La crise sanitaire liée au COVID-19 a forcé les gouvernements à prendre des mesures sans précédent, notamment restreindre les voyages et déplacements, et mettre en place des mesures de confinement strictes. Du fait ce ces mesures, de nombreux travailleurs étaient dans l’impossibilité de se rendre physiquement sur leur lieu de travail et ont dû travailler depuis leur domicile en télétravail (Home office).

Il convient de mentionner brièvement que dans le contexte du COVID-19, le gouvernement luxembourgeois a mis en place des mesures exceptionnelles concernant le télétravail des salariés transfrontaliers et a conclu des accords avec ses pays voisins, à savoir la Belgique, l’Allemagne et la France qui prévoient la suspension temporaire des restrictions en matière de jours de télétravail tolérés en dehors du Luxembourg pour les besoins de l’imposition du salaire perçu par le travailleur frontalier en application des conventions fiscales respectives. Cette suspension vaut également pour la détermination de la législation de sécurité sociale applicable aux frontaliers.

Outre les considérations en matière d’imposition de la rémunération du télétravailleur salarié et du régime d’affiliation à la sécurité sociale, le télétravail des travailleurs non-résidents peut également engendrer une autre problématique fiscale qui est celle du risque d’établissement stable dans le pays de résidence du télétravailleur. En effet, les employeurs luxembourgeois concernés devraient se poser la question de savoir si leurs salariés en télétravail hors du Luxembourg pourraient créer un établissement stable dans le pays en question. L’existence d’un tel établissement stable aurait pour conséquence la création d’une présence imposable de l’employeur luxembourgeois dans le pays concerné et engendrer dès lors des obligations fiscales supplémentaires telles que la préparation de déclarations fiscales et le paiement d’impôts dans le pays de situation de l’établissement stable sur les bénéfices alloués à ce dernier.

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Risque d’établissement stable du salarié en télétravail résidant à l’étranger

Avant d’analyser le risque fiscal d’établissement stable du télétravailleur résidant à l’étranger, il semble utile de rappeler la définition juridique du télétravail qui est « une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant dans le cadre d’un contrat de travail les technologies de l’information et de la communication, de sorte que le travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué de façon habituelle hors de ces locaux et plus particulièrement au domicile du salarié. »(1)

Le télétravail présuppose la réunion des 3 critères cumulatifs suivants :

  • la prestation de travail réalisée au moyen des technologies de l’information et de la communication (par exemple l’utilisation d’un ordinateur et une connexion Internet) ;
  • la prestation de travail effectuée dans un endroit autre que les locaux de l’employeur, en particulier au domicile du salarié ;
  • une prestation de travail effectuée de manière régulière et habituelle (excluant donc une prestation de travail à domicile occasionnelle).

Il y a lieu de noter que les conventions fiscales conclues par le Luxembourg avec ses pays voisins (c’est-à-dire Allemagne, France et Belgique) ne couvrent pas spécifiquement le cas du télétravail dans le cadre de la détermination d’un établissement stable. Dès lors, il y a lieu de se référer aux commentaires du Modèle de Convention fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour interpréter la notion d’établissement stable.

Sur base de l’article 5 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE(2), « l’expression établissement stable désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité ».

Les conventions fiscales conclues par le Luxembourg avec ses pays voisins (c’est-à-dire Allemagne, France et Belgique) ne couvrent pas spécifiquement le cas du télétravail dans le cadre de la détermination d’un établissement stable. Dès lors, il y a lieu de se référer aux commentaires du Modèle de Convention fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour interpréter la notion d’établissement stable.

En règle générale, un établissement stable est censé avoir un certain degré de permanence et être à la disposition de l’entreprise pour qu’un emplacement puisse constituer une installation fixe d’affaires au sens de l’article 5.

Concernant le cas particulier du Home office, les commentaires du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE(3) précisent que même si l’activité d’une entreprise est exercée en partie depuis un bureau situé au domicile d’une personne physique salariée de l’entreprise, ceci ne permet pas automatiquement de conclure que les locaux en question sont à la libre disposition de ladite entreprise par le seul fait qu’ils sont utilisés par une personne qui est salariée de cette même entreprise.

