Le sujet du télétravail des frontaliers ne cesse d’alimenter l’actualité. Pendant la crise COVID, ceux-ci ont pu faire du télétravail, de manière illimitée, sans aucun impact sur leur imposition ou leur régime de sécurité sociale grâce au gel du seuil fiscal et du seuil de sécurité sociale. Le dégel de ces seuils s’est opéré progressivement. Le seuil fiscal est déjà réactivé depuis le 1er juillet 2022 tandis que le seuil pour la sécurité sociale vient juste d’être réactivé au 1er juillet 2023.

Maintenant que l’ensemble des mesures dérogatoires ont pris fin, la difficulté pour les employeurs est d’adopter une politique de télétravail qui rencontre les désirs des salariés et qui combine l’application de ces deux seuils.

Télétravail et seuil fiscal

Un an déjà que le compteur fiscal a été réactivé. Depuis le 1er juillet 2022, les jours de télétravail sont à nouveau comptabilisés et viennent s’ajouter aux autres déplacements professionnels effectués en dehors du Luxembourg. S’ils veulent conserver une imposition à 100 % au Luxembourg, les frontaliers doivent veiller à ne pas dépasser le seuil fiscal. Pour rappel, il s’agit d’un seuil de tolérance et non pas d’un quota fiscal exonéré. À titre d’exemple, si un frontalier belge preste 40 jours de télétravail en 2023, le seuil des 34 jours est dépassé. Il est imposable en Belgique sur la portion de salaire relative à ces 40 jours de télétravail (et non pas à partir du 35e jour).

À ce jour, peu d’employeurs autorisent le dépassement du seuil fiscal car cela peut générer une charge fiscale plus importante pour le salarié et alourdir considérablement la tenue du payroll (mise en place d’un split fiscal avec toutes les complications que cela entraîne en termes de gestion mensuelle, de régularisation annuelle, sans parler des démarches spécifiques pour les frontaliers français).

Télétravail et seuil de sécurité sociale

Pour rappel, sur base des règles habituelles( 1), les frontaliers restent soumis à la législation luxembourgeoise de sécurité sociale s’ils travaillent moins de 25 % dans leur pays de résidence.

En principe, le télétravail forcé dû à la pandémie COVID-19 aurait donc dû faire basculer les frontaliers sous le régime de sécurité sociale de leur pays de résidence. Pour lutter contre cet effet indésirable, des mesures dérogatoires ont été prises afin de geler temporairement les jours de télétravail des frontaliers pour le calcul de ce fameux seuil des 25 %, ce qui a permis aux frontaliers de rester sous sécurité sociale luxembourgeoise, peu importe le nombre de jours de télétravail prestés dans leur pays de résidence pendant toute la durée de la pandémie.

Pour les mêmes raisons, l’ensemble des démarches administratives en vue de couvrir les salariés lorsqu’ils travaillent en dehors du Luxembourg (demande d’une décision de détermination de la législation applicable à l’organisme compétent du pays de résidence et émission d’un certificat A1 de pluri-activité par le CCSS) ont également été suspendues.

La prolongation de ces mesures dérogatoires au-delà de la crise COVID-19 avait pour objectif de laisser le temps aux instances européennes de trouver une solution qui s’adapte à la nouvelle réalité du monde du travail. Ces mesures ont définitivement pris fin le 30 juin 2023.

Après des mois de discussions, la solution tant attendue a pris la forme d’un accord multilatéral portant sur le télétravail transfrontalier habituel(2) qui permet de déroger, sous certaines conditions, à la règle habituelle des 25 % et qui prévoit une procédure simplifiée pour l’obtention du certificat A1 de pluriactivité. Jusqu’à présent, 18 pays, dont le Luxembourg et les trois pays voisins, ont signé cet accord.

Les employeurs doivent déclarer le télétravail de leurs salariés sur la plateforme mise en place par le CCSS : www.teletravail.ccss.lu. La déclaration doit porter sur une période de minimum 1 mois et de maximum 3 ans.

Photo-eamesBot/Shutterstock
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L’accord-cadre ne concerne pas tous les travailleurs. Pour être éligible, le frontalier doit remplir un certain nombre de conditions.

Accord-cadre sur le télétravail transfrontalier habituel : entrée en vigueur le 1er juillet 2023

L’objectif de cet accord-cadre, entré en vigueur le 1er juillet 2023, est de permettre aux frontaliers d’effectuer jusqu’à 49 % de télétravail sans basculer sous la sécurité sociale de leur pays de résidence.

Prenons l’exemple de Jean, résidant en Belgique, qui travaille comme commercial pour une société luxembourgeoise. Il peut rester sous la sécurité sociale luxembourgeoise s’il effectue par exemple 60 % de son temps de travail sur le territoire luxembourgeois où il démarche des clients et 40 % en télétravail depuis son domicile en Belgique où il s’occupe des tâches de nature administrative. Il ne faut cependant pas oublier que, dans ce cas, Jean sera imposable en Belgique sur 40 % de sa rémunération (le seuil fiscal de 34 jours par an étant clairement dépassé).

