Passionnée par le monde pénitentiaire, la délinquance et la criminologie, Caroline Lieffrig est aujourd’hui directeur adjoint de l'Administration pénitentiaire. Elle évoque pour entreprises magazine son parcours et ce qui l’anime au quotidien dans l’exercice de ses fonctions.

Quel a été le parcours qui vous a amenée à occuper ce poste de directeur adjoint de l'Administration pénitentiaire ?

Après avoir commencé des études en psychologie, je me suis spécialisée dans la criminologie et la victimologie. Mes diplômes en poche, j’ai intégré l’Administration pénitentiaire en 1999. J’ai alors été affectée au secrétariat général des établissements pénitentiaires, avant d’occuper le poste d’attachée, afin d’assister le délégué du procureur général d’État dans la coordination et la surveillance des établissements pénitentiaires au Luxembourg. Dans le cadre de mon affectation partielle au Centre pénitentiaire de Givenich, je me suis plus particulièrement occupée de la gestion des détenus, de la discipline et du comité de guidance.

J’ai également été déléguée à la formation qui consiste à gérer et coordonner la formation des agents affectés à notre Administration, en collaboration avec l’Institut National de l’Administration Publique (INAP). J’ai aussi supervisé les Ressources humaines et suivi beaucoup de projets, notamment la mise en place de conventions avec les centres hospitaliers de Luxembourg et d’Ettelbruck afin que les détenus puissent bénéficier de la médecine somatique et psychiatrique en milieu pénitentiaire. Ces fonctions de coordination et de supervision m’ont permis de renforcer mes compétences en matière de gestion publique d’une administration. C’est ainsi que depuis 2018 j’occupe le poste de directeur adjoint.

Caroline Lieffrig, directeur adjoint, Administration pénitentiaire. Photo-Jessica Theis
Caroline Lieffrig, directeur adjoint, Administration pénitentiaire. Photo-Jessica Theis

En quoi consiste cette fonction peu médiatisée ? Quelles sont vos missions ?

Dans ma fonction actuelle, j’assiste le directeur dans l’accomplissement de ses tâches, je le seconde et le remplace en cas de besoin. Mes attributions consistent à appliquer la politique pénitentiaire qui est déterminée par le ministère de la Justice, à élaborer et évaluer des projets, à coordonner les centres pénitentiaires en matière budgétaire, financière et de ressources humaines. La surveillance et l’inspection interne des centres font également partie de nos activités. Finalement, je suis en charge des recours administratifs en matière disciplinaire des détenus devant le directeur de l’Administration pénitentiaire.

Qu’est-ce qui vous a poussée à rejoindre l’Administration pénitentiaire ? C’est un choix de carrière qui peut sembler étonnant…

J’ai toujours eu un très grand intérêt pour la genèse de la délinquance et du crime ainsi que pour le monde pénitentiaire. La criminologie est une discipline pluridisciplinaire enseignant, entre autres, le droit pénal, la psychologie, la sociologie et le droit pénal des mineurs. L’institution pénitentiaire reflète également cette multiplicité. Il s’agit d’un monde très complexe où, parfois, diverses disciplines s’entrechoquent et se rejoignent, notamment à travers la prise en charge, le traitement et l’encadrement des détenus. Dans ce contexte, le défi consiste à unifier, au sein d’une même institution, ces diverses disciplines – médecine, psychologie, travail social, encadrement éducatif, formation, etc. –, et ce afin d’accompagner le détenu de manière humaniste et dans le respect des droits de l’Homme, de garantir au mieux sa réinsertion sociale et de protéger la société.

Quels sont les aspects de votre métier qui vous plaisent tout particulièrement ?

Ce sont les défis journaliers qui se présentent à nous. L’Administration pénitentiaire est une organisation très vivante, au Caroline Lieffrig, directeur adjoint, Administration pénitentiaire. Photo-Jessica Theis mai/juin 2021 23 Entreprendre au féminin sein de laquelle beaucoup de questions et de problèmes peuvent se poser de manière inattendue. Il faut donc être capable de gérer des situations de crise, faire preuve de réactivité et d’adaptation.

J’apprécie aussi beaucoup mener des recherches dans le cadre du développement de nouveaux projets, notamment afin de faire avancer la réforme pénitentiaire. J’ai aussi la chance d’être entourée d’une équipe pluridisciplinaire en charge des différents domaines de notre Administration (Service juridique, Ressources humaines, Communication, Criminologie et Recherche, Finances). C’est un travail très varié. Il n’y a aucune monotonie et c’est ce qui me plaît.

