L’employeur est légalement tenu de supporter les risques engendrés par l’activité de son entreprise, parmi lesquels nous retrouvons la maladie du salarié. Pour autant, l’absentéisme habituel pour cause de maladie cesse d’être analysé comme un risque inhérent à toute entreprise et peut parfois justifier le licenciement du salarié.

Conformément à l’article L. 121-6 du Code du travail, le salarié incapable de travailler pour cause de maladie ou d’accident est protégé contre le licenciement s’il a respecté une double obligation : (i) il a informé son employeur de son incapacité de travail le 1er jour de son absence, et (ii) il a fait parvenir à son employeur un certificat médical, lequel doit être reçu au plus tard le 3e jour de l’absence.

Cette protection n’est toutefois pas absolue puisqu’elle est limitée à une période de 26 semaines au plus, à partir de la survenance de l’incapacité de travail.

Lorsque la protection contre le licenciement cesse, l’employeur retrouve son droit de licencier, mais encore faut-il qu’il dispose d’un motif réel et sérieux de licenciement. Si la maladie en tant que telle n’est pas un motif valable de licenciement, la désorganisation du service découlant d’un absentéisme habituel pour raison de santé peut l’être.

La désorganisation du service découlant d’un absentéisme habituel pour raisons de santé comme motif valable de licenciement

Il résulte d’une jurisprudence constante que l’absentéisme habituel (encore appelé « absentéisme chronique ») du salarié pour raison de santé peut être une cause réelle et sérieuse de rupture du contrat de travail lorsqu’il apporte une gêne indiscutable au fonctionnement de l’entreprise(1).

Ainsi, les tribunaux considèrent que l’employeur ne peut plus compter sur la collaboration régulière du salarié lorsque ce dernier a totalisé un certain nombre d’absences et que la durée ou la fréquence anormale de ces absences a entraîné une véritable perturbation de l’entreprise. Dans une telle situation, le licenciement qui serait prononcé pourrait être justifié.

Il faut alors considérer que l’absence du salarié cause un risque anormal à l’entreprise, que l’employeur n’a dès lors plus à supporter.

À ce titre, la Cour d’appel a récemment rappelé que « dans le cadre des relations de travail, la présence du salarié est le principe tandis que les absences sont l’exception », le salarié ayant « l’obligation de travailler en contrepartie du salaire qu’il perçoit »(2).

Pour être considéré comme un motif valable de licenciement, au-delà du fait que les absences doivent être habituelles, elles doivent en outre entraîner une perturbation pour la bonne marche de l’entreprise :

  • des absences habituelles ou chroniques. Par absentéisme chronique, il faut entendre un absentéisme qui dure (périodes d’absence longues et successives) ou qui se répète (périodes d’absence nombreuses et répétées). En effet, la jurisprudence en matière d’absentéisme habituel vise aussi bien des absences courtes, espacées dans le temps que des périodes d’absence longues et successives. La Cour d’appel a eu l’occasion de rappeler ce principe dans une décision du 22 mai 2014(3) en déclarant justifié le licenciement d’un salarié absent « durant plusieurs périodes d’incapacité successives » totalisant une durée de 5 mois ;
  • la perturbation de l’entreprise. Des absences longues ou nombreuses et répétées n’impliquent pas à elles seules une atteinte à la bonne marche de l’entreprise. Cette dernière doit en principe être prouvée par l’employeur, sauf lorsque le contexte permet de la présumer. Ainsi, au-delà de la durée et/ou de la fréquence des absences, les juridictions examinent également la « gravité » des répercussions qu’ont entraîné les absences du salarié sur l’activité de l’entreprise, et vérifient particulièrement si elles ont occasionné une gêne indiscutable apportée au fonctionnement de l’entreprise (il est également très souvent fait référence à la désorganisation des services de l’entreprise). La « gêne indiscutable » est appréciée au cas par cas par les tribunaux selon divers facteurs et notamment : 
    - l’irrégularité des absences et leur imprévisibilité pour l’employeur ;
    - le pronostic quant à l’évolution future de la maladie (l’employeur peut-il s’attendre à un retour définitif du salarié, ou au contraire, à une prolongation durable de l’absence en raison d’un diagnostic négatif ?) ;
    - la position occupée par le salarié dans l’entreprise (certains salariés sont plus difficiles à remplacer que d’autres, notamment en raison de qualifications particulières(4))
    - l’attitude du salarié : respecte-t-il son obligation d’informer l’employeur ? Prend-il soin d’informer des éventuelles prolongations de son absence en
    amont ?(5)
    - la taille de l’entreprise : il est souvent plus délicat pour une petite entreprise de faire face à une absence chronique que pour une société plus grande.