À qui s’applique cet accord-cadre ?

Il convient d’être attentif au fait que l’accord-cadre ne concerne pas tous les travailleurs. Pour être éligible, le frontalier doit en effet remplir un certain nombre de conditions :

  • exercer une activité salariée pour le compte d’un employeur situé au Luxembourg (ce qui exclut les indépendants) et résider dans un autre État membre qui a également signé l’accord-cadre ;
  • télétravailler entre 25 % et moins de 50 % de son temps de travail total ;
  • exercer le télétravail exclusivement dans son pays de résidence (à domicile ou dans un espace de coworking situé dans son pays de résidence par exemple) ;
  • ne pas exercer, de manière habituelle, une activité autre que le télétravail en dehors du Luxembourg (par ex. des missions récurrentes à l’étranger pour le même employeur ou un autre employeur ou encore une activité indépendante) ;
  • pouvoir se connecter à l’infrastructure informatique de son employeur (ce qui exclut les activités manuelles qui ne nécessitent pas de connexion informatique). Pour toute personne ne remplissant pas ces conditions, les dispositions habituelles de la pluriactivité restent applicables (voir ci-après).

Quelles sont les démarches à accomplir ?

Les employeurs doivent déclarer le télétravail de leurs salariés sur la plateforme mise en place par le CCSS : www.tele travail.ccss.lu. La déclaration doit porter sur une période de minimum 1 mois et de maximum 3 ans.

L’accord-cadre prévoit une période transitoire de 12 mois à partir du 1er juillet 2023 pour effectuer la démarche. Les employeurs ont donc jusqu’au 30 juin 2024 pour déclarer le télétravail effectué par leurs salariés à partir du 1er juillet 2023. Si nous reprenons l’exemple de Jean, son employeur va déclarer 40 % de télétravail pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2026 (maximum).

Si les conditions de l’accord-cadre sont remplies, le CCSS émettra, pour chaque salarié, un certificat A1 de pluriactivité afin de les couvrir pour les jours de télétravail effectués dans leur pays de résidence.

Photo-and4me/Shutterstock
Photo-and4me/Shutterstock

S’ils veulent conserver une imposition à 100 % au Luxembourg, les frontaliers doivent veiller à ne pas dépasser le seuil fiscal. Pour rappel, il s’agit d’un seuil de tolérance et non pas d’un quota fiscal exonéré. À titre d’exemple, si un frontalier belge preste 40 jours de télétravail en 2023, le seuil des 34 jours est dépassé. Il est imposable en Belgique sur la portion de salaire relative à ces 40 jours de télétravail (et non pas à partir du 35e jour)

Que se passe-t-il si le frontalier ne rentre pas dans les conditions de l’accord-cadre ?

En dehors de la situation bien spécifique visée par l’accord-cadre (voir ci-dessus), ce sont les règles habituelles de la pluriactivité qui trouvent à s’appliquer.

Afin de couvrir son salarié lorsqu’il télétravaille, l’employeur est tenu de demander à l’organisme compétent du pays de résidence(3) de déterminer la législation de sécurité sociale applicable en complétant un questionnaire de pluriactivité. La décision est envoyée au salarié, à son employeur et au CCSS. Si la législation de sécurité sociale luxembourgeoise est applicable, le CCSS délivrera un certificat A1 de pluriactivité couvrant le salarié pour ses jours de télétravail. Il est possible de faire la déclaration auprès du CCSS mais celui-ci devra, en toutes hypothèses, renvoyer la demande à l’autorité compétente du pays de résidence, ce qui risque de générer des complications administratives.

Les salariés sont censés être couverts à dater du 1er juillet 2023 par un certificat de pluriactivité. Il convient donc d’entamer les démarches sans délai.

Si Jean fait régulièrement du télétravail (sans dépasser le seuil des 34 jours par an), son employeur demandera à l’ONSS, sur base du formulaire de pluriactivité, de déterminer la législation de sécurité sociale applicable. L’ONSS communiquera sa décision (maintien de la législation de sécurité sociale luxembourgeoise car le télétravail est inférieur à 25 %) et le CCSS émettra un certificat A1 de pluriactivité couvrant Jean pour ses jours de télétravail en Belgique. Au niveau fiscal, il restera également imposable à 100 % au Luxembourg dès lors qu’il ne dépasse pas le seuil fiscal.

Janique Bultot Partner Baker Tilly Luxembourg
Janique Bultot Partner Baker Tilly Luxembourg

(1) Art. 13 (1) du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009.

(2) Accord-cadre relatif à l’application de l’art. 16 (1) du règlement (CE) n° 883/2004 en cas de télétravail transfrontalier habituel.

(3) Coordonnées des autorités de sécurité sociale compétentes et questionnaires de pluriactivité : https://ccss.public.lu/fr/employeurs/sec%20teur-prive/travail-plusieurs-pays/organetrangers.html