« Si j’ai rencontré des difficultés durant mon parcours, j’ai toujours cherché à les surmonter grâce à mes compétences et mes expériences. C’est pour moi le meilleur moyen d’avancer. »

Quels sont vos souhaits, vos ambitions pour les années à venir ?

Beaucoup de projets doivent encore être implémentés pour améliorer la détention et le milieu pénitentiaire au Luxembourg. En matière de pénologie, nous devons réussir à changer de paradigme et à professionnaliser davantage la prise en charge des détenus. En tant qu’institution, nous avons parfois tendance à nous centrer sur le fonctionnement même de cette institution et à perdre de vue l’objet de nos missions, à savoir le détenu. Il est important de toujours replacer le détenu au centre de nos préoccupations.

Il me tient également particulièrement à coeur de valoriser les tâches de nos collaborateurs, peu visibles au sein de la société alors qu’ils réalisent un travail exceptionnel et éprouvant. Nous devons parvenir à mieux mettre en avant leur travail accompli au quotidien et, dans un effort continu, tenter d’améliorer leurs conditions de travail.

Votre fonction doit être particulièrement prenante. Quelles sont vos échappatoires ?

Ma famille, qui est toujours très présente, est un grand pilier. Pour préserver son équilibre, je pense qu’il est aussi important de s’épanouir dans des activités en dehors du travail, même s’il n’est pas toujours facile de dégager le temps nécessaire pour y parvenir. À titre personnel, je trouve par exemple beaucoup de réconfort dans la course à pied, le piano et la lecture.

L’Administration pénitentiaire est-elle un milieu davantage masculin que féminin ? Quelles sont les éventuelles difficultés que vous avez pu rencontrer en tant que femme ?

Au début de ma carrière, en effet, le monde pénitentiaire était davantage masculin que féminin mais l’Administration a évolué au fil des ans. Aujourd’hui, beaucoup de femmes y revêtent des fonctions dirigeantes ou des postes à responsabilités particulières. Depuis le 1er février, c’est par exemple une femme qui est aux commandes du Centre pénitentiaire de Luxembourg. Si j’ai rencontré des difficultés durant mon parcours, j’ai toujours cherché à les surmonter grâce à mes compétences et mes expériences. C’est pour moi le meilleur moyen d’avancer.

« Il y a vingt ans, je n’aurais jamais imaginé me retrouver ici aujourd’hui. Au cours d’un parcours professionnel, des opportunités se présenteront toujours à vous. À chacun et chacune de les saisir. »

Comment vous définiriez-vous en tant que directeur et manager ?

J’attache une grande importance à l’atteinte des objectifs et au respect des procédures. Mais je suis aussi très à l’écoute de mes collègues. Pour moi, il est essentiel, en tant que manager, de parvenir à déléguer et à responsabiliser chaque personne, de prendre en considération les idées de chacun et d’impliquer les membres de l’équipe dans le processus de prise de décisions. C’est ainsi qu’une confiance mutuelle peut s’installer. Je privilégie donc toujours l’approche participative.

Quel regard portez-vous sur les femmes dirigeantes au Luxembourg ?

Ces dernières années, de plus en plus de femmes occupent des postes importants dans le pays. C’est une évolution très positive, témoignant que les femmes disposent de très bonnes compétences et formations. C’est aussi le signe et la preuve qu’il est tout à fait possible de concilier vie familiale et vie professionnelle, que les femmes n’ont aujourd’hui plus à faire un choix et peuvent s’épanouir dans ces deux pans de leur vie.

Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui souhaiteraient s’inspirer de votre parcours ?

J’ai fait le choix d’études puis d’une carrière assez spécifiques, qui restent marginales aux yeux de la société. Je dirais donc qu’il ne faut pas se laisser influencer par les éventuels préjugés et suivre ses propres passions et envies. Il faut aussi garder à l’esprit que tout est possible. Quand j’ai intégré l’Administration, le poste que j’occupe désormais n’existait pas (NDLR : la fonction de directeur adjoint a été créée en 2018 suite à la réforme de l’Administration pénitentiaire).

Il y a vingt ans, je n’aurais donc jamais imaginé me retrouver ici aujourd’hui. Au cours d’un parcours professionnel, des opportunités se présenteront toujours à vous. À chacun et chacune de les saisir.

Propos recueillis par Jeanne Renauld