Les entreprises familiales(1) constituent à Luxembourg une composante essentielle de l’économie. Selon les données de la House of Entrepreneurship, le tissu économique luxembourgeois est en effet composé d’une majorité d’entreprises familiales, qu’elles soient commerciales, artisanales ou industrielles.

La transmission de ces entreprises constitue donc un enjeu sociétal majeur. Qui le deviendra d’autant plus au cours des 10 ans à venir en raison du fait que de nombreux dirigeants d’entreprises familiales atteindront graduellement l’âge de la pension durant cette période. Selon la House of Entrepreneurship toujours, il est en effet prévu que 1/3 des entreprises luxembourgeoises changeront de main au cours des 10 ans à venir, dont pas moins de 2/3 d’entreprises familiales et 25 % d’entre elles dans les 5 ans.

Hélas, un nombre élevé de dirigeants d’entreprises familiales continuent de tarder à anticiper la fin de leurs activités. Notamment en ne se préoccupant pas assez tôt d’organiser leur succession interne et/ou de chercher un repreneur. Or, la transmission d’une entreprise est un processus qui prend du temps. Des études démontrent en effet qu’il faut +/- 5 ans pour trouver un repreneur ou mettre en place une succession. Entamé trop tard, un tel processus mène chaque année tragiquement à des cas de cessations d’activités d’entreprises (saines).

Nous aborderons brièvement ci-dessous 5 points clés à conserver à l’esprit, en tant que propriétaire et/ou dirigeant d’une entreprise familiale, pour éviter un tel écueil et réussir en temps utile la transmission de son entreprise.

Alignement des actionnaires familiaux

Les entreprises familiales partagent la caractéristique d’être capitalistiquement détenues majoritairement par les membres d’une même famille et d’avoir un ou plusieurs de ses membres impliqués dans leur gestion.

Toutes les entreprises familiales ne sont cependant pas égales à cet égard. Les entreprises de 1ère génération sont généralement détenues par un(e) patriarche/matriarche, qui cumule les rôles d’actionnaire majoritaire et de dirigeant. Ses descendants et/ ou conjoint participe(nt) également souvent à la vie de l’entreprise, tantôt comme actionnaire(s), employé(s), membre(s) des organes de gestion ou encore plusieurs de ces rôles. Les entreprises de générations suivantes (2e, 3e…) présentent souvent un profil déjà sensiblement plus complexe avec un actionnariat plus dispersé et davantage de membres familiaux impliqués activement dans l’entreprise. Cette augmentation d’intervenants familiaux actifs apporte certes du sang neuf indispensable à l’entreprise, mais elle s’accompagne aussi régulièrement d’une augmentation mécanique du risque de divergences sur la vision du futur de l’entreprise.

Par conséquent, tout processus de transmission d’entreprise familiale commencera – idéalement et dès que possible – par une discussion ouverte entre l’ensemble des intervenants familiaux dans l’entreprise pour s’accorder sur la vision de son futur, y compris sa transmission interne ou externe à court, moyen ou long terme. Cette discussion sera suivie de la signature, entre les actionnaires familiaux, d’une convention d’alignement, d’une charte familiale ou encore d’une convention d’actionnaires (selon le cas) par laquelle ces derniers s’engageront à participer de bonne foi au projet de transmission convenu en temps utile. Dans ce document, ou plus tard selon les cas, les membres concernés de la famille veilleront par ailleurs prudemment à désigner parmi eux un nombre le plus restreint possible de mandataire(s) qui sera/ont chargé(s) le temps venu de mener les discussions de transmission au nom et pour compte de la famille.

Mise en place d’une structure de gouvernance appropriée

Une autre caractéristique des entreprises familiales réside dans le fait qu’elles sont généralement gérées (selon leur taille) par un ou deux dirigeant(s) extrêmement actif(s), qui concentre(nt) entre leurs mains la majorité (voir parfois la totalité) des pouvoirs de gestion et fonctions opérationnelles au sein de l’entreprise. Les décisions en leur sein se prennent en conséquence souvent de manière beaucoup plus rapide et informelle que dans d’autres sociétés, ce qui peut parfois constituer durant plusieurs années un avantage compétitif pour ce type d’entreprises.

En revanche, en cas de projet de transmission de telles entreprises, le caractère sous-développé de leurs structures de gouvernance pourra soudainement se transformer en un frein sensible à leur reprise réussie. En effet, tout tiers acquéreur préférera normalement acquérir une entreprise en « état de marche » dès la date de sa reprise, sans devoir y réaliser d’investissements complémentaires, notamment pour la mise en place d’une nouvelle équipe de gestion.

Les actionnaires-dirigeants hyperactifs d’entreprises familiales soucieux de réussir la transmission de celles-ci commenceront donc – le plus tôt possible – à renforcer progressivement la bonne gouvernance de leur entreprise, à mettre en place leur succession opérationnelle au sein de celle-ci et à se rendre progressivement de moins en moins indispensables dans leur pilotage opérationnel. A défaut, ces actionnaires- dirigeants risquent de passer plus tard à côté d’opportunités intéressantes de transmission, de voir la valorisation de leur entreprise négativement affectée en raison de leur dépendance à leur égard ou encore, dans le meilleur des cas, de devoir continuer à accompagner leur entreprise entre 2 à 5 ans après la date de sa cession effective (le temps que le tiers acquéreur puisse mettre enfin en place cette succession opérationnelle).

