La problématique de la transmission/succession d’une entreprise touche principalement les PME, et plus particulièrement les PME dont l’actionnariat est familial. Entre 2020 et 2030, quelque 200 dirigeants de PME luxembourgeoises prendront leur retraite ; ces entreprises représentent plus de 8.000 salariés. L’enjeu est donc de taille pour un petit pays comme le Luxembourg si ces entreprises ne poursuivaient pas leurs activités. Entretien avec Yves Even et Pierre Mangers, les responsables du département EoY – Entrepreneuriat et entreprises familiales d’EY Luxembourg.

La transmission est souvent un moment difficile tant pour le dirigeant que pour les salariés, mais outre les aspects légaux, fiscaux… l’aspect émotionnel occupe une très large place…Yves Even - En effet, mais le volet émotionnel est souvent dû au fait que la transmission se fait dans l’urgence, ou ne se fait pas. Dès lors, tout le monde est perturbé alors qu’une bonne préparation en amont pourrait éviter beaucoup de tracas.

De g. à dr. : Pierre Mangers, responsable de l’offre en conseil du département EoY, et Yves Even, responsable associé du département EoY – Entrepreneuriat et entreprises familiales, EY Luxembourg.  Photo-Focalize/Emmanuel Claude
De g. à dr. : Pierre Mangers, responsable de l’offre en conseil du département EoY, et Yves Even, responsable associé du département EoY – Entrepreneuriat et entreprises familiales, EY Luxembourg.Photo- Focalize/Emmanuel Claude

Quel est le bon moment pour commencer les démarches? Pierre Mangers - Le dirigeant doit s’y préparer au moins 10 ans avant de prendre sa retraite. Le temps de former son héritier à des fonctions de direction ou de trouver un repreneur tiers peut être très long. De plus, il faut pouvoir transmettre son savoir-faire, les compétences propres à l’activité de l’entreprise, ce qui demande également du temps. D’après notre retour d’expérience et une étude mondiale publiée par EY récemment, quatre points importants peuvent être mis en avant pour préparer et réussir une transmission, à savoir : envisager la transmission comme un processus, préparer très tôt la génération suivante à la succession, mettre en avant la culture d’entreprise et se donner les moyens d’attirer les bons talents.

Nous souhaiterions surtout attirer l’attention des dirigeants de PME sur le nombre d’années qu’implique une transmission. Beaucoup pensent qu’en quelques mois l’affaire peut se régler. Notre expérience nous démontre tout le contraire. Une fois la décision prise, il est vivement conseillé de se faire aider par des professionnels.

Prenons les points dans l’ordre. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par transmission comme processus? Pierre Mangers - Une transmission doit suivre un plan structuré, comportant des étapes bien précises qui permettront au dirigeant de se préparer et de préparer son entreprise à celle-ci. Il y a deux hypothèses préalables : soit une personne de la famille prend la relève, soit il faut trouver un repreneur tiers. Les salariés doivent également être impliqués dans l’échéancier qui sera mis en place. De même, un plan de communication doit être préparé pour toutes les instances liées à l’entreprise : Etat, clients, fournisseurs, etc.

Le 2e point porte sur la préparation de la nouvelle génération à la succession…Yves Even - Pour un dirigeant, il est effectivement important d’éduquer très tôt ses enfants à la culture entrepreneuriale, de manière à ce que ceux-ci comprennent le travail et les enjeux que représente l’entreprise pour la famille. Il faut leur donner la possibilité, dès le plus jeune âge, de bien comprendre ce qu’est le monde de l’entreprise, sa terminologie propre (coûts, chiffres d’affaires, impôts…), ses activités et le rythme de travail de ses parents. Il ne faut pas hésiter à faire participer ses héritiers à des réunions de famille, des conseils d’administration… et donc à les intégrer et les impliquer le plus tôt possible dans la vie de l’entreprise en leur en expliquant son fonctionnement. Il faut les associer aux rencontres avec les clients/ fournisseurs et ne pas hésiter à les présenter à l’entourage professionnel. Il faut les emmener avec soi à des foires professionnelles, des conférences où l’on parle d’entrepreneuriat, etc. Il faut les encourager à rencontrer d’autres chefs d’entreprise ou des jeunes qui sont dans la même situation qu’eux. C’est dans cet esprit qu’EY a créé la NextGen Academy afin de permettre à des jeunes de moins de 30 ans, repreneurs en devenir, de rencontrer d’autres jeunes qui sont dans le même cas de figure et ce, partout dans le monde. Ensuite, il faudra évaluer l’intérêt que les enfants portent à l’entreprise, penser à les former, car faire partie des héritiers n’élude pas le problème des compétences, bien au contraire ! En cas de non-intérêt, il faudra alors chercher un repreneur en dehors de la famille. Le fait d’impliquer très tôt les jeunes dans la culture des affaires permet de gagner du temps sur les deux postulats (successeur dans la famille ou pas) et d’anticiper. Jusqu’au dernier moment, beaucoup de dirigeants pensent qu’un de leurs enfants finira par prendre la relève et, lorsqu’ils reçoivent un non définitif, ils tombent de haut. Et durant toute cette attente, ils n’ont rien fait de constructif.