En matière de droit du travail, il incombe traditionnellement à l’employeur d’apporter la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement. En conséquence, en situation d’absentéisme habituel, il lui appartient notamment de prouver que l’absentéisme habituel de son salarié a désorganisé les services de l’entreprise.

Par exception à ce principe, la jurisprudence admet parfois l’existence d’une présomption de désorganisation de l’entreprise lorsque la durée des absences mais aussi leur caractère irrégulier et imprévisible empêchent l’employeur de compter sur la collaboration régulière et efficace du salarié. En d’autres termes, la charge de la preuve est renversée, et c’est alors au salarié de démontrer que son absence n’a pas contribué à désorganiser les services de l’employeur.

Un arrêt de la Cour d’appel de 2015(6) illustre parfaitement cette situation : il est possible de présumer de la perturbation de l’entreprise « si la fréquence des absences est telle qu’elle ne permet plus à l’employeur de compter sur une collaboration régulière et efficace de son salarié » ; la Cour y ajoute même que « décider le contraire […] reviendrait à affirmer que l’employeur n’emploierait que des salariés inutiles n’ayant aucun travail à effectuer ».

Dans un autre arrêt plus ancien, la Cour est même allée plus loin en indiquant que l’employeur « n’était toutefois pas obligé de préciser en quoi le fonctionnement du service était perturbé » dans la mesure où « il va de soi que l’absence d’un salarié – dont l’engagement auprès d’un employeur s’explique par la nécessité de sa présence au poste de travail et de l’exécution des tâches lui incombant – constitue une cause de perturbation du fonctionnement du service »(7). Cette décision semble néanmoins isolée, de telle sorte qu’elle ne doit sans doute pas servir de référence à elle seule.

Quelles que soient les décisions rendues par les juridictions luxembourgeoises, il ne saurait en être tiré une quelconque règle générale : en effet, les juges apprécient toujours souverainement le critère de l’impossibilité pour l’employeur « de compter sur la collaboration régulière et efficace du salarié », condition sine qua non de l’application de la présomption de perturbation du service. Plusieurs affaires récentes permettent d’en donner l’illustration :

  • dans une décision du 21 décembre 2017(8), la Cour d’appel n’a pas fait application de la présomption au motif que (i) les absences de la salariée n’étaient pas imprévisibles (elle avait révélé sa pathologie à l’employeur qui pouvait donc s’attendre à une longue absence) et (ii) l’employeur disposait d’un fonds de ressources humaines suffisant pour faire face aux absences de la salariée.
  • À l’inverse, dans deux décisions, encore plus récentes, la Cour a considéré que le contexte permettait de présumer de la désorganisation du service : 
    - dans la première affaire du 25 janvier 2018(9), la salariée, seule déléguée commerciale de l’entreprise, a été absente durant 145 jours ouvrables au cours des 19 mois durant desquels elle était au service de la société. La Cour d’appel a retenu que l’employeur « n’avait pas de certitude ou d’expectative raisonnable de pouvoir compter sur la présence et la prestation de travail de la salariée ». Au vu de la durée des absences de la salariée et du fait qu’elle était la seule déléguée commerciale de l’entreprise, son licenciement a été déclaré justifié ;
    - dans la seconde affaire du 6 juin 2019(10), le salarié comptabilisait une période d’absence discontinue d’au moins 142 jours sur une période de travail d’environ 6 mois. La Cour d’appel a estimé que ces absences étaient telles « qu’elles n’étaient plus à considérer comme un risque normal à supporter par toute entreprise, mais comme une cause sérieuse de résiliation du contrat de travail ». La désorganisation de l’entreprise était donc également présumée.

Il y a toutefois lieu de rappeler que la présomption de désorganisation de l’entreprise n’est pas une règle : à l’occasion d’un licenciement pour absentéisme habituel, l’employeur demeure soumis à l’obligation légale d’en donner les motifs. Ainsi, la jurisprudence concernant la présomption de désorganisation de l’entreprise n’a aucunement vocation à conférer à l’employeur un blanc-seing pour licencier le salarié absent pour raison de santé.

