Lorsqu’il y a transfert de tout ou partie d’entreprise, quelles en sont les conséquences au niveau du plan de pension de l’entreprise cédante ? Le cessionnaire doit-il poursuivre le financement de ce régime dans la foulée de la reprise des contrats de travail ? Les obligations en la matière découlent d’une directive européenne qui remonte déjà à 1977. Mais, apparemment, la manière de l’appliquer soulève encore aujourd’hui des interrogations. Petit rappel des règles en cette matière.

En vertu de cette directive européenne qui a été transposée dans les législations des différents Etats membres, les droits et obligations résultant des contrats de travail des salariés transférés sont repris, de plein droit, par le cessionnaire. Ce dernier est également tenu de maintenir les conditions de travail convenues par convention collective dans la même mesure que celle-ci les a prévues pour le cédant et ce, jusqu'à la date de résiliation ou d’expiration de cette convention ou de l'entrée en vigueur ou de l'application d'une nouvelle convention collective.

Rappelons que par « transfert d’entreprise », il faut entendre le transfert « d’une entité économique qui maintient son identité et qui constitue un ensemble organisé de moyens, notamment personnels et matériels, permettant la poursuite d’une activité économique essentielle ou accessoire ». Ce principe d’un transfert automatique des droits ne s’applique toutefois pas aux droits découlant d’un éventuel régime complémentaire de pension existant auprès du cédant. En d’autres termes, le cessionnaire n’est en aucun cas tenu de poursuivre le financement des plans de pension qu’aurait mis en place l’entreprise cédante, à moins qu’au moment de la transposition de la directive dans leur législation, les Etats n’en aient disposé autrement. Néanmoins, même en l’absence d’une telle obligation de reprise des plans existants, la directive européenne impose une mesure minimale, à savoir la protection des droits acquis ou en cours d’acquisition des personnes transférées (et, le cas échéant, aussi des anciens affiliés ayant maintenu leurs droits dans le plan de pension de leur ancien employeur).

Quels principes au Grand-Duché?

Aujourd’hui, en cas de transfert d’entreprise, le Code du travail se limite à prévoir simplement que tous les droits et obligations résultant des contrats de travail existant à la date du transfert, sont automatiquement transférés au nouvel employeur. Et en matière de régimes complémentaires de pension, il faut s’en référer à la loi du 8 juin 1999 qui encadre ces régimes. Une disposition spécifique à cet égard y a en effet été insérée. L’article 14 de cette loi stipule tout d’abord que le cessionnaire est tenu de reprendre les droits acquis (c’est-à-dire les droits déjà constitués en matière de retraite) et les droits en cours de formation des affiliés actifs qui font l’objet du transfert de personnel. Ces droits lui sont automatiquement transférés. Et si l’entreprise cédante subsiste après cette opération de transfert, les droits acquis des anciens affiliés (c’est-à-dire les droits de ceux qui ont déjà quitté l’entreprise au moment de sa reprise mais qui avaient laissé leurs droits dans le régime de leur ancien employeur jusqu’à leur retraite) restent, pour leur part, logés auprès du cédant, sauf évidemment si les parties en conviennent autrement.

En revanche, si, suite à ce transfert, l’entreprise cédante disparaît totalement, la loi organise aussi la reprise, par le cessionnaire, des droits acquis des anciens affiliés. Quant aux droits en cours de formation, il s’agit en fait des droits non encore acquis au moment du transfert parce que l’affilié actif ne remplit pas encore à ce moment toutes les conditions relatives à la période de stage imposée par le règlement de pension. Cette période de stage se définit comme étant la période qui comprend tant la période de service dont le salarié doit justifier avant d’être affilié au régime que la période d’attente, c’est-à-dire la période de service allant de l’affiliation jusqu’à l’acquisition définitive des droits. Cette période est déterminée dans le règlement de pension, sans pouvoir excéder actuellement 10 ans de service. Et en cas de transfert d’entreprise, cette période de stage n’est donc pas interrompue par le transfert lui-même et la nouvelle entreprise sera obligée de tenir compte de la période de stage déjà accomplie chez le cédant. Dès lors, à partir du moment où l’affilié transféré aura rempli ces conditions de stage en cumulant les anciennetés, tant auprès de son ancien que de son nouvel employeur, les droits lui seront définitivement acquis. En revanche, si cet affilié quitte son nouvel employeur avant d’avoir accompli la période de stage requise, la valeur de ces droits définitivement non acquis reviendront à son nouvel employeur.

Quant à l’assurance Décès et Invalidité qui existait éventuellement auprès du cédant, il faut savoir que sauf convention contraire, cette couverture prend automatiquement fin à la date du transfert.

Aucune obligation de reprise de l’ancien plan de pension

Deuxième principe, et il est d’importance : il n’existe aucune obligation légale, dans le chef du cessionnaire, de reprendre le plan de pension du cédant. Cela découle explicitement de la loi actuelle et pourtant, il semble régner à ce propos une certaine confusion sur le marché.

Même s’il y a pu y avoir une certaine ambiguïté au niveau des travaux préparatoires, la loi du 8 juin 1999 s’est prononcée très clairement pour la non-continuité du régime existant. Evidemment, rien n’interdit aux parties d’en convenir autrement. Le cessionnaire peut toujours s’engager au-delà de ses obligations légales. Mais pour le reste, la loi luxembourgeoise n’a pas fait d’excès de zèle : elle s’est limitée, comme le lui imposait la directive, à assurer la protection des seuls droits acquis ou en cours de formation des salariés transférés. L’entreprise cessionnaire n’a donc aucunement l’obligation de poursuivre le financement du régime complémentaire de pension dont bénéficiaient les affiliés transférés auprès de leur ancien employeur. Personne ne peut imposer au cessionnaire la reprise de cet ancien plan de pension. Il est d’ailleurs fortement déconseillé de reprendre ainsi l’ancien plan de pension car, lorsque ces personnes transférées auront été intégrées dans leur nouvelle entreprise, que les différents statuts auront été alignés, l’existence d’avantages différents en termes de pension complémentaire deviendra difficilement justifiable. Il conviendra dès lors d’harmoniser les différents avantages, ce qui relève d’une opération particulièrement délicate La loi du 8 juin 1999 précise en outre – troisième principe – que l’accord des affiliés et anciens affiliés n’est jamais requis en la matière. L’application de ces principes relève exclusivement de la compétence du cédant et du cessionnaire. Enfin, dernière règle à intégrer, si et seulement si le cessionnaire dispose lui-même d’un plan de pension ; dans ce cas, il devra y affilier les salariés transférés. Mais là, c’est la simple application des règles habituelles en matière d’affiliation : tout nouvel engagé est affilié au plan de pension de son employeur dès qu’il en réunit les conditions. Ainsi, sauf si la convention de transfert en disposait autrement, le cessionnaire n’aura dans ce cas qu’un seul régime à appliquer dans lequel seront affiliés, à la fois, les salariés transférés et les salariés qui faisaient déjà partie de son entreprise au moment du transfert. Les principes applicables en cette matière au Grand-Duché sont donc parfaitement limpides et en ligne avec les règles européennes. Dès lors, ils ne devraient donner lieu à aucune tergiversation.

Pierre Doyen - Conseiller juridique
Pierre Doyen - Conseiller juridique