Les entreprises et les organismes de recherche investissent de manière importante dans l’obtention, le développement et l’utilisation de leur capital intellectuel, qui constitue un facteur déterminant de leur compétitivité. Si l’innovation ainsi créée peut dans certains cas former l’objet d’un droit de propriété intellectuelle (tel qu’un brevet, un dessin ou modèle ou un droit d’auteur), ceci n’est pas toujours le cas. Dans certaines circonstances, cela peut aussi constituer un choix stratégique de maintenir son savoir-faire secret. Or, la protection accordée aux secrets d’affaires est aujourd’hui imparfaite, d’où la nécessité de prendre certaines précautions.

Toute entreprise ou institution dispose nécessairement de secrets d’affaires(1), que ce soit sous la forme de listes de clients, de fournisseurs ou de prix, de méthodes de fabrication, d’études de marché, de structurations de transactions, etc. Si les droits de propriété intellectuelle, tels que les droits d’auteur, les brevets ou les dessins et modèles peuvent s’avérer fort utiles pour protéger certains secrets d’affaires, ces droits ne sont pas toujours disponibles et parfois non adaptés à l’innovation en question (par exemple, en raison de la durée limitée du droit conféré). En droit luxembourgeois, aucun droit spécifique n’existe aujourd’hui qui protège en tant que tels les secrets d’affaires. Ainsi, les entreprises et organismes de recherche qui en détiennent ont tout intérêt à préserver la confidentialité de ces secrets d’affaires.

Procédures envisageables

Malgré l’absence de droit spécifique, le droit luxembourgeois prévoit néanmoins des possibilités pour agir en justice en cas d’obtention, d’utilisation ou de divulgation illicite de secrets d’affaires par un tiers.

Par exemple, conformément à l’article 14 de la loi modifiée du 30 juillet 2002 réglementant certaines pratiques commerciales, « commet un acte de concurrence déloyale toute personne qui exerce une activité commerciale […] qui, par un acte contraire soit aux usages honnêtes en matière commerciale, […] soit à un engagement contractuel, enlève ou tente d’enlever à ses concurrents ou à l’un d’eux une partie de leur clientèle, ou porte atteinte ou tente de porter atteinte à leur capacité de concurrence ». Ainsi, l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite de secrets d’affaires par un concurrent pourrait constituer un acte de concurrence déloyale. La victime d’un tel comportement pourrait introduire une requête auprès du magistrat présidant la Chambre du tribunal d’arrondissement siégeant en matière commerciale afin d’en obtenir la cessation.

Par ailleurs, des sanctions pénales sont prévues à l’article 309 du Code pénal dans l’hypothèse où un ancien employé utilise ou divulgue, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui suivent l’expiration de la relation de travail, les secrets d’affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance du fait de sa situation, dans un but de concurrence, dans l’intention de nuire à son patron ou pour se procurer un avantage illicite. Sont passibles des mêmes peines les personnes qui, ayant eu connaissance des secrets d’affaires ou de fabrication appartenant à une personne soit par l’intermédiaire d’un employé susvisé, soit par un acte contraire à la loi ou aux bonnes mœurs, utilise ces secrets ou les divulgue soit dans un but de concurrence, soit dans l’intention de nuire à celui à qui ils appartiennent, soit pour se procurer un avantage illicite.

En outre, dans l’hypothèse où la personne utilise ou divulgue une information confidentielle en violation d’un engagement contractuel, sa responsabilité pourrait également être recherchée sur ce fondement.

Quelques conseils pratiques

Afin de réduire au maximum le risque d’une obtention, utilisation ou divulgation illicite de secrets d’affaires, chaque personne qui en détient devrait mettre en place un certain nombre de mesures pour assurer leur protection adéquate.

En premier lieu, toute entreprise ou organisme de recherche doit définir quels employés nécessitent un accès aux secrets d’affaires pour accomplir leurs tâches et restreindre l’accès à ces informations aux individus identifiés. En général, seul un nombre limité de personnes nécessite réellement cet accès. Certaines entreprises ont aussi mis en place des procédures spécifiques relatives à la divulgation d’informations confidentielles, devant être approuvées au préalable par un Information Manager.

Il convient ensuite de sensibiliser l’ensemble des employés à l’importance de maintenir certaines informations confidentielles. Cette sensibilisation peut notamment se réaliser à travers des formations régulières sur le sujet et l’établissement d’une charte accessible aux employés à tout moment.

Dans tous les cas, les entreprises et organismes de recherche doivent s’assurer que les contrats de travail en place comportent des clauses satisfaisantes en matière de confidentialité, de non-concurrence et de propriété intellectuelle. Etant donné que ces clauses doivent respecter un certain nombre de prescriptions légales et être adaptées à la situation spécifique de l’entreprise concernée, un spécialiste devrait en principe être consulté. La présence de ces clauses est incontournable dans les contrats de travail des personnes qui sont amenées du fait de leur fonction à traiter ou à générer des secrets d’affaires.

Il va de soi que ces principes doivent également s’appliquer à tout tiers qui agirait en tant que consultant ou autre prestataire de services : de même que tout employé, ce tiers ne devrait avoir accès uniquement aux informations qui sont pertinentes pour l’accomplissement de sa mission et devrait signer un engagement de confidentialité approprié.

D’autres mesures existent bien entendu pour assurer la protection des secrets d’affaires, telles que la mise en place de solutions de sécurité informatique ou le maintien de matrices de savoir-faire des employés.

Bien entendu, il convient aussi de prêter une attention toute particulière au traitement des secrets d’affaires dans le cadre des relations avec d’autres sociétés et d’encadrer spécifiquement tout transfert ou accès aux informations confidentielles à des tiers (notamment par des engagements de confidentialité ou NDA). Ce partage de secrets d’affaires s’avère particulièrement délicat dans un contexte international.

Difficultés dans le contexte international

En effet, la protection des secrets d’affaires contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ne bénéficie à l’heure actuelle d’aucune véritable harmonisation à l’échelle de l’Union européenne. Les moyens de protection et leur efficacité divergent de manière importante d’un Etat membre à l’autre et ce, malgré des normes internationales (2) qui lient l’ensemble des Etats membres. Cette absence de sécurité juridique a un impact direct en matière de recherche ou de coopération transfrontalière.

Visant à remédier à cette lacune, une directive de l’Union européenne portant sur la protection des secrets d’affaires a été adoptée récemment (3). Cette directive a pour objectif de rapprocher les droits des Etats membres afin de protéger les secrets d’affaires contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, y compris en instaurant des possibilités de réparation au civil qui soient suffisantes et cohérentes dans le marché intérieur. Les Etats membres de l’Union européenne doivent transposer cette directive au plus tard le 9 juin 2018. Même si des divergences de régime ne pourront toujours pas être entièrement exclues après la transposition de cette directive, les entreprises et organismes de recherche devraient alors être plus confiants à collaborer et à partager leurs secrets d’affaires dans un contexte intra-UE.

Me Natalie Schall - IP/TMT Senior Associate - Allen & Overy SCS
Me Natalie Schall - IP/TMT Senior Associate - Allen & Overy SCS

(1) Dans cet article, le terme « secrets d’affaires » est utilisé en tant que terme générique pour le savoir-faire et les informations commerciales non divulgués ou confidentiels conformément à la directive (UE) 2016/943 sur les secrets d’affaires.

(2) L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce prévoit en effet une certaine protection des secrets d’affaires.

(3) Plus précisément, il s’agit de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites. Cette directive est présentée plus en détail dans l’article Nouvelle directive sur la protection des savoir-faire, pages 84 et 85.