La digitalisation est actuellement une préoccupation majeure des entreprises et de l’administration. Peu d’organisations font aujourd’hui l’économie de projets de numérisation, qu’ils en soient au stade de la réflexion ou de la mise en oeuvre. De tels projets nécessitent un travail important en amont afin de savoir s’il est possible de basculer de pratiques internes impliquant l’utilisation de papier vers des mécanismes entièrement ou partiellement dématérialisés.

Le jeu en vaut toutefois la chandelle. La digitalisation présente de nombreux avantages, tenant notamment à l’amélioration de l’empreinte carbone, au service client, à l’optimisation des coûts, à l’image des entreprises ou encore à la conformité de celles-ci aux lois et règlements. Nous nous concentrerons dans cet article sur l’intérêt de la numérisation pour l’environnement et pour le respect des règles légales et réglementaires tout en soulignant quelques limites juridiques quant à l’adoption d’un système entièrement paperless.

Les avantages que présentent les projets de digitalisation

La digitalisation au service de l’écologie

L’écologie est souvent considérée comme un des grands gagnants des efforts de digitalisation des entreprises. C’est par exemple le constat dressé par l’initiative de transformation digitale du Forum Economique Mondial(1) qui voit parmi les multiples bienfaits sociétaux de la digitalisation la réduction des émissions carboniques. Une étude avance même une baisse de 15 % de ces émissions à l’échelle mondiale grâce à l’adoption des technologies numériques(2).

La diminution de la quantité de papier utilisé par les salariés, quantité qui oscille notamment en France entre 70 à 85 kg de papier par an et par salarié(3), peut être un élément clé dans la réduction de l’empreinte carbone des entreprises. Encore faut-il que le processus de digitalisation soit suffisamment bien accompli pour éviter un recours excessif aux imprimantes.

En effet, tout projet de digitalisation ne rime pas forcément avec des avancées en termes d’écologie. Paradoxalement, le développement du numérique ne s’est pas accompagné d’une diminution de la consommation de papier, qui représente 75 % des déchets de bureau(4).

Néanmoins, un chantier de numérisation, mené en considérant l’impact environnemental du processus final et en insufflant des réflexes et comportements « éco-responsables » en interne, saura tirer profit des nouvelles technologies au service de l’écologie.

Les avantages de la digitalisation en termes de conformité

La conformité au RGPD

Outre les règles légales relatives à la gestion des déchets(5) dont la digitalisation peut potentiellement faciliter le respect, c’est principalement dans le domaine de la protection des données à caractère personnel que les projets de numérisation peuvent s’avérer pertinents.

En effet, le Règlement général sur la protection des données (communément surnommé RGPD)(6), clé de voûte de la législation luxembourgeoise concernant l’utilisation de données personnelles, s’applique aussi bien aux traitements automatisés de données concernant des individus qu’aux traitements de ces données lorsqu’elles sont contenues dans un fichier physique.

L’application du RGPD à la grande majorité des documents au format papier et contenant des données personnelles force de nombreuses organisations établies au Luxembourg (qu’elles soient des entreprises, des administrations ou associations) à repenser la manière dont leurs collaborateurs utilisent, classent, archivent ou encore détruisent les documents papier.

Il convient de rappeler à ce titre que les notions essentielles du RGPD sont définies de manière très large de telle sorte que : toute opération sur une donnée personnelle équivaut à un « traitement », toute donnée permettant l’identification directe ou indirecte d’un individu équivaut à une « donnée à caractère personnel » et tout individu dont les données sont traitées jouira de la protection du RGPD en tant que « personne concernée ».

Disposer de procédures digitalisées présente des avantages non négligeables quant à la conformité au RGPD. Ces avantages sont notamment liés aux obligations de :

  • sécurité du traitement de données (article 32 du RGDP). Le RGPD met à charge des responsables du traitement (c’est-à-dire les entités ou personnes qui déterminent les finalités et/ou les moyens essentiels du traitement de données) de mettre en place des mesures techniques et organisationnelles appropriées au vu des risques présentés par les traitements de données. Les outils informatiques existants offrent une panoplie de telles mesures, comme un contrôle facilité des accès à des documents ou encore le chiffrement ou la pseudonymisation des données. En revanche, minimiser l’utilisation de documents papier est primordial afin de réduire les risques de violations de données personnelles et, ainsi, les situations où le responsable du traitement doit notifier de telles violations à l’autorité de contrôle et/ou aux personnes concernées et potentiellement encourir des sanctions ;
  • tenir un registre des activités de traitement (article 30 du RGPD). Le RGPD exige, sauf exception, que les responsables du traitement ainsi que les entités et personnes traitant des données pour le compte des responsables du traitement (les « sous-traitants ») tiennent un registre de leurs activités de traitements. Il est judicieux pour se conformer à cette obligation de procéder à un exercice de cartographie (ou mapping) régulier des données. Il est donc important de localiser les données traitées, qu’elles soient traitées de façon électronique ou non. La digitalisation peut avoir pour avantage de faciliter ce travail de cartographie, notamment lorsque le projet de digitalisation a permis de remettre à plat les pratiques internes et donc de savoir où, comment et par qui les documents sont créés, utilisés, classés et détruits par les collaborateurs. C’est également le cas lorsque le projet de digitalisation met en oeuvre des solutions logicielles offrant une meilleure visibilité sur les traitements de données entrepris au sein de l’organisation et/ou une limitation des moyens de reproduction et d’enregistrement des données par les salariés ;
  • limiter la conservation des données (article 5(1)(e) du RGPD). Le RGPD requiert une conservation des données personnelles pendant le temps nécessaire à l’accomplissement des finalités du traitement. Ainsi, les responsables du traitement doivent veiller à mettre en place des mesures permettant de savoir quand des documents contenant des données personnelles doivent être détruits ou anonymisés (par exemple en créant une politique interne de conservation et d’effacement). De plus, les responsables du traitement doivent s’assurer que la destruction ou l’anonymisation des documents se fera conformément au RGPD. Disposer de procédures digitalisées dans ce domaine permet de mieux gérer le cycle de vie des documents. Des programmes d’alertes automatiques informant que des fichiers électroniques doivent être effacés ou des programmes permettant l’effacement automatique des documents à l’expiration de la durée légale peuvent être utilisés. Aussi, digitaliser certaines pratiques aide souvent à limiter la reproduction de documents au strict nécessaire, et ainsi à réduire le risque que la destruction de données personnelles ne se fasse pas dans les délais impartis car des documents contenant des données auraient été imprimés et conservés par des salariés à divers endroits.