Les modalités du licenciement pour absentéisme habituel

Le licenciement pour absentéisme chronique ne peut être prononcé qu’avec préavis, la jurisprudence n’admettant pas qu’une absence prolongée puisse constituer une faute grave : « Dès lors que […] l’absence était justifiée par des certificats médicaux, elle n’a pas pu, aurait elle-même entraîné une perturbation dans l’organisation de l’entreprise, constituer un fait ou une faute rendant immédiatement et définitivement impossible le maintien des relations de travail »(11).

Par ailleurs, il est important de distinguer deux sortes de situation :

  • lorsque les périodes d’absence sont longues et successives, le licenciement avec préavis devra être prononcé à l’issue de la période de protection contre le licenciement (26 semaines), et ce même si le salarié reste absent de façon justifiée(12) ;
  • lorsque les périodes d’absence sont nombreuses et répétées, le licenciement ne pourra intervenir que durant une période où le salarié est de retour au travail et n’est dès lors plus en période de protection. 

En outre, certains éléments sont de nature à remettre en cause le bien-fondé du licenciement pour absentéisme habituel :

  • par exemple, la jurisprudence a retenu qu’un employeur qui avait toléré les absences d’une salariée durant dix ans ne saurait ensuite se prévaloir de son absentéisme chronique (13). En effet, le licenciement pour absentéisme habituel doit être notifié au salarié dans un délai raisonnable ;
  • de la même façon, un nombre important de décisions retiennent qu’il n’est pas possible de licencier un salarié pour absentéisme habituel si la maladie qui a causé les absences tire son origine dans l’activité professionnelle(14), et notamment si elle est en lien avec les conditions de travail (par exemple : harcèlement moral). Ainsi, en cas d’absence causée par une maladie professionnelle ou un accident du travail reconnu(e) comme tel(le), tout licenciement pourrait donner lieu à une condamnation de l’employeur en raison de son caractère injustifié.

Au vu des développements qui précèdent, le licenciement pour absentéisme habituel doit être appréhendé comme une mesure plutôt exceptionnelle qui n’est justifiée que par la conversion d’un risque « normal » inhérent à l’entreprise vers un risque jugé « anormal », que l’employeur n’est plus tenu de garder à sa charge.

Compte tenu des enjeux en présence, il apparaît essentiel de maîtriser les risques liés à l’état de santé des salariés. Une telle maîtrise peut se traduire par la mise en oeuvre de mesures préventives (suivi des incapacités de travail pour tenter de détecter d’éventuelles absences régulières, discussions informelles avec les salariés concernés afin de comprendre si l’activité professionnelle peut être à l’origine de la maladie du salarié). La prévention évitera parfois à l’employeur d’en arriver à des situations extrêmes, ce qui sera bénéfique tant pour le salarié concerné que pour l’entreprise.

Me Cindy Arces, Managing Partner, Employment,PwC Legal
Me Cindy Arces, Managing Partner, Employment,PwC Legal
Me Sabrina Alvaro, Counsel, Employment,PwC Legal
Me Sabrina Alvaro, Counsel, Employment,PwC Legal

(1) CSJ, 01.07.1999, n ° 22910 du rôle.
(2) CSJ, 06.06.2019, n° 28459 du rôle.
(3) CSJ, 22.05.2014, n° 39989 du rôle.
(4) Par exemple, CSJ, 12.03.2015, n° 40838 du rôle : un agent de sûreté étant un salarié certifié, il ne peut pas être remplacé par n’importe quel autre salarié.
(5) CSJ, 11.05.2017, n° 43240 du rôle.
(6) CSJ, 07.05.2015, n° 40906 du rôle.
(7) CSJ, 24.02.2005, n° 28063 du rôle.
(8) CSJ, 21.12.2017, n° 44328 du rôle.
(9) CSJ, 25.01.2018, n° 43612 du rôle.
(10) CSJ, 06.06.2019, n° CAL-2018-00273.
(11) CSJ, 14.03.2013, n° 38238 du rôle.
(12) Article L.121-6 (3) du Code du travail.
(13) CSJ, 04.07.2013, n° 29381 du rôle.
(14) CSJ, 21.06.2007, n° 31728 du rôle ; voir également : CSJ, 18.05.2015, n° 39404 ; CSJ, 13.07.2017, n° 43021.