D’après notre retour d’expérience et une étude mondiale publiée par EY récemment, quatre points importants peuvent être mis en avant pour préparer et réussir une transmission, à savoir: envisager la transmission comme un processus, préparer très tôt la génération suivante à la succession, mettre en avant la culture d’entreprise et se donner les moyens d’attirer les bons talents

Le 3e point concerne la culture d’entreprise…Pierre Mangers – Mettre en avant la culture de l’entreprise est importante car d’elle dépend aussi l’attraction et la rétention de talents. Entreprendre, c’est oser, et pas toujours avec succès. Dès lors, il ne faut pas blâmer quelqu’un qui a pris une initiative malheureuse, mais le soutenir et lui expliquer quelles erreurs il a commises. A l’inverse, lorsqu’une initiative est couronnée de succès, il faut aussi la mettre en avant. Les salariés qui se savent soutenus, se sentent estimés et compris et s’investiront davantage car ils auront le sentiment de faire partie de la grande famille qu’est leur entreprise. Cette culture de soutien de la hiérarchie est d’autant plus appréciée au sein des PME. De même, l’environnement proposé par l’entreprise à ses salariés, telles que son implication RSE, l’intérêt qu’elle porte au bien-être de son personnel… sont des éléments-clés qui doivent faire l’objet d’une communication vers l’extérieur, surtout lorsque le dirigeant doit trouver un successeur hors de sa famille.

Le 4e point s’intéresse à l’attraction et à la rétention des talents…Yves Even - Trouver un successeur externe à la famille se fait un peu sur le même mode opératoire qu’un recrutement. Pour le repreneur, il faut que la société soit séduisante et qu’elle offre les meilleurs atouts possibles. Dès lors, le cédant ne doit pas hésiter à communiquer sur la culture de son entreprise, mais aussi sur l’historique de celle-ci, sur sa passion, sur son savoir-faire… afin de faire naître chez le repreneur l’envie de s’investir dans une telle société. La jeune génération cherche aujourd’hui du sens dans ce qu’elle entreprend au niveau professionnel : points forts de l’entreprise qui l’emploie, avantages extra-salariaux, ambiance au travail, implications en matière de RSE, d’environnement, d’innovation… Le cédant doit aussi pouvoir proposer au futur repreneur une vision forte, faite de projets très concrets et d’idées de développement à court et moyen terme. Bref, montrer que son entreprise a de l’avenir.

En conclusion, quel est aujourd’hui le message qu’EY souhaite faire passer? Yves Even et Pierre Mangers - Nous souhaiterions surtout attirer l’attention des dirigeants de PME, entreprises qui représentent 70 % de la valeur de notre pays et qui emploient quelque 70 % des salariés, sur le nombre d’années qu’implique une transmission. Beaucoup pensent qu’en quelques mois l’affaire peut se régler. Notre expérience nous démontre tout le contraire. Une fois la décision prise, il est vivement conseillé de se faire aider par des professionnels qui élaboreront avec eux le plan dont nous avons parlé auparavant, impliquant un processus du début jusqu’à la fin. La transmission d’entreprises au Luxembourg est d’autant plus problématique que le pays est petit et qu’il ne compte pas beaucoup de repreneurs potentiels au niveau national. De plus, la valeur des terrains est souvent bien plus élevée que celle de l’entreprise. Si la réforme fiscale 2017 a tenu compte de ce paramètre en proposant de sortir fiscalement le terrain de l’exploitation, il est cependant actuellement trop tôt pour en dire plus. Une chose est sûre, toute succession est un processus de longue haleine, une question d’anticipation, et d’autant plus si un dirigeant aspire à maintenir son entreprise dans le fleuron local.

Propos recueillis par Isabelle Couset