Le Grand-Duché de Luxembourg est ce qu’il convient d’appeler une « démocratie de propriétaires » où faire l’acquisition de sa résidence principale est un marqueur social déterminant du sentiment de pleine et entière appartenance à la « classe moyenne ». Par conséquent, tout résident du pays qui estime faire partie de la classe moyenne a une pierre dans le ventre et, s’il n’est pas encore propriétaire, aspire – en principe – à le devenir au même titre que ses parents, ses amis, ses collègues de bureau, ses voisins, etc.

Mais alors que près de 70 % des ménages sont propriétaires (47 % des familles monoparentales, 56 % des ménages unipersonnels, 80 % des Luxembourgeois, 50 % des résidents étrangers), les nouveaux ménages de la classe moyenne (immigrés, expatriés, jeunes désireux de quitter le domicile familial, Luxembourgeois retournant dans leur pays après avoir fait des études à l’étranger, divorcés) ressortent comme étant de moins en moins en capacité financière de rejoindre les rangs de la « démocratie de propriétaires » dans les conditions (prix immobiliers, taux d’intérêt, revenus, aides à l’acquisition) actuelles.

Ainsi, un couple avec le projet de fonder une famille avec enfant(s) et souhaitant acheter un logement disposant de 2 chambres devra(it) débourser en moyenne 700.000 EUR. Avec 10 % d’apport (70.000 EUR), un crédit contracté sur 25 ans à 5 % (mensualité de 3.682 EUR) et en fixant le taux d’effort du couple à 40 %, il lui faudra disposer d’au moins 110.000 EUR de revenus nets par an ; or moins de 25 % des ménages imposés collectivement sont dans cette situation.

Que l’augmentation en mars 2023 du plafond du crédit d’impôt en matière de droits d’enregistrement (Bëllegen Akt) de 20.000 à 30.000 EUR (de 40.000 à 60.000 EUR pour un couple) dans le cadre du Solidaritéitspak 3.0 n’ait in fine coûté au titre de l’exercice budgétaire 2023 que 34 millions EUR, contre 75 millions EUR projetés, est exemplaire du fait que le nombre de ménages avec un pouvoir d’achat immobilier constituant une demande solvable est relativement réduit.

Un territoire sensiblement plus locatif que par le passé

Sans minimiser l’impact positif potentiel des mesures de soutien à l’accession à la propriété contenues dans le paquet logement présenté le 31 janvier 2024 – ni de celles qui seront éventuellement prises à l’avenir –, il apparaît désormais hautement probable que le Grand- Duché devienne progressivement, à l’instar des principales villes européennes, un territoire sensiblement plus locatif que par le passé.

Alors que le logement demeure l’investissement par excellence (pour des raisons sociales, patrimoniales et sentimentales) de la classe moyenne et qu’une démocratisation du « propriétariat » a été possible par le passé(1), le devenir locatif du Grand-Duché, où il est projeté une croissance démographique soutenue, pourrait aller de pair avec des tensions croissantes entre insiders (propriétaires, notamment des ménages relativement âgés vivant dans des logements sous-occupés) et outsiders (locataires sans perspectives de devenir propriétaires, notamment des jeunes désirant fonder une famille).

Aussi, puisqu’à chaque locataire devra correspondre un bailleur, le pays aura besoin d’investisseurs locatifs en nombre important. À cet égard, certains éléments qui laissent augurer un développement non assez soutenu de l’offre locative sont de nature à précipiter des débats socio-économiques houleux :

  • le rendement locatif apparent (loyers demandés/prix immobiliers affichés) ne s’élève en moyenne qu’à 3,5 % dans le pays : revient-il à l’État d’augmenter le rendement locatif des bailleurs via des dépenses fiscales ? Les prix immobiliers devraient-ils reculer afin de permettre des rendements locatifs plus importants ? Les loyers sont-ils trop faibles compte tenu des efforts consentis par les bailleurs en termes de prix d’acquisition ?
  • sur les 3 premiers trimestres de l’année 2023, les ventes en état futur d’achèvement à des investisseurs locatifs ont reculé de près de 70 % et le nombre de logements existants proposés à la location s’inscrit en retrait de près de 20 % par rapport à la même période de l’année précédente : compte tenu de cet important déficit locatif en cours et en perspective, la politique du logement abordable ne devrait-elle pas se cantonner à la location ?

Proportion de locataires dans plusieurs villes européennes et au Luxembourg

Source : Eurostat
Source : Eurostat

Sans minimiser l’impact positif potentiel des mesures de soutien à l’accession à la propriété contenues dans le paquet logement présenté le 31 janvier 2024 – ni de celles qui seront éventuellement prises à l’avenir –, il apparaît désormais hautement probable que le Grand-Duché devienne progressivement, à l’instar des principales villes européennes, un territoire sensiblement plus locatif que par le passé. Aussi, puisqu’à chaque locataire devra correspondre un bailleur, le pays aura besoin d’investisseurs locatifs en nombre important.

Photo-Jenn Miranda/Shutterstock
Photo-Jenn Miranda/Shutterstock

Conclusion

Le Luxembourg connaît actuellement une importante crise de sous-transactions immobilières (c’est-à-dire une chute importante du nombre de ventes de logements existants ou neufs) augmentée de difficultés croissantes dans le secteur de la construction (notamment faillites d’entreprises et licenciements). Parvenir à redynamiser le marché immobilier/ relancer le secteur de la construction, et il le faut, ne sera pas chose aisée. Mais une fois cette mission accomplie, le gouvernement se trouvera, en principe, face à un dilemme de taille : oeuvrer à préserver la « démocratie de propriétaires » ou acter sa fin et accompagner, voire précipiter, le devenir locatif du Grand-Duché !

(1) Le taux de propriétaires est passé de 56 % en 1971 à 70 % en 2021.

Michel-Edouard Ruben Senior Economist Fondation IDEA asbl
Michel-Edouard Ruben Senior Economist Fondation IDEA asbl