enterprises-magazine-numero-70

Par un arrêt du 12 février 2015 (affaire C-396/13), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a apporté des précisions sur le salaire minimal devant être payé aux travailleurs détachés sur base de la directive applicable.

Cette directive (directive 96/71/CE du 16 décembre 1996, applicable au moment des faits) prévoit l’application aux travailleurs détachés du salaire minimal en vigueur dans le pays d’accueil. Il peut s’agir d’une réglementation et/ou, dans le secteur de la construction, d’une convention collective d’application générale.

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Une société polonaise avait conclu des contrats de travail avec une centaine de salariés qu’elle avait détachés auprès de sa succursale en Finlande pour y effectuer des travaux d’électrification sur le chantier d’une centrale nucléaire. Les travailleurs estimant ne pas avoir été payés conformément à la convention collective d’application générale applicable au secteur cédèrent leurs créances salariales au syndicat finlandais du secteur de l’électricité, lequel fut chargé de recouvrer les salaires dus aux travailleurs en introduisant un recours devant le juge finlandais.

La société polonaise estimait, quant à elle, ce qui suit :

  • la convention collective applicable fixant un salaire basé soit sur la durée (salaire à l’heure), soit sur le rendement (salaire à la tâche), il lui était loisible de choisir le taux le plus avantageux (donc le plus bas) ;
  • seul le salaire minimal « de base » devait être pris en compte, à l’exclusion de toute autre indemnité (par exemple de trajet) ;
  •  le syndicat polonais n’avait selon elle pas qualité à représenter les travailleurs polonais, car la cession de créance salariale est interdite en droit polonais.
La CJUE, dans son arrêt du 12 février 2015, précise comment le salaire minimal doit être calculé et ce qu’il doit inclure en cas de détachement :
  1. quelle que soit la loi applicable au contrat de travail, toute question relative au salaire minimal à payer est soumise au droit du pays d’accueil, ici le droit finlandais. La cession de créance salariale est donc valable. La CJUE souligne que la Charte des droits fondamentaux garantit aux travailleurs un droit au recours effectif ;
  2. le pays d’accueil détermine le mode de calcul du salaire minimal et les critères retenus soit par voie législative, soit par le biais d’une convention collective d’application générale, y compris un salaire minimal horaire ou à la tâche, pourvu que les règles du pays d’accueil soient « contraignantes et transparentes ». A défaut, elles ne sont pas opposables à l’employeur détachant ses salariés dans le pays d’accueil dont les règles ne sont pas accessibles ou claires. Il appartient au juge national de le vérifier. L’employeur du pays d’origine ne saurait, en tout état de cause, être en mesure de choisir un salaire moins élevé que celui des travailleurs locaux. Suivant le même raisonnement, le pays d’accueil détermine – de manière transparente et claire – les règles de classement des travailleurs en groupes de rémunération sur base de différents critères, tels que, notamment, la qualification, la formation, l’expérience, la fonction, etc. Ces critères remplacent les critères utilisés dans le pays d’origine (sauf lorsque ceux-ci sont plus favorables pour le travailleur, suivant l’article 3, §7, al. 1er, directive 96/71/CE) ;
  3.  l’indemnité journalière de détachement et l’indemnité de trajet quotidien de la convention collective finlandaise applicable ne visent pas à rembourser des dépenses effectives encourues à cause du détachement, mais à compenser les inconvénients dus au détachement, y compris au profit des travailleurs qui sont détachés à l’intérieur de leur pays : ces indemnités sont donc à qualifier d’« allocation propre au détachement » faisant partie du salaire minimal, conformément à la directive (article 3, §7, al. 2, directive 96/71/CE) ;
  4. la prise en charge des dépenses liées au logement et à l’alimentation étant en revanche la contrepartie de coûts effectivement encourus par les travailleurs à cause de leur détachement dans le pays d’accueil, ces indemnités de logement et d’alimentation ne sont pas à prendre en compte dans le calcul du salaire minimal auquel peuvent prétendre les travailleurs détachés ;
  5. le travailleur a droit à un congé annuel payé, faisant partie du salaire minimal, quel que soit son lieu d’affectation au sein de l’Union. Les travailleurs détachés ont donc droit au paiement d’un pécule de vacances correspondant au salaire minimal auquel ils ont droit pendant la période concernée afin de placer ces travailleurs, lors de leur congé, dans une situation qui est, s’agissant du salaire, comparable aux périodes de travail effectuées dans le pays d’accueil (affaires 539/12 et C-396/13)
Cet arrêt important marque un tournant par rapport à une jurisprudence antérieure de la CJUE (Viking, Rüffert, Laval, Commission c. Luxembourg) qui avait été perçue par d’aucuns avec une certaine inquiétude, se demandant si la libre circulation des services devait pour l’Union être prioritaire sur la libre circulation des travailleurs, la protection de leurs droits sociaux et une concurrence loyale entre employeurs.

Me Hélène Weydert Avocat à la Cour
Me Hélène Weydert - Avocat à la Cour


L’arrêt de la CJUE du 12 février 2015 est rendu postérieurement à la nouvelle directive sur le détachement (directive 2014/67/UE du 15 mai 2014), dite directive exécution, complétant la directive de 1996 actuellement en vigueur.

Il semblerait que la CJUE, sans le mentionner, ait tenu compte de l’apport de la directive exécution, dont l’objet est de garantir une saine concurrence, le respect des conditions de travail des salariés détachés et des moyens de contrôle efficaces.

 

Voir aussi : Nouvelle directive détachement : des services et des hommes, entreprises magazine, N° 67, pp.152 et 153, septembre-octobre 2014.
Jurisprudence récente en matière de sécurité sociale des travailleurs détachés, entreprises magazine, N° 55, pp.170-172, septembre-octobre 2012.