Un cadre juridique existant favorisant la digitalisation

Une question juridique se posant dans le cadre de projets de digitalisation est celle de savoir si tel ou tel document peut être créé électroniquement ab initio ou s’il peut être numérisé et, dans l’affirmative, si ces opérations affectent la force probante du document en cas de contentieux.

S’il est vrai que le problème tenant à la force probante des documents ne doit pas être occulté, il convient toutefois de nuancer son importance. Tout d’abord, cette question se pose uniquement pour les documents ayant initialement force probante et donc principalement pour les contrats, actes notariés et autres écrits signés. Ensuite, un cadre juridique apporte un certain confort aux organisations choisissant la voie de la transformation digitale.

En effet, un règlement européen, dit eIDAS(7), fixe des règles communes à l’échelle européenne sur des services définis comme « services de confiance »(8). Certains de ces services, comme la signature électronique, sont essentiels en cas de basculement vers un mode de fonctionnement digital. En vertu de ces règles, un juge dans l’UE ne peut refuser une signature électronique ou un document électronique comme preuve au seul motif que celui-ci se présente sous une forme électronique. L’effet juridique d’une signature électronique doit même être présumé comme équivalent à celui d’une signature manuscrite dès lors que cette signature électronique remplit les critères d’une « signature électronique qualifiée ».

La loi luxembourgeoise du 25 juillet 2015 relative à l’archivage électronique vient consolider le cadre juridique favorisant la digitalisation, en prévoyant un ensemble de règles visant à préserver la force probante de documents électroniques, que ceux-ci soient des originaux numériques ou des copies électroniques de documents papier digitalisés en respectant certaines conditions (avec pour avantage dans ce cas de permettre la destruction des originaux papier).

Les limites à la digitalisation en termes de conformité

Si un projet de digitalisation bien mené facilite notamment la mise en conformité au RGPD, la loi pose certaines limites à la numérisation des documents et à un environnement entièrement paperless.

En effet, il n’existe pas à l’heure actuelle au Luxembourg de cadre juridique permettant la numérisation des documents notariés sans impact sur la force probante de ceux-ci. En outre, les règles en matière d’archivage électronique ne sont pas harmonisées à l’échelle européenne et la prudence est donc de mise en cas de numérisation de contrats régis par un droit étranger et de destruction des originaux papier. Enfin, des règles exigent que certains types de documents soient conservés en originaux, comme le bilan ou le compte de profits et pertes, barrant ainsi la route à la numérisation d’originaux papier et la seule conservation de copies électroniques.

Il n’en reste que ces limites font pâle figure face aux nombreux avantages de la digitalisation évoqués dans cet article. Il conviendra toutefois, comme pour tout projet d’envergure, de diligenter une analyse en amont sur les documents à digitaliser et les modalités de cette digitalisation.

Me Audrey Rustichelli, Partner, Technologies & IP,PwC Legal
Me Audrey Rustichelli, Partner, Technologies & IP,PwC Legal
Me Lindsay Korytko, Senior Associate, Technologies & IP,PwC Legal
Me Lindsay Korytko, Senior Associate, Technologies & IP,PwC Legal
  • (1) Forum Economique Mondial, Digital Transformation Initiative In collaboration with Accenture, mai 2018.
  • (2) Börje Ekholm & Johan Rockström, Digital technology can cut global emissions by 15%. Here’s how, 15 janvier 2019.
  • (3) Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), mai 2017.
  • (4) Statistique concernant la France et établie par l’ADEME, mai 2017.
  • (5) Et plus particulièrement les règles de la loi du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets, telle que modifiée.
  • (6) Règlement (EU) 2019/679 du 27 avril 2016.
  • (7) Règlement (UE) 910/2014 du 23 juillet 2014.
  • (8) Ces services incluent des services liés à des cachets électroniques, à l’horodatage électronique, à l’envoi recommandé électronique, à l’authentification de sites Internet. Si un projet de digitalisation bien mené facilite notamment la mise en conformité au RGPD, la loi pose certaines limites à la numérisation des documents et à un environnement entièrement paperless.