Préparation juridique, comptable et financière de la transmission

Une autre étape préparatoire fondamentale dans tout processus de transmission d’entreprise (y compris familiale) consistera pour le(s) vendeur(s) à préparer bien à l’avance (en adoptant d’emblée une structure d’archivage rigoureuse, centralisée et instantanément accessible de toute la documentation clé relative à l’entreprise) la mise en place d’une data room (physique ou virtuelle) qui sera rendue accessible au candidat acquéreur généralement avant la conclusion de la vente. Cette data room devra contenir tous les principaux documents concernant les activités de l’entreprise, en vue de permettre au candidat acquéreur d’en réaliser un audit juridique, comptable, financier, fiscal, social et, le cas échéant, réglementaire pour s’assurer que l’entreprise convoitée correspond bien à ses attentes.

Même si dans la plupart des processus de transmission, l’exercice de cet audit (également qualifié de due diligence) sera effectué par le candidat acquéreur, il est parfois utile qu’un vendeur commandite lui-même un tel exercice auprès de ses propres conseillers soit en vue de pouvoir remettre au candidat acquéreur un vendor’s due diligence report en début de négociation pour le rassurer sur le caractère sain de l’entreprise et espérer en accélérer le processus de vente, soit pour identifier certains risques et/ou passifs avérés ou latents affectant son entreprise afin d’y remédier avant le début de toute négociation.

Habituellement, plus la data room sera complète et préparée en amont de manière professionnelle, plus le candidat acquéreur se sentira rapidement en confiance dans une acquisition, ce qui en facilitera la conclusion. La data room permettra par ailleurs généralement au vendeur de limiter les déclarations et garanties générales et spécifiques qu’il devra accepter de consentir au profit du candidat acquéreur lors des négociations. Enfin, elle lui permettra de limiter sa responsabilité envers ce dernier en cas d’appel à ces déclarations et garanties.

Valorisation objective de l’entreprise

Les entrepreneurs familiaux ont – par nature – une vision fréquemment optimiste de la valorisation de leur entreprise. Leur implication émotionnelle dans l’entreprise à laquelle ils ont généralement dévoué la plus grande partie de leur vie peut cependant parfois les amener à trop s’éloigner d’une appréciation objective de leur participation. Or, une évaluation correcte de la valeur de l’entreprise à céder sera généralement le critère clé de la réussite ou de l’échec d’une négociation de transmission.

Les actionnaires familiaux désireux de transmettre leur entreprise à un tiers veilleront donc, dans la mesure du possible, à se faire assister par un conseiller financier professionnel chargé de valoriser objectivement leur entreprise en amont de tout début de processus de transmission et d’en déterminer avec eux le « juste prix ». On notera à cet égard que valeur et prix d’une entreprise sont des notions différentes. En effet, une société est généralement valorisée sur la base de sa « valeur d’entreprise », i.e. sa valeur économique, abstraction faite de ses dettes financières et liquidités. Ce n’est qu’ensuite que son prix est généralement déduit de cette valorisation, en tenant compte cette fois de ces mêmes dettes ou liquidités et, le cas échéant, d’autres facteurs. Dès le début des négociations, il conviendra donc de bien s’assurer que vendeur(s) et acheteur(s) parlent la même langue à ce sujet, pour éviter de douloureuses déconvenues de dernière minute.

Ce conseiller financier pourra également assister (au besoin) les actionnaires familiaux dans leur recherche du candidat repreneur idéal (membre de la famille, membre du personnel, concurrent, client, fournisseur, investisseur professionnel…) et ainsi augmenter leurs chances de transmission. Ce conseiller financier professionnel pourra enfin éclairer les actionnaires familiaux sur le régime fiscal qui s’appliquera à la cession de leur entreprise (selon la structuration retenue), afin de l’anticiper et, le cas échéant, faire le meilleur choix de structuration possible.

Assistance juridique spécialisée durant la négociation

La négociation de la documentation contractuelle relative à une cession d’entreprise sera souvent complexe d’un point de vue juridique aussi notamment :

  • négociation de déclarations et garanties générales et spécifiques ;
  • négociation d’un mécanisme d’indemnisation par le(s) vendeur(s) en cas de violation de tout ou partie de ces déclarations et garanties ;
  • négociation de limitations complexes à ce mécanisme d’indemnisation ;
  • négociation de sûretés réelles ou personnelles pour garantir la bonne exécution de cette indemnisation ;
  • négociation d’engagements de non-concurrence et de non-sollicitation ;
  • roll-over éventuel…

Les actionnaires-dirigeants cherchant à céder leur entreprise à un tiers seront bien inspirés de se faire assister par un conseiller juridique spécialisé en matière de M&A, habitué à ce type de transactions particulières, pour éviter, le cas échéant, de cuisantes déconvenues financières postérieures à la cession de leur entreprise.

Me Jean-Philippe Smeets, Partner
Me Jean-Philippe Smeets, Partner
 
Me Nastasia Dumitru, Senior Associate
Me Nastasia Dumitru, Senior Associate

Corporate and M&A
PwC Legal

(1) Généralement définies comme étant les entreprises, quelle que soit leur taille, dont (a) la majorité des droits de vote en assemblée générale sont entre les mains de leur fondateur ou de leur propriétaire et membres de sa famille ou (b) lorsqu’elles sont cotées en Bourse, dont 25 % des droits de vote sont détenus par la famille et au moins un des membres de la famille est actif dans la gestion ou la gouvernance.