guirsch, Jean-Baptiste Dhuren, avec lequel elle fonde le Saegemuele, grâce à de l’argent prêté par le baron, employeur de son époux. Ils rachètent une maison en construction au lieu-dit La Gaichel. Tous deux y entreprennent l’exploitation d’une ferme auberge où les randonneurs viennent déguster une cuisine simple, mais basée sur les délicieux produits régionaux.

Depuis sa fondation, le Domaine de La Gaichel s’est toujours transmis de mère en fille. La gestion de l’entreprise familiale en est donc à la 6e génération. En plus d’un hôtel de luxe et d’un hôtel de charme, le restaurant gastronomique compte une étoile au Guide Michelin 2015.

Source – Famille Guillou-Gaul

Claire Ernster-Kihn
1890-1983, mariée, 3 enfants – Libraire, gérance de 1939 à 1956

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La famille Ernster.

Au début du 20e siècle, les femmes n’ayant pas le même accès aux études que les garçons, Claire ne peut continuer ses études. Elle s’occupe de sa mère malade, l’aide dans l’éducation de ses cinq frères et sœurs ainsi que dans la gestion du ménage. Dans les années 30, présente aux côtés de son époux dans la vie de la librairie, elle reprend comme tant d’autres femmes de son époque la succession de l’entreprise au décès de son mari. Transférée de force en Allemagne en 1944, elle subit les affres de la guerre, mais maintient la librairie à flot. Claire cède ensuite les rênes à son fils Pierre en 1956, mais n’en reste pas moins très impliquée dans l’entreprise qu’elle a dirigée pendant presque 20 ans, se faisant un devoir d’être présente à chaque inventaire et événement important de la boutique.

C’est la 4e génération de la famille, incarnée par Fernand Ernster, qui dirige aujourd’hui le groupe. L’entreprise compte 70 collaborateurs et a fêté son 125e anni-versaire en 2014.

Source-Famille Ernster

Mary Keiser-Miller
1910-2004, mariée, 3 enfants – Coiffeuse, gérance de 1928 à 1968

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La famille Ferber.

Mary, une petite Américaine orpheline, est adoptée par des parents luxembourgeois et rejoint le Grand-Duché en 1917. Elle passe toute son enfance à Bascharage. Très avide d’apprendre un métier, Mary se passionne pour la coiffure, reçoit son diplôme et suit de nombreuses formations professionnelles. Elle ouvre son salon en 1928 à Bascharage et ne compte pas ses heures. En 1968, sa fille Léa, également coiffeuse, se joint à l’aventure et fait perdurer la tradition. L’entreprise se développe et c’est en 1982 qu’elle se transmet à la 3e génération : son petit-fils, Jean-Marie, reprend le petit salon familial.

Aujourd’hui, Jean-Marie Ferber est à la tête de Ferber Group, une entreprise qui compte quelque 150 collaborateurs et qui a reçu de nombreux prix dont, entre autres, le Prix féminin de l’entreprise décerné par le ministère de l’Egalité des chances en 1996 et le Prix de l’Innovation dans l’Artisanat en 2010.

Source-Famille Ferber

Propos recueillis par Isabelle Couset
(1) Tous les témoignages concernant des femmes pionnières sont les bienvenus auprès de Joëlle Letsch (joelle.letsch@adt-center.lu) et/ou Netty Thines (n.thines@mediation-sa.lu).