Afin de pouvoir conclure à la mise à disposition de l’entreprise du bureau situé au domicile du salarié, il est nécessaire d’analyser les faits et circonstances spécifiques de chaque cas de figure ainsi que la nature de l’activité exercée par l’entreprise. Ainsi, si le travail à domicile d’un salarié d’une entreprise est discontinu, occasionnel ou temporaire, le bureau à domicile du salarié ne peut en règle générale pas être considéré comme mis à la disposition de l’entreprise car le critère de permanence fait défaut. D’autre part, si le bureau à domicile est utilisé de manière continue pour l’exercice d’une activité d’entreprise et si, sur base des faits, il est évident que l’entreprise a exigé du salarié qu’il utilise son domicile pour l’exécution de ses tâches (par exemple en raison du fait que l’entreprise n’a pas mis à disposition des locaux appropriés au salarié pour exercer l’activité salariée), le bureau à domicile peut être qualifié comme étant mis à la disposition de l’entreprise.

Toutefois, les commentaires du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE(4) mentionnent également le cas du travailleur transfrontalier qui exécute la majeure partie de son activité salariée à partir de son domicile situé dans un Etat tout en ayant un bureau mis à la disposition par l’entreprise dans l’autre Etat. Dans ce cas de figure, la position de l’OCDE est de ne pas considérer le domicile du salarié comme étant à disposition de l’entreprise car l’entreprise n’a pas exigé que le domicile du salarié soit utilisé pour la réalisation de ses tâches.

Dans le contexte particulier lié au COVID-19, le télétravail à domicile d’un salarié d’une entreprise luxembourgeoise ne devrait pas résulter en la création d’un établissement pour l’entreprise concernée dans le pays de résidence du salarié car la condition du degré de permanence n’est pas remplie ou parce que l’entreprise n’a pas le contrôle sur le domicile du salarié, ce dernier ayant normalement un bureau à sa disposition situé dans les locaux de l’entreprise luxembourgeoise.

La question se pose aussi de savoir si le salarié d’une entreprise qui exerce une partie de son activité depuis son domicile risque également d’être qualifié d’agent dépendant, entraînant ainsi la reconnaissance d’un établissement stable pour l’entreprise concernée dans le pays de résidence du salarié.

En vertu de l’article 5(5) du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE(5), les activités d’un agent dépendant (tel qu’un salarié) peuvent créer un établissement stable étranger pour une entreprise pour autant que la personne en question agit pour le compte d’une entreprise et conclut habituellement des contrats ou joue habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats. Similairement à ce qui a été dit ci-dessus, le critère d’habituel est déterminant pour la qualification d’agent dépendant. Ainsi, un employé d’une entreprise résidente d’un pays (par exemple Luxembourg) travaillant en télétravail depuis son domicile situé dans un autre Etat (par exemple France) pour une courte période ou transitoire en raison d’un cas de force majeure ou de directives imposées par un gouvernement (par exemple suite à la crise du COVID-19) ne peut en règle générale pas être considéré comme remplissant la condition d’« habituellement ». La situation serait toutefois différente si l’employé conclut habituellement des contrats pour le compte de son entreprise ou joue un rôle prépondérant à la conclusion des contrats depuis son pays de résidence avant la crise du COVID-19.

Il convient également de noter qu’il n’y a pas d’établissement stable si les activités exercées depuis le domicile du salarié revêtent un caractère préparatoire ou auxiliaire(6).

Giuseppe Tuzze
Giuseppe Tuzze, Associate Partner, EY Luxembourg

 

(1) Définition incluse dans la convention conclue entre les syndicats OGB-L et LCGB, d’une part, et l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL), d’autre part, en date du 21 février 2006 relative au régime juridique du télétravail afin de mettre en oeuvre l’accord-cadre européen et qui a été déclarée d’obligation générale par règlement grand-ducal du 13 octobre 2006. Cette convention a été reconduite à plusieurs reprises et déclarée d’obligation générale par plusieurs règlements grand-ducaux.

(2) OCDE (2018), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune : version abrégée 2017, Éditions OCDE.

(3) Paragraphe 18 des commentaires de l’article 5 du Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune.

(4) Paragraphe 18 des commentaires de l’article 5 du Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune.

(5) OCDE (2018), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune : version abrégée 2017, Éditions OCDE.

(6) En vertu des exceptions énumérées au paragraphe 4 de l’article 5 